FALLING FROM CLOUD NINE.
hunter & delysia

Les choses avaient décidément bien changées depuis les dernières semaines. La préparation des jeux avaient déjà été marquée par quelques fantaisies grotesques comme l'apparition d'Ezea aux interviews vêtu d'un peu discret « 13 » alors que le Capitole faisait tout pour les rendre ridicules, ou alors l'arrestation de mon amie et collègue Hope qui avait dévoilé bien malheureusement un penchant pour la cause rebelle. Je ne comprenais pas tous ces comportements ! Pourquoi étaient-ils tous autant contre le Capitole ? Bon, d'accord, le gouvernement n'était pas très sympathique, et les jeux encore moins. Mais ce n'était pas pour autant que le Treize était mieux, et cette femme qui se présentait comme présidente de ce vieux district ne m'inspirait pas plus confiance que notre président actuel. Bref, même si je n'approuvais pas tout, j'étais certaine de me classer parmi les gens qu'on appelait « pro-capitoles ». Après tout, comment pouvais-je dire le contraire alors que j'étais une fanatique de leurs mode, remèdes de beauté et tout autre frivolité du genre ? Les gens pouvaient être bien fous à penser que je n'étais pas de tout cœur avec eux, parce que je montrais de temps en temps des preuves de faiblesse quand es tributs mourraient. Mais, moi, contrairement aux autres j'avais un cœur. Et perdre des jeunes enfants qui m'étaient confiés ne se faisait pas avec un certain plaisir que d'autres ressentaient.

J'étais tranquillement installée dans mon salon, à regarder quelques rediffusions à la télévision. Aujourd'hui, nous avions droit à un retour sur le parcours de la toute nouvelle gagnante des jeux, Gemma Mubstin. Le district Six était mis à l'honneur, et par chance pour le Capitole la jeune fille ainsi que son district étaient plus ou moins du côté du Capitole. Du moins, nous n'avions pas été informé de quelconques invasions par les armées du Treize, contrairement aux districts pauvres dont le Onze. Je m'inquiétais particulièrement pour ce district, ayant eu des liens privilégiés avec celui-ci pendant les deniers jeux, mais ayant aussi côtoyés Hope et connu Ezea, le jeune tribut malheureusement mort à présent. On m'avait posé deux ou trois questions, sûrement pour juger rapidement de mon implication ou non dans quelques petits groupements suspects. Bien sûr, je n'avais rien à cacher et je leur dis clairement, sans peur de représailles. Cependant, le grondement dans les districts affolaient de plus en plus les autorités, et j'avais eu quelques informations me laissant croire que le gouvernement finissait par devenir paranoïaque à voir des ennemis partout, même dans ses propres rangs. J'avais déjà vu quelques collègues disparaître du jour au lendemain, ou bien des marchands dans les avenues du Capitole qui fermaient boutiques à des périodes de l'année assez étranges. Pourtant, nous faisions tout pour garder notre calme et ne pas céder à la panique. D'ailleurs, peu de gens étaient au courant de ce qui se passait vraiment, et je doutais même d'avoir toutes les informations. Savoir que les rebelles ont intégrés quelques districts n'étaient pas si révolutionnaires que cela. Après tout, Hope était rebelle comme d'autres, et personne ne les avait soupçonnés auparavant.

