reality is here.

❝ yes there are two paths you can go by. ❞

2 OCTOBRE 2294

« Elle court. Un paquet drapé hâtivement est serré contre son coeur. Étriqué dans une étole rapiécée, il semble s'agiter sous la pâleur de la lune. Elle s'y accroche avec une fureur déterminée, et fuit prestement, avant qu'ils ne la rattrapent. Cette ville, elle la connaît comme sa poche. Cette ville, c'était le théâtre de leur amour. Caleb et Olga. Olga et Caleb. Ils étaient les deux roues du vélo, le Pôle Nord et le Pôle Sud, le sel et le sucre, la glace et le feu. Le capitole et le district. Ils étaient.
Il semblerait que chaque coin de cette rue soit le témoin de leur histoire. Ce banc les a vus s'embrasser, et ce croisement les a entendus se quitter. Ici, ils ont vécus.
Ils n'auraient jamais dû se rencontrer. Ils n'auraient jamais dû se quitter. Mais un garçon du capitole et une jeune fille du district 3, ça n'est pas fait pour s'aimer. Il est trop tard. Ils sont trois, maintenant. Caleb, Olga et Rhéza. Une petite fille. Leur petite fille. Elle est née l'après-midi même. Aux premières liesses et éclats de joie succèdent les inquiétudes et la terreur. Comment allaient-ils faire ? Ils ne pouvaient pas l'élever ici. L'origine d'Olga serait tantôt vite découverte. Elle devait s'en aller. Fuir. Regagner le district 3.
Alors elle court, pour essayer de la sauver. L'emmener loin, la ramener à la maison. Cela fait maintenant plusieurs heures qu'elle est sortie de l'hôpital, les pacificateurs ne devraient plus mettre longtemps à se rendre compte qu'une habitante de district a infiltré le Capitole.
Elle ne réfléchit plus, elle ne pense même plus. Elle n'est qu'un corps, qu'une mission. Le train. Atteindre le train. Regagner le district. Encore... quelques... mètres. Sauter dans le train. Vite.
Elle a réussi. Elles sont en sécurité, à présent. Il n'y a désormais plus qu'elle, Rhéza, et la promesse de revoir Caleb. Peu importe le risque, peu importent les obstacles. Ils seront à nouveaux trois, un jour. Caleb, Olga, et Rhéza. Rhéza. Elle était saine et sauve. Elle avait réussi. Cette pensée suffit à réchauffer le coeur d'Olga. Elle soulève tendrement le châle qui voile le visage de son enfant, en souriant. Sourire qui laisse place à un rictus d'effroi. Il y avait bien un bébé, dans le foulard. Mais ce n'était pas Rhéza. »

5 MARS 2296

Le premier bourgeon de l'année. Une fleur qui croît, un rayon de soleil diffus, autant de petits riens qui illuminent une journée. Comme pour nous montrer que l'espoir existe encore, dans ce monde. Elle sourit. Pour la première fois depuis bien longtemps, Olga se sent enfin apaisée. Au cours de ces deux dernières années, sa vie a ressemblé à un grand-huit. Alternant les hauts et les bas, les chutes et les monts, c'est comme si elle venait enfin d'arriver à la fin du parcours, auquel succède la quiétude et le bonheur. Enfin. Elle a appris à aimer son fils. Ce n'était pas Rhéza qu'elle avait retrouvé sous l'étole écarlate, et si au début elle rejeta ce fils dont elle n'avait pas voulu, elle finit par accepter cet enfant. Félix. A présent, il est sa vie, et elle chérit chaque instant passé en sa présence. Bien sûr, elle n'en oublie pas Rhéza. Un échange d'enfant. C'est à la fois si commun et si rare. Il suffit d'un instant de précipitation, on se penche sous le mauvais berceau et c'est soudain deux vies que l'on bouleverse. Non, plus que deux vies, c'est deux familles au destin contré, deux familles que l'on brise, deux familles qui vivent à présent avec l'enfant d'une autre. Il lui arrive souvent de se demander ce qu'est devenue Rhéza, à présent. Si elle est vivante.
Elle n'a pas revu Caleb. Alors elle se demande s'il pense à elle. Autant qu'elle pense à lui. Mais elle s'est résolu à tirer un trait sur le passé. A présent, elle se fait même appeler Anastasjya, ou Anja. Mais on enterre jamais totalement ses vieux démons.
Sa seule crainte aujourd'hui serait que Félix vienne à apprendre son histoire. Il vaudrait mieux que le passé se taise à jamais.

Mais ce serait trop beau.

