Nous étions toutes deux assises sur la terrasse, à l'arrière de la maison de mes parents, à l'abri du chèvrefeuille et divers autres arbustes dont j'ignorais totalement le nom. Bixie, la muette qui travaillait à la maison (et par extension, pour moi) retournait à la cuisine d'un pas rapide après avoir déposé devant nous un plateau de thés et de biscuits au caramel - que j'adorais tout particulièrement. Je me penchais pour servir une tasse de cannelle-gingembre à mon invitée, Skye, une amie de très longue date. « Un peu de sucre ? » demandais-je en lui tendant sa tasse pour ensuite attraper la pincette du sucrier. Skye Lockwood et moi nous connaissions de puis notre plus tendre enfance, étant toutes deux nées au Capitole.Nous pourrions presque dire que nous avons grandis ensembles. Nous nous connaissons très bien et nous entendions tout aussi bien. Mais cela n'empêchait rien : au vue du climat gouvernementale actuel et notamment après avoir entendu parler de révolte, rebellions et résistante, impossible de ne pas se demander intérieurement "et toi, pro ou anti-capitole ?" - y compris vis-à-vis des gens que nous connaissons depuis toujours.
Je me servis également une tasse puis m'assit dans mon fauteuil en osier, un biscuit déjà coincé entre les dents. Comment savoir ? Comment reconnaitre un fidèle au Capitole et un imposteur ? Est-ce qu'on peut lire sur mon visage tous les doutes qui m'assaillent parfois quand je pense aux enfants sacrifiés dans l'arène ? Aux enfants sacrifiés au nom du divertissement... Et si, moi, enfant du Capitole, fille d'un juge, je déclarais, lors d'une soirée, d'un dîner : je suis contre le gouvernement de panem, il faut que cette dictature prenne fin ? Est-ce qu'on me couperait la tête ? M'enverrait-on à mon tour dans l'arène pour pimenter le jeu, apporter de la surprise aux téléspectateurs ? Quoi que... Ils pensent tous que je suis une pauvre écervelée, ils m'enverraient très certainement à l'asile.

Bixie revint avec une petite carafe de lait chaud et en versa un peu dans ma tasse. Je lui fis un immense sourire et la remerciais du bout des lèvres avant de me tourner vers Skye. « Qu'as-tu pensé des derniers jeux, Skye ? » demandais-je, sur le ton de la conversation en trempant les lèvres dans mon thé. C'est un sujet délicat et c'est d'autant plus délicat pour moi que je l'aborde avec Skye, une amie de toujours, comme une seconde sœur. Mais j'ai besoin - et l'utilisation du mot besoin n'est pas exagéré - de savoir ce que pense mon entourage de Panem, des Hunger Games et de la révolte qui gronde dans les districts.

« (...) Pour tout avouer, j'ai réussi à éviter le visionnage des jeux, je ne supporte pas...de voir ces jeunes sacrifiés pour le divertissement des habitants du Capitole... » Je fus surprise de cette réponse mais essayer de cacher mon étonnement le mieux possible. L'impassibilité devait être de rigueur pour ne pas se laisser prendre à quelques pièges - je devenais probablement paranoïaque à mesure que la révolte des districts se faisait plus grondante et intrusive. J'étais intimement persuadée que le gouvernement mettait en place une système de détection ou de chasse aux rebels au sein du capitole. Pourtant à mes yeux, c'était tout bonnement impossible que des résistants se cachent parmi nous.
Cependant, la réponse de Skye me fit réaliser que nous n'avions encore jamais abordé ensemble ce sujet. Elle n'avait jamais parlé des jeux en ma présence et pourtant, nous nous connaissions depuis le berceau. Je pris ce détail - que je venais tout juste de découvrir - comme une marque de "sincérité". Non pas que je doutais d'elle et de son honnêteté mais, il fallait bien avouer qu'après le visite de deux jeunes des districts à mon salon de thé quelques semaines auparavant, je restait constamment sur mes gardes - au point d'en devenir légèrement folle. J'avais peur, tout simplement, et d'autant plus que je n'arrivais pas à me souvenir avec exactitude des clients capitoliens qui se trouvaient dans ma salle, ce jour là.

J'attrapais un nouveau biscuit tout en essayant de trouver une réponse "mi-figue, mi-raisin" à donner. L'expression inquiète du visage de mon amie me rassura tout de même sur ces intentions et me mis en confiance. « C'est vrai. Je trouve toujours étrange que tant de gens en soit si friands. » dis-je finalement d'un ton aussi neutre et nonchalant que possible. J'observais Skye, une (fausse) moue intriguée collée au visage. « En quoi la mort est-elle un divertissement, je me le demande. Mais si ça marche auprès des capitoliens, que peut-on y faire, vraiment ? » Je me demandais alors s'il n'était pas temps pour moi de changer subtilement de sujet, ayant quelques doutes sur ma capacité à garder mes réelles opinions à ce sujet secrète. J'hésitais quelques secondes puis posais ma tasse sur la table basse. « De toute façon, avec tout le travail que le salon me demande, je n'ai que très rarement le temps de m'assoir devant les jeux. » Bien sûr, ce n'était pas la stricte vérité. Certes, le salon me demandait beaucoup de travail mais, j'avais la possibilité, si je le désirais, de le fermer le temps des Hunger Games ou d'en déléguer la responsabilité à ma muette. Ce que je ne faisais jamais. Je répondais souvent (et non sans culpabiliser) que je ne pouvais pas en donner la charge à Bixie, "cette abrutie étant bien incapable de s'en occuper comme il se doit".
J'aurais pu l'expliquer à Skye, cette jeune femme que je connaissais depuis la naissance et que je fréquentais depuis autant de temps, qui n'avait jamais fait preuve d'extrémisme ou de positions pro-capitole. Mais je n'y arrivais pas, j'avais tellement peur qu'elle soit en mission pour le capitole... C'était d'un ridicule affligeant.