Je regardais donc avec une certaine attention le reportage sur Gemma Mubstin. Nous avions droit à un récapitulatif de son parcours, en passant de la Moisson à son couronnement par Snow lui-même. C'était très intéressant de revoir le comportement de la jeune fille, tout d'abord intimidée par ce qui lui arrivait et qui finissait par prendre un peu d'assurance dans l'arène. Une arène qui m'étonnait toujours autant je devais l'avouer. Alors que nous étions en pleine rediffusion d'un combat bien évidemment remporté par al jeune fille, j'entendis quelqu'un frapper à la porte. Je me demandais bien qui pouvait venir à une heure si tardive, bien qu'il était connu dans la ville que les fêtards n'étaient pas si rares. J'ouvris tout naturellement la porte à l'invité qui se présentait à ma porte, et quelle fut ma surprise ! Hunter Blackbird-Crowley se tenait juste devant moi ! Cela faisait tellement longtemps que je ne l'avais pas vu, et je devais dire qu'il m'avait un peu manqué. Je savais que son travail lui prenait beaucoup de temps, surtout depuis que le Treize avait fait irruption dans les districts. Mais il n'était certainement pas venu pour me parler travail. « Hunter ! Ca me fait plaisir de te voir ! Je t'en prie entre ! Dis moi, qu'est-ce qui te fait venir par une heure si tardive ? » J'avais hâte de savoir les raisons de sa présence et lui adressai un clin d'oeil furtif, et m'empressai de lui servir un verre d'une boisson inconnue mais tellement délicieuse ! Il fallait le meilleur pour les grands amis !

Fixant mon reflet dans le miroir, la question se répétait inlassablement dans mon esprit. Je repassais mes mains mouillées sur mon visage rougi par la colère. Comment en étions-nous arrivés là ? Comment, en seulement quelques mois, avions-nous atteint ce point de non-retour ? Puisque c’était bien de cela qu’il était question. Désormais, il n’y avait plus d’issue. Ou alors, celle-ci serait fatale. Les pertes humaines allaient grimper en flèche. Comment, en seulement quelques jours, les rebelles étaient parvenus à prendre le contrôle du douze ? Bien que ce district était faible, une unité avait été déployée en urgences, avec de très bons hommes en renfort. Rien ne laissait présager que le treize gagnerait. Rien ne prédisait leur victoire. Resté silencieux pendant septante-cinq ans, ils n’étaient pas en mesure de gagner du terrain. Pas maintenant, alors que les Jeux venaient de se finir. Rien ne le prédisait. Et pourtant, ils avaient réussi. Nous nous étions reposés sur nos lauriers. Le treize ne vaincra jamais, pas tant que les Pacificateurs seront là, disait-on. Et voilà où nous en étions arrivés. À multiplier les combats pour les faire reculer alors qu’il avançait de plus en plus. Après le douze, le onze était tombé. Et bien que je ne devais pas penser de cette façon, je savais très bien que d’autres districts ne tarderaient pas à tomber entre leurs mains. Ce n’était qu’une question de temps. Je devais me rendre à l’évidence. Nous sommes en train de perdre. Ma main vint s’écraser contre le miroir, poudrant mes phalanges d’une teinte rougeâtre. Je ne pouvais pas accepter la défaite.

Massant mes yeux fatigués par les nuits de plus en plus courtes, je me préparais pour une énième soirée des plus fatigantes, à remplir des rapports, à préparer les interrogatoires ou les tortures du lendemain et à étudier cas par cas de potentielles arrestations de personnes soupçonnées. Les jours se suivaient et se ressemblaient terriblement. La seule différence notable était le nombre de cadavres laissés sur le passage des deux clans adverses, que ce soit du côté des rebelles ou de notre côté. Nous n’étions pas infaillibles. Comme nos ennemis, nous perdions des hommes. J’espérais simplement ne pas compter parmi les victimes du lendemain. Alors que je cherchais mon briquet, je tombais sur une liste traînant dans ma poche contenant les noms et adresses des personnes qui seraient interrogées, tortures, voir même tuées ces prochains jours. Des hommes, des femmes, des enfants. Tous des traitres, quel que soit leur âge, quel que soit leur sexe. Aucun traitement de faveur. Du moins, c’est ce dont j’essayais de me persuader.