JOURNAL D'ANASTASJYA-OLGA LANYS - 21 NOVEMBRE 2294

« Cher Journal,

J'ai réussi. Je me suis échappée du Capitole. Même si je ne vois pas où est la réussite là-dedans. Au contraire, j'ai tout perdu.
J'ai perdu mon amour. On s'est promis qu'on se reverrait. Mais je reste lucide : comment revoir Caleb ? C'est trop risqué de se rendre au Capitole, et je ne sais même pas si Caleb est encore en vie. Et même si c'était le cas (ce que j'espère), comment viendrait-il au district 3 ?
J'ai perdu Rhéza. Un stupide échange de bébés. J'ai dû me tromper de berceau. J'ai hérité d'un petit garçon turbulent, agaçant, pleurnichard, infatigable, odieux, jaloux, tyrannique. Mignon, mignon, mignon. Je le hais pour ce qu'il m'a fait, il m'a arraché Rhéza. Mais je ne peux pas m'empêcher de m'y attacher, à ce môme. Ce qu'il est mignon. Et merde.
Il faudrait que je lui trouve un prénom.. »

5 DÉCEMBRE 2294

« Cher Journal,

Toujours pas de nouvelles de Caleb. Cela fait déjà plus de deux mois que je me suis enfuie. Il me manque. Il me manque, il me manque, il me manque. Qu'est-ce qu'il me manque. Je ne pensais pas être capable de m'attacher autant à une personne.
Heureusement que le mioche est là. Je l'aime bien, ce gosse. Bien sûr, Rhéza me manque toujours autant et je le hais toujours, cela va de soi, mais... je crois que je l'aime. C'est qu'on s'y attache à ces bêtes là.
Faudrait VRAIMENT que je lui trouve un prénom.. »


21 JANVIER 2295

« Cher Journal,

Toujours pas de nouvelles de Caleb. (bis)
Félix grandit comme un champignon. Ah oui, je lui ai trouvé un prénom. Félix. Cela m'est venu spontanément, quand j'ai vu la tête qu'il faisait la fois où il a rencontré un chat pour la première fois. On aurait dit qu'il allait faire dans sa culotte (pour ne pas changer ! Les couches, c'est pas la joie) ! Il m'a fait rire. Mon premier rire depuis octobre.

Je réalise qu'il est devenu le seul intérêt de ma vie. . »

❝ but in the long run, there is still time to change the road you're on ❞

19 MARS 2311

Je referme les pages du journal d'un coup sec. Je déglutis avec difficulté et cherche un endroit où m'asseoir, pour encaisser les sentiments contradictoires qui vrillent mes neurones. Je n'en trouve pas. Alors je me laisse tomber à terre. On a tous déjà imaginé que l'on avait été adopté. Sauf que là, c'est pour de vrai. Et c'est tout de suite moins marrant. Je n'arrive pas à faire le point sur ce qui est vrai et ce qui ne l'est plus. Alors je saisis une feuille de papier et dresse un inventaire des choses dont je suis sûr qu'elles sont vraies. 1) Je m'appelle Félix Aleksei Dewytt-Lanys. Aussitôt, je raye cette première mention. Si ça se trouve, ma famille du Capitole m'avait déjà choisi un autre nom. Va savoir. Ma famille du Capitole. Rien que cette idée suffit à me donner des boutons. 1) J'ai grandi au district trois. 2) Ma mère m'aimait. 3) J'aime ma mère. 4) Ma mère est morte. Cela fait plus d'un an, désormais. Mais je crois que je ne l'ai toujours pas accepté. Elle était trop jeune encore. Une maladie l'a tuée. Pas emmenée, pas prise, non, tuée. Elle n'est pas "partie". Elle ne nous a pas "quittés". Elle est morte. 5)... J'hésite longtemps sur la mention 5. Mais à présent, je suis sûr de le vouloir. Il faut que j'y aille. Il faut que je le fasse. Je dois savoir. 5) Je dois enquêter sur mes origines. Je dois retrouver cette Rhéza. Je dois retrouver mes parents. Comment ? Je connais la réponse, au fond de moi. Mais je crois qu'elle m'effraye. C'est pourtant simple : il me faut aller au Capitole. Pour ça, il me faut un train. Et la liberté d'évoluer au sein de la capitale. Et des relations. Il y a un seul moyen d'y parvenir. Et j'ai décidé que j'y parviendrai. Alors, la main tremblante, je me saisis de la mine de plomb et entame ma sixième et dernière phrase :

6) Je vais participer aux Hunger Games.