Ocleore Délicie Desvance

❝ STILL LOOKING FOR HER OWN SPARK ❞

about games and relative.

C'est à elle. Ocleore se glisse dans le studio plongé dans la pénombre. Des lampes accrochées aux murs diffusent une lumière bleue, tout juste suffisante pour y voir, alors que la porte se referme derrière elle. Dans cette pièce, elle est seule. Ni public, ni présentateur, ni caméramen. Tout est automatisé. Ce soir, c'est bercée par la voix de Rex qu'elle répondra aux questions. « Ma première interview » songe-t-elle, un petit sourire aux lèvres. Sa première dans le rôle de l'interrogée.
Elle s'approche de l'unique fauteuil, perché sur une estrade au centre du studio. Le bruit de ses talons hauts contre le sol résonne contre les murs. Elle s'installe. Rex lui souhaite la bienvenue depuis les haut-parleurs installés dans les coins.
Et ça commence.

➺ TA MORT TU LA VOIS COMMENT ?

Eh bien... Voilà une question surprenante. Je ne pense choquer personne en avouant n'y avoir jamais réellement songé. Ma vie est bien trop chargée pour m'en faire à ce propos. Mais bon, puisqu'il faut que je réponde... Je vois ma mort très lointaine. Mourir après une vie bien remplie, n'est-ce pas le rêve de tout un chacun ? Mourir pour avoir voulu aller au bout d'une enquête cruciale serait une belle mort d'après moi. Quoique, si l'on en vient à mourir au cours de cette enquête, c'est que le travail a été mal fait. Donc, désolée, mais je ne sais vraiment pas quoi vous répondre.

➺ POUR QUI/QUOI POURRAIS-TU MOURIR ?

Pardon ? Je suis désolée Rex, je n'ai rien dit avec la première, mais là c'est moi qui commence sérieusement à me poser des questions. Qu'est-ce que c'est que cette interview ? Vous comptez m'envoyer dans l'Arène ? Pour vous répondre malgré tout, je pourrais mourir pour certains de mes proches, surement. S'il devait leur arriver quelque chose, je ferais mon possible pour leur venir en aide, quitte à prendre des risques. Comme je l'ai déjà dit, une investigation pourrait aussi causer ma perte, même si au quotidien je fais tout pour ne pas me lancer dans des défis inconsidérés.

➺ QUEL PETIT PLUS T'AIDE DANS LA VIE (OU JEUX) ?

Ah, je vois que vous m'avez comprise. Eh bien, je pense que ce qui m'aide dans la vie, c'est avant tout ma sociabilité. Je ne dis pas que tout le monde souhaite faire partie de mes amis, loin de là, mais – sans trop m'avancer – je crois pouvoir dire que je me lie facilement avec les gens. Je me sens toujours à mon aise, même si la ou les personne(s) me déteste(nt). C'est un outil majeur quand il est question d'interviewer quelqu'un. Vous devez bien le savoir, ça, Rex. Savoir créer une intimité avec la personne en face de soi, la faire se détendre en votre présence, titiller ses sensibilités... Ce sont par des techniques comme celles-ci que l'on recueille des scoops, et qu'on devient un bon journaliste.
Oh, mince, j'en ai peut-être trop dit. Avec ça, si je ne me fais pas éclipser dans les prochaines semaines... *clin d'oeil*

➺ APPRÉCIES-TU LE VISIONNAGE DES JEUX ?

*quelques instants de silence*
Oui et non. Voir des enfants s'entretuer n'est pas la grande passion de ma vie, et si je peux m'épargner tous les déferlements de sang, alors je le fais. Mais malgré tout, je trouve les Jeux intéressants d'un point de vue psychologique. C'est dans les situations extrêmes que les personnes révèlent leurs plus grandes qualités, ou leurs pires défauts, on l'a toujours dit. Et observer les réactions de ces jeunes face à la mort permet de comprendre toute la profondeur de leurs personnalités, qu'on ne fait qu'entrevoir au cours de la Moisson et des interviews.
Je regrette quand même qu'ils ne fassent rien de surprenant. Ils vont mourir, qu'ont-ils à perdre ? Eh bien non, ils se contentent de dormir, de manger, de courir, de tuer.
Cependant, je me dis parfois que leur situation est triste.

➺ COIN A ANNONCÉ LORS DES DERNIERS JEUX PAR MESSAGE PIRATE QUE LE TREIZE EXISTAIT TOUJOURS. TU ESSAIES DE TE JOINDRE À EUX OU AU CONTRAIRE, TU FAIS TOUT POUR STOPPER CETTE RÉVOLTE ?

Ça ne me concerne pas. Je fais mon métier. J'enquête, je retranscris, je partage. Point. Je ne compte pas me torturer l'esprit pour savoir où est le bien, où est le mal. Ils sont tous deux partout. Le Capitole est ma maison, si des perturbations venaient à se faire sentir, je m'en irais. Mais je ne compte pas prendre parti. Trop de conséquences. La seule chose que je demande c'est de pouvoir continuer à exercer mon métier. Le reste, sans moi.
Par contre, je tiens quand même à reconnaître aux rebelles un certain talent. Arriver à pirater comme ça les chaines nationales, chapeau.