Sur cette liste figurait le nom de Delysia Winslow. Personnalité connue et reconnue au Capitole, qui demeurait inconnue à mes yeux. Du moins, c’est ce que mon esprit avait assimilé au fil du temps. Et c’est ce dont j’essayais de me persuader encore aujourd’hui. Delysia était une hôtesse. Une simple hôtesse, et rien d’autre. Une énième habitante loufoque et désespérante du Capitole. Rien d’autres. Elle avait eu une place importante dans mon passé, passé que je souhaitais oublier. Elle n’avait donc pas sa place dans mes souvenirs, malgré les images qui se rappelaient à ma mémoire. J’étais jeune, j’étais perdu. Ce n’était qu’une erreur de l’avoir considérée comme une amie. Ceci dit, je quittais mon appartement de fonction afin de me rendre chez la dénommée Delysia afin de lui poser quelques questions. Malgré le fait que je souhaitais qu’elle reste une inconnue à mes yeux, je lui devais bien ça, à savoir la discrétion. Me rendre chez elle en pleine journée ne serait pas bon pour son image, et elle me ferait une scène.

Devant sa porte, j’hésitais quelques instants. Delysia, complice du réseau rebelle ? C’était une blague, une incroyable blague qui n’avait aucun sens. Delysia ne pouvait pas être complice, tout simplement parce que … qu’elle était Delysia, et qu’elle n’avait probablement pas remarqué ce qu’il se tramait sous ses yeux entre Hope et ce tribut mort avant même d’avoir atterri dans l’arène. La jeune femme était une fervente supportrice de notre gouvernement actuel, elle figurait bien en dernière position sur une liste de personne susceptible de changer d’opinion. De toute évidence, elle ne saurait rien. Frappant donc à sa porte, je n’attendis pas longtemps avant qu’elle me reçoive. « Hunter ! Ca me fait plaisir de te voir ! Je t'en prie entre ! Dis moi, qu'est-ce qui te fait venir par une heure si tardive ? » Silencieux, je la suivais jusqu’à son intérieur, trempant mes lèvres dans le nectar des plus suspects qu’elle m’avait tendu. J’officiais pour le gouvernement, mais je n’étais pas habitué à toutes leurs spécialités culinaires, ni à leurs boissons sortie d’un autre monde. « Bonsoir. » commençais-je simplement, cherchant mes mots. « Je suis désolé de te déranger. » Et bien tiens, un Pacificateur qui s’excuse ! Quelle idée. Tu ne la connais pas, elle n’est qu’une suspecte parmi tant d’autres. « Le travail m’amène à toi. J’imagine que tu n’es pas sans savoir que nous avons quelques problèmes avec nos amis les rebelles. Et qu’en l’occurrence, nous devons interroger chaque personne ayant été en contact avec eux. » dis-je d’une traite, marquant une courte pause pour reprendre ma respiration. « Étais-tu au courant du plan que préparais Hope et son tribut lors des interviews ? » demandai-je, prenant place sur l’un des canapés sans lui demander son autorisation.

Je m’excusais pour le dérangement. Pathétique. C’était bien la première fois que je m’excusais. Et en plus, c’était pour une chose aussi futile qu’une visite à une heure tardive ! « Mais non Hunter ! Tu ne me déranges pas ! » Tant mieux. À vrai dire, les Capitoliens n’étaient pas connus pour sombrer dans le sommeil dès que le soleil se couchait. Il était plus du genre à atterrir dans les bras de Morphée lorsque le jour se levait, en réalité. Pour l’instant, ce n’allait être qu’un simple interrogatoire. Mais ce que Delysia ne savait pas, c’est que je devrais l’emmener avec moi à l’issu de mes questions. Ordre du Capitole, et donc indiscutable. Je ne pouvais pas passer outre les ordres simplement parce que nous avions un passé commun. Etant donné la paranoïa qui régnait actuellement dans les rangs des Pacificateurs, nul doute que mon comportement passerait pour suspect. Et je ne voulais pas risquer ma vie pour une chose aussi futile qu’une arrestation. « Hunter ! Tu crois vraiment que je savais quelque chose ?! » Non, à vrai dire, j’imaginais bien qu’elle n’était pas au courant. Delysia était … Delysia. Naïve, ce qui lui donnait un côté attachant. Cependant, je n’y connaissais rien en équipe de préparation, et je ne savais pas à quel moment une hôtesse quittait ses tributs. Peut-être qu’elle ne s’était plus occupée d’eux une fois la moisson finie, mais elle avait également pu aider Hope et Ezea à préparer ce dernier dans les coulisses. Je me contentais de répondre « On est jamais trop prudent. » avant de me taire, persuadé qu’elle n’avait pas fini son discours. Après tout, je l’accusais d’être dans le coup, autant dire qu’elle devait se défendre rapidement. « J'étais aussi surprise que tout le monde ! Et même plus ! Je connais Hope depuis quelques temps maintenant, et jamais je n'aurais pensé ça ! » Le problème avec les citoyens du Capitole, c’est que leur intonation et leur façon de parler sont tellement différentes des nôtres, que l’on ne sait pas s’ils tentent de cacher quelque chose ou s’ils sont sincères. Ceci dit, venant de Delysia, je ne doutais pas de sincérité, même si une petite voix dans ma tête me répétait de la considérer au même titre que n’importe quelle autre suspecte.

