Le plafond de la chambre de Dylan est lisse. La peinture n'a aucune rugosité, aucune fissure ou demi-teinte. Ce n'est pas le plafond que nous avons contemplés tant de fois, les tâches de moisissures sur la peinture jaune auxquelles nous donnions des formes des après-midi durant. Ce n'est pas le lit au matelas renfoncé sur la gauche, celui qui grinçait un peu trop parfois. L'on n'entends ni la houle, ni les pêcheurs braillards sur les quais, seulement le silence. C'est ce silence qui donne sa voix au passé. Les choses ne seront plus jamais comme avant, tout simplement parce que ce n'est pas le lieu qui change mais nous, les autres. J'ai compris cela en voyant mes parents, je l'ai ressentit en touchant le vide du bout des doigts. Et toi Dylan, est-ce que tu as changé au point d'être capable de me regarder comme un parfait étranger ?
Ses mouvements léger font bouger les couvertures, je peux sentir sa chaleur à distance et cela me mets d'autant plus mal à l'aise. Je roule sur le côté, m'asseyant sur le bord du lit en lui tournant le dos. Je prends appuie de mes coudes sur mes genoux, croisant nerveusement les mains. J'échappe un bref soupire pour me donner du courage, regardant la moquette sous mes pieds. "Ça doit te faire bizarre d'être de retour dans la maison familiale." Commençais-je sur un ton étrange. "Ça m'a fait bizarre aussi. Putain, y'avait même toujours le trou qu'on avait fait dans le carreau de la cuisine en jouant au foot. Toujours la même plaque de bois, le "en attendant" pour régler le problème. A croire qu'on règle jamais vraiment les problèmes. Surtout les plus futiles. Même quand ça vous pend au nez, même quand t'as plus que t'es yeux pour pleurer, toujours un vieux bout de carton pour réparer une table bancale, la vieille rustine noire sur les fissures." Je m'arrête pour reprendre mon souffle, mes mains tremblent et je les enserrent plus fort. Mes dents se referment sur ma lèvre inférieure. Je ne dois pas flancher. "Ça m'a fait bizarre aussi ouais. Revoir les rues où j'ai pris du galon en conneries, mon vieux lycée à l'air toujours aussi sinistre. Un gamin a tué sept autres mômes et deux professeurs peu de temps après que je sois partit. Je t'avais jamais dit je crois. Il a pété un câble et a tué tout le monde avec le fusil de son père. Ça aurait pu être moi." Je redresse la tête, regardant les vêtements posés en vrac sur la chaise qui me fait face. Dans le chaos ils semblent pourtant délicatement exposés. Comme la violence contrastée d'un mort dans un cercueil de fleurs. J'échappe un léger rire nerveux, effaçant rageusement une larme qui menace de tomber. "Un peu avant que je ne sois obligé de quitter le Canada, j'ai reçu un message. Mon frère, après toutes ces années. J'ai reconnu son écriture et le surnom de merde qu'il me donnait quand on avait encore l'âge de se battre. Il me détestais tu sais. Pour ce que je faisais subir à nos parents, pour tout ce que j'étais. Je lui rendais bien je crois. Un soir de Noël on s'est battus à la sortie de l'église. J'ai cassé son nez en l'écrasant avec sa bible à la con." Je souris au souvenir, la larme tombant cette fois. "Y'avait juste une adresse sur le mot. Au Kansas évidemment, a Wichita. Putain, il avait toujours voulut s'installer là bas." J'étouffe un hoquet, les plaques militaires se font lourdes autour de mon cou. "J'ai oublié tout ça, le fait qu'il avait essayé de me contacter par je sais quel moyen après toutes ces années. J'avais ma propre merde à régler. Du côté de Collins Bay Institution." Cette seconde fois derrière les barreaux avait été courte, ils m'avaient très vite orienté vers un établissement plus adapté à ce qu'ils analysaient comme mon "problème". L'héroïne n'en était au final qu'un parmi tant d'autres. "Quand je suis sortit, j'avais tout oublié de ces conneries. Puis j'ai vu, au hasard dans le journal. Je crois que j'avais entendu parler des conflits à la télévision." Ma voix est froide, mortifiée. Et puis soudain c'est le point de rupture. "Est-ce que tu sais ce que ça fait d'apprendre un matin en te levant que ton frère est mort ? Abattu comme un chien en Afghanistan pour un pays en lequel il a jamais cru ? En lequel j'ai jamais cru." Les larmes redoublent, mes mouvement rageur pour les effacer aussi. Je serre les poings, mon dos s'arrondit. Dans mon monologue, c'est presque comme si Dylan n'était pas vraiment là. Comme toutes ces fois où je lui ai parlé en pensée. "Est-ce que tu sais ce que ça fait..." Je reprend mon souffle, coupé dans ma phrase. "...de contempler le cadavre de quelqu'un que t'as quitté sale ado devenu un homme ? De voir sa femme déposer le drapeau sur le cercueil et ses deux gamins s'étouffer dans leurs morve ?" J'halète, mon cœur est accéléré par la douleur. "Que la seule personne qui était jamais prête à te pardonner est morte avant même d'en avoir le temps ? Qu'est-ce qui te fais croire entre tous que tu mérites le pardon Asher ? C'est ce que tu m'as dit hein, hein Dylan ?!" Je me balance légèrement sans m'en rendre compte, mes ongles raclant mon avant bras dans ce geste qui me caractérise maintenant. "Y'avait...mes parents. A la cérémonie. Je me suis fondu dans la foule. Ils enterraient leur deuxième fils." J'inspire avec dégoût, un brin de colère agitant mes nerfs. "Tu sais ce que mon père m'a dit en me voyant ? Merci d'être venu rendre un dernier hommage a mon fils." La tête disparaît dans mes mains. Le silence retombe, terrifiant. J'étouffe mes larmes dans ma fierté, toujours obstiné à lui tourner le dos. "Jake avait préparé son testament avant de partir. Je ne sais pas ce qu'il y est écrit. Je pense qu'il me lèguerait sa collection de petits soldats, ceux que je m'amusais à faire fondre partiellement avec mon zippo." Je tourne lentement le visage dans la pénombre. "Mais je ne pourrais pas les avoir si je le voulais." Un rire inattendu m'échappe. "Je suis déclaré mort par l'état du Kansas depuis plus de dix ans." Je baisse la tête et me tourne un peu plus. Doucement mon corps s'effondre contre le matelas comme si la force avec laquelle j'avais tenu le monologue venait de disparaître. D'un geste brusque mon bras fend l'air pour agripper fermement Dylan. Je l'attire contre moi avec force, effrayé par mon propre geste. Je serre les dents, j'aimerai mordre ma propre tristesse pour l'empêcher de s'épancher sur le draps. "Alors je suis venu.... Je suis resté... S'il te plait...Dylan..." Ma voix est devenu un murmure contre sa gorge. "Dis moi...pardonne moi. Dis moi que tu me pardonnes...dis moi qu'il me reste une raison...quand il n'y a plus personne." Mes bras l'entourent un peu plus. "Dis moi que je ne suis pas mort pour toi." Les fissures sur mon plafond elles, seront toujours les mêmes.