« Rien dans son comportement ne laissait donc présager qu'elle allait se livrer à ce petit spectacle ? » La jeune femme l'avait dit elle-même, elle connaissait Hope depuis quelques temps maintenant, elle était donc en mesure de m'éclaircir sur un possible changement de comportement de la part de la styliste. Et autant dire que j'espérais qu'elle me réponde par la négative, puisque si elle admettait qu'Hope avait agi bizarrement, la catastrophe qui s'était déroulée le soir des interviews aurait pu être évitée. Et le Capitole cherchait absolument des coupables dans cette histoire. Le tribut était mort, sa styliste arrêtée, il ne manquait plus qu'à attribuer le rôle de celui qui aurait pu éviter la catastrophe. En l'occurrence, celle, en la personne de Delysia. « Des rebelles au Capitole ! N'importe quoi ! » N'importe quoi, vraiment ? Il fallait être stupide pour ignorer que des rebelles avaient infiltrés les rangs du Capitole, tant ils étaient nombreux. Ceci dit, si Delysia l'ignorait vraiment, je mettais cela sur sa crédulité. « Nous avons arrêté Hope, mais il est probable que d'autres personnes de ton entourage jouent double-jeu. Ils sont partout, fais attention à ce que tu peux dire. » Mieux valait prendre les devants. Je ne connaissais pratiquement plus Delysia même si nos chemins étaient amenés à se croiser régulièrement. Je n'avais pas connaissance de ses proches, de ses amis, et peut-être que parmi ceux-ci se cachaient des rebelles infiltrés. La jeune femme n'était pas spécialement muette, et il était sûrement facile de lui tirer des informations si l'on savait si prendre. « En plus, faire ça pendant les interviews ! Non mais je te jure ! Ils nous ont tous mis sur la sellette ! Tu sais que j'ai failli perdre mon poste avec ces histoires ?! Ils ont voulu renvoyer toute l'équipe du Onze... ! Je vais finir par croire qu'on veut ma peau Hunter ! Entre la fille juge qui fait tout pour me pourrir la vie, et maintenant ça... » Hope avait été stupide, tout le monde était d’accord avec cela. Le tribut allait de toute manière mourir, mais la styliste s’était fichue dans une bien mauvaise posture, sans parler des gens qu’elle emportait avec elle dans sa chute. À vrai dire, en ces temps de Rébellion, l’équipe du onze avait eu de la chance de ne pas être tuée et balancée dans une fosse commune. « Tu aurais pu perdre bien plus que ton poste d’hôtesse. » dis-je simplement. Je ne savais pas vraiment ce qui me prenait de lui balancer cela à la figure, et j’espérais qu’elle ne le comprendrait pas. En réalité, c’était une façon de dire que je tenais à elle, et que sa mort me serait douloureuse. « C'est pas trop dur pour toi ces derniers temps avec tout ça ? Tu dois avoir beaucoup de travail ! » Je n’étais pas un débutant, je savais très bien qu’elle tentait de détourner la conversation, et à vrai dire ça ne me dérangeait pas plus que cela. Peut-être parce qu’elle était l’une des rares personnes à s’inquiéter pour moi. « Je suis fatigué. Mais on ne peut pas laisser les rebelles prendre le dessus, ça vaut bien le sacrifice de quelques heures de sommeils. » Et de quelques vies perdues, également. Minute amicale terminée, le travail revenait à la charge. « Mise à part l’équipe du onze, est-ce que quelqu’un aurait pu aider Hope dans son plan ? » Nous connaissions les noms de l’équipe du onze, nous pouvions donc partir les interroger à tout moment. Mais il nous fallait savoir si Hope avait eu des contacts avec une tierce personne pour mettre son petit plan à exécution, et je comptais bien sur Delysia pour m’apporter une réponse satisfaisante.

Je ne me rendais pratiquement jamais au Capitole. Les seules fois où je faisais le déplacement jusqu’à notre Capitale était pour les cérémonies officielles à la gloire des Pacificateurs. Ce qui était rare, puisque bien que nous étions censés nous occuper de la sécurité de Panem, nous n’étions pas aussi glorifiés que les vainqueurs des Jeux ou même les équipes de préparations. Quoi qu’il en soit, plus j’étais loin du Capitole, mieux je me portais. J’appréciais notre gouvernement, je me battrais jusqu’à mon dernier souffle pour Snow, mais les habitants étaient … terribles. Il m’agaçait au plus haut point de par leurs manies, leurs excentricités ou leur façon des plus désagréables de s’exprimer. J’avais conscience que certains rebelles avaient réussi à infiltrer notre Capitale, ce n’était un secret pour personne, mais j’avais espéré ne pas avoir à m’en occuper. De plus, maintenant que j’étais le Pacificateur en chef du district un et des opérations visant le treize, j’avais imaginé que ma place serait plus dans les districts. Je me trompais visiblement. Les noms fournis sur ma liste étaient pour la plupart des citoyens des districts, et les quelques apparitions de celui d’un Capitolien m’agaçait, mais en plus celui de Delysia était la goutte qui faisait déborder le vase. Je l’adorais. C’était un fait, et je ne pouvais me résoudre à l’accepter. J’avais l’impression d’aller à la rencontre des fantômes du passé en allant la voir. C’était un drôle de sentiment, partagé entre la joie de la revoir, et l’agacement qu’elle me rappelle une période de ma vie que j’aimerais oublier.

Je devais probablement lui sembler bizarre, à agir assez froidement, ou du moins à essayer, et en l’accusant indirectement d’être complice de Hope et de ses manigances. Je n’y croyais pas pourtant, mais c’était mon travail de la traiter comme une suspecte. Je savais que je faisais la sourde oreille, étant donné que j’insistais sur le sujet malgré le fait qu’elle me jurait qu’elle n’y était pour rien. « Non, bien sûr que non ! Enfin, je n'ai rien remarqué, et peut-être que je ne la connaissais pas si bien... Mais je t'assure que je n'ai rien vu venir ! » Elle s’était emportée, mais d’expérience, je savais que cela n’était pas toujours une preuve de culpabilité. Ceci dit, cela m’étonnait qu’elle connaisse si peu Hope. Pour l’avoir croisée au Capitole, surtout dans les cellules, je voyais mal comment une jeune femme comme elle avait pu cacher aux yeux de tout ce petit plan stupide impliquant le tribut du onze, et surtout sa véritable idéologie. « D’accord. » dis-je finalement, convaincu par les paroles de Delysia.

J’avais évoqué la possibilité que des connaissances à elle jouent double-jeu comme l’avait fait Hope. C’était plus une sécurité, à vrai dire, étant donné que je ne connaissais pas ces amis ou ces ennemis. Mais en tant qu’hôtesse, une chose était sûre : Delysia avait des contacts. Et mieux valait être prudent. « Tu vas finir par me faire peur... Tu connais des noms c'est ça ? Et tu ne peux rien me dire je présume...? » Je n’avais pas de noms certains, plutôt des suspicions envers certains membres des équipes de préparations ou envers certains mentors. Je ne connaissais pas les gens de l’ombre, et donc je ne m’avançais pas par rapport à ceux-ci. « Non, je ne peux pas. » dis-je, bien que, justement, je n’avais pas des noms. Qu’importe, elle était désormais mise en garde. Parce que malgré le fait que je voulais renier la jeune femme et tout ce qu’elle représentait, la savoir en danger ou pire m’était douloureux.

Delysia avait changé de sujet avec plus ou moins de discrétion, et tout autant de réussite. Je n’étais pas dupe, et pourtant je m’étais laissé aller à ne pas l’interroger durant quelques secondes pour parler de moi, de ce que la chasse aux rebelles représentait pour ma santé. Ça me tuait. J’étais dans ce milieu depuis des années, mais jamais la pression avait été aussi forte que maintenant. « Oui, bien sûr. Mais fais attention quand même, d'accord ? Surtout que ta fatigue pourrait te pénaliser dans les districts... » Je ne voulais pas parler de cela, et pourtant je devais admettre qu’elle avait parfaitement raison. Ce n’est pas en me crevant chaque nuit à travailler que mon travail allait justement être meilleur. Au contraire, j’allais m’affaiblir. J’acquiesçais simplement de la tête. Pour moi, la conversation par rapport à ma fatigue ou quoi que ce soit autre que ces foutus manigances de la part de la styliste du onze était terminée. J’eus d’ailleurs une nouvelle question pour Delysia. Je n’allais pas m’arrêter aussi facilement. « Je te l'ai déjà dit Hunter, je n'ai aucun nom à te donner j'en suis désolée. J'aurais voulu t'aider, mais je ne sais vraiment rien ! » N’importe qui aurait trouvé stupide que je continue à m’acharner sur la jeune femme, cela se voyait comme le nez au milieu de la figure qu’elle ne savait rien. « Mais je t'assure que je ferai attention à partir de maintenant ! Et si j'arrive à comprendre quelques petites choses, à voir des comportements suspects, tu seras le premier au courant. Encore des questions ? Je répondrai à tout avec toute l'honnêteté que tu mérites ! » J’aurai aimé en rester là. Partir, dire que nous en avions terminé, qu’elle m’avait convaincu. Mais je ne pouvais pas. « Je suis désolé, mais je dois quand même t’emmener aux cellules. » Je réalisais que je n’étais pas délicat, et que surtout, indirectement, je lui annonçais qu’elle allait être enfermée. Or, je ne savais pas si c’était le cas ou non, je savais juste que je devais l’emmener avec moi. « C’est la procédure habituelle, ne t’en fais pas, c’est l’histoire de quelques heures, que d’autres entendent ta version. » Au cas où je la couvrirais. Cela m’embêtait peut être plus qu’elle de devoir l’emmener avec moi, mais c’était ainsi et je n’avais pas le choix. Je la regardais, désolé, attendant de voir sa réaction.

« Je comprends... Ça ne servait à rien que je le demande, mais bon on ne sait jamais ! » Sait-on jamais … J’eus une petite envie de rire, je devais bien l’admettre. Je crois que même gamin, je n’étais pas du genre à parler. Qu’importe la personne qui se trouvait face à moi. C’était plus fort que moi. Je n’ai pas la parole facile, et même face à quelqu’un qui avait été un ami, je n’étais pas causant. Alors en plus, lui révéler quelque chose qu’elle ne devait pas savoir, là cela relevait du fantasme. Je ne suis pas le genre de type auquel on tire les vers du nez. J’eus un simple sourire à sa remarque, pour ne pas paraitre impoli. Je changeais radicalement de conversation ensuite, coupant court à son inquiétude quant à mon état de santé. Voilà que je parlais de cellules, un mot qui ne la rassurait pas spécialement. « Les cellules ? » Elle était choquée, et je pouvais la comprendre. Dans son monde à elle, les cellules ne devaient pas exister. Ou du moins, les gens comme elle n’y allaient pas. Il est vrai que je n’avais pas modérer mes propos, et que j’aurai pu être plus délicat. Hors, la délicatesse n’était pas quelque chose qui entrait en compte dans mon caractère, et elle devait probablement le savoir. J’avais beau tenter de la rassurer comme je le pouvais – bien que peu doué dans ce domaine – en déclarant que ce n’était que l’histoire de quelques heures, je savais pertinemment que ça ne changerait rien pour elle. Personne n’aime entendre qu’il va être conduit aux cellules. Sauf si l’on sait que l’on a fait quelque chose de mal. La pilule peut potentiellement mieux passer. En l’occurrence, Delysia n’y était pour rien. « Ce n’est pas aussi effrayant qu’on le dit. » répliquai-je, sans grande conviction. Toutefois, de par son statut, Delysia pouvait être sûre qu’elle allait être bien traitée. Elle n’était pas une rebelle et n’en avait pas du tout l’apparence ni le comportement. Elle serait interrogée quelques heures puis relâchée. Du moins je l’espérais. Mais en aucun cas elle subirait le genre de traitements que le traître pouvait subir. Et il était d’ailleurs fort peu probable qu’elle se retrouve dans une cellule aussi peu confortable que les rebelles. Elle allait avoir un traitement de faveur, pour sûr. « Mais tu l'as déjà entendu ma version Hunter ! » Et celle-ci était particulièrement convaincante. Et nul doute qu’en plus d’être convaincante, c’était la pure vérité et non un mensonge bien réfléchit et bien maitrisé. Ceci dit, nous ne sommes jamais trop prudents. « Oui, et tu ne mens pas. Il faut juste que tu le prouves à ma hiérarchie. » Ce qu’elle parviendrait à faire sans problème, j’en suis convaincu. « Tu sais bien que je n'ai rien à voir avec tout cela ! » Je le savais pertinemment et mes collègues le découvriraient également. Mais la procédure était la procédure et je ne pouvais déroger à celle-ci. Mes supérieurs m’avaient ordonnés de l’a ramené aux cellules, je le faisais. C’était terriblement égoïste, mais je préférais sauver mon travail que paraitre sympathique aux yeux de Delysia. Qu’importe quel était la personne que nous devions emmener dans les souterrains ou arrêter, il fallait le faire. Un mari, une femme, un enfant de Pacificateur, c’était égal. Il n’y avait qu’à prendre l’exemple d’Hildegrade, celle qui m’avait offerte ma promotion quelques mois plus tôt. Son enfant lui avait été enlevé. Aucun traitement de faveur, bien même si elle était la cheffe de tous les Pacificateurs réunis. Et c’était le même cas avec Delysia. Qu’importe si nous avions été amis. « Je sais. » répondis-je simplement. Je le savais, il ne restait donc plus qu’à convaincre les grands chefs. Chose qui se ferait sans le moindre problème. « Si tu y tiens tant, je te suivrai. Mais sache que je ne suis pas prête d'oublier. » Bien. Cela m’était égal. En fait, en réalité cela m’arrangeais même qu’elle n’oublie pas cette rencontre ainsi que son issue. De cette façon, elle m’en voudrait. Il n’y avait aucun doute à avoir là-dessus. Delysia n’arriverait pas à passer l’éponge sur ce qui semblait être une trahison. Et c’est tant mieux. Elle m’en voudrait, elle ne chercherait pas à me revoir, et même si nos chemins venaient à se croiser une nouvelle fois dans d’autres circonstances, elle refuserait probablement de m’adresser la parole. Tout ce dont j’avais besoin. En m’ignorant, elle ferait définitivement partie des fantômes du passé. « Je pense que je peux le supporter. » rétorquai-je, tout en passant mon bras autour du sien pour lui indiquer le chemin.

La petite visite que je pensais être de courtoisie commençait à se transformer en cauchemar. Je n'étais pas tellement déboussolée par son comportement puisqu'il avait toujours été froid avec moi comme avec tout le monde, mais les mots qu'il m'adressait m'effrayait quelque peu. Il me posait des questions étranges, parlait de rebelles, et me disait même qu'il devait m'emmener dans les cellules du Capitole ! Ne m'avait-il pas posé assez de questions ? N'avais-je pas bien répondu ? Je ne savais rien aux sujets de ces gens comme le jeune garçon Ezea qui avait fait parlé de lui lors des derniers jeux, tout comme sa styliste Hope qui était aussi mon amie. Je n'avais jamais rien su, je lui répétais, mais il continuait sur sa lancée. « Ce n’est pas aussi effrayant qu’on le dit. » Forcément que ça ne l'était pas, pour lui ! A chaque fois qu'il devait s'y rendre il était du bon côté, il interrogeait les pauvres innocents qui se retrouvaient enfermés dans des salles – ou plutôt cellules devrais-je dire – encore plus petites que des placards...

Je lui répétais qu'il avait tort de faire cela, que c'était plus qu'inutile puisque je n'avais rien à voir dans toutes ces trahisons. Moi ? Me rebeller contre le Capitole ? C'était bien la chose la plus stupide qu'on pouvait insinuer. Le Capitole offrait tout ce dont nous pouvions rêver, et contrôlait d'une main de maître sur l'égalité entre tous dans Panem. Nous ne pouvions pas avoir de meilleurs dirigeants, et les rebelles se trompaient s'ils pensaient en être capable. « Oui, et tu ne mens pas. Il faut juste que tu le prouves à ma hiérarchie. » Je lui aurais crier que je n'avais rien à prouver à ses supérieurs que ce n'aurait pas été bien différent de la réponse que je lui donnais. Je n'avais rien à prouver, tout simplement parce qu'il n'y avait rien contre à moi à part... à part quoi ? Des amitiés mal choisies ? Le fait que 'mon' tribut ait été un rebelle ? Tout le monde savait au Capitole que les amitiés étaient pour la plupart surfaites, et que les liens avec les tributs étaient nuls si nous ne voulions pas nous attacher trop aux pauvres jeunes enfants.

Blessée dans mon orgueil par une personne que j'avais cru être un ami proche, je ne manquai pas de lui faire comprendre qu'il n'était plus la peine qu'il me parle dans l'avenir. Hunter Blackbird-Crowley avait toujours été un proche des Winslow. C'en était fini. Une fois libérée de cette prison crasseuse et inutile, je comptais bien l'oublier de ma vie, oublier une enfance partagée en partie, oublier le frère que j'aurais pu avoir s'il n'était pas devenu cette... chose. « Je pense que je peux le supporter. » Tant mieux, parce qu'il n'aurait pas le choix. Il prit mon bras pour me conduire, mais je me détachais rapidement de cette emprise. J'étais déjà assez énervée par cette situation, et je ne tenais pas à ce que le voisinage pense que j'étais en train de me faire arrêter. S'il me croyait quand je disais que je n'avais rien fait, il pouvait au moins me faire cette faveur. Ne pas m'emmener comme l'avait été les véritables traîtres. «  Je peux marcher toute seule je ne suis pas une gamine. Ne t'inquiète pas je ne compte pas m'enfuir. » dis-je assez froidement au pacificateur. Ah ça non, je ne comptais vraiment pas partir en courant. Je n'avais rien à me reprocher, et puis... où serais-je aller ? Je ne connaissais personne d'assez stupide pour me cacher, parce que, moi, je n'étais pas une rebelle.


SUJET TERMINE.