Ocleore souhaite une bonne soirée, et sort. Sans passer par sa loge, elle rejoins celle de Rex. Si certaines questions ne doivent pas être posées, alors certaines réponses ne doivent tout simplement pas être diffusées.
L'émission enregistrée ne passera jamais sur les ondes.
On n'est jamais trop prudent.

tell us your story.

« Elle est jolie la fille du quatre. » Cela avait commencé par cette phrase. Aussi innocente soit-elle, prononcée par son frère un matin de 2297.
Ocleore était alors âgée de onze ans, et travaillait dans la salle de séjour avec son professeur particulier. Papa et Maman, souvent au travail, avaient choisi cette solution pour garantir à leurs enfants une éducation de choix malgré leur quasi-absence. Ça ne dérangeait pas leur fille qui trouvait le précepteur gentil, et adorait apprendre.
Au contraire de Célion. « Viens voir, Cléo ! » Soupirant intérieurement, elle s'excusa auprès de son professeur et le rejoignit dans la salon. « Tu ne devrais pas passer ta journée devant ça, ce n'est pas sain.
— Devant les Jeux ?
— Non, la télé. »
Âgé de tout juste huit ans, il ne manifestait pas la moindre goutte d'intérêt pour les études. A la place, il restait avachi devant le poste de télévision, et suivait chaque actualité ayant trait – de près ou de loin – aux Hunger Games. Les Jeux avaient commencé il y a trois jours, et le décoller de là était devenu chose impossible. « Je parie sur elle !
— Ce ne sera pas la peine. »
Une flèche venait de surgir depuis les buissons derrière elle, la prenant pour cible. La jeune tribut du quatre, qui ne devait pas avoir plus de treize ans, se mit à courir. Le paysage désertique filait autour d'elle tandis qu'elle abandonnait l'oasis, seule garantie de survie dans cette Arène. Une caméra fit un zoom sur son visage terrifié. La réalisation devait opérer un travail de folie, car grâce à cet angle, les spectateurs purent pleinement apprécier la trajectoire de la deuxième flèche à l'arrière plan, avant qu'elle ne se plante dans le dos de la fillette. Quelques secondes plus tard, le coup de canon retentissait.
Ocleore regarda son frère, dont le visage se couvrait peu à peu de larmes. Elle voulut le prendre dans ses bras, mais après un court instant de flottement, il la repoussa et courut se réfugier dans sa chambre.
« Ce ne sera pas la peine... » répéta-t-elle pour elle-même.

♦_♦_♦_♦

Bavardages, éclats de rire, gloussements.
Ça grouille et ça crie dans chaque recoin du Grand Cirque.
L'excitation était palpable. Chaque capitolien présent n'attendait qu'une chose : l'arrivée de Caesar Flickerman et des tributs de cette 66th édition des Hunger Games.
Pour la deuxième année de suite, Célion tenait à voir les tributs en chair et en os. L'an dernier, c'était au défilé qu'il l'avait trainée, et le spectacle l'avait fasciné à tel point que même Ocleore s'était sentie mal à l'aise. Elle s'inquiétait pour son frère et sa manie de choisir chaque année une favorite qu'il adulait pendant les deux, trois, voire quatre – si elle était chanceuse – derniers jours de sa vie. Dès qu'elle mourait, c'était comme s'il perdait le goût de vivre. Il restait dans cet état apathique pendant quelques jours, une semaine, deux les années où il était en forme, puis reprenait finalement des couleurs. Jusqu'à la Moisson suivante.
« Ils arrivent ! »
En effet, les tributs du district un approchaient du plateau, suivis des vingt-deux autres, en file indienne. Certains faisaient peine à voir, la démarche hésitante, le visage décomposé. Ils n'avaient jamais vécu cela : les projecteurs, les caméras, le public. Ce que la vie dans les districts devait être... plate.
« Regarde, elle est là, à gauche... »
Cette année, c'était la fille du trois qui recevait ses faveurs. Elle s'était portée volontaire après le tirage de sa petite sœur. Le coup classique, mais qui faisait toujours son petit effet. Pour une fois, Ocleore comprenait le choix de son frère. Ginger Monvois... Peut-être saurais-tu rendre cette édition intéressante ?
Son attention se détacha pourtant rapidement de la jeune tribut, et flotta allègrement pendant plusieurs minutes avant de trouver une cible. Chaque personne sur le plateau était une déception ambulante, une bougie en déclin. Tous sauf Caesar. Lui incarnait véritablement quelque chose. Par sa manière de s'exprimer, il parvenait à faire redresser la tête aux tributs les plus timides, à faire briller même les plus insipides d'entre eux. Tantôt admiratif, tantôt ému, tantôt amusé... Cette manière de jouer avec lui-même éveillait l'intérêt et la curiosité d'Ocleore. Pendant toute la durée de l'émission, elle garda les yeux rivés sur lui. Elle tentait de capter chaque mot, chaque geste, chaque mimique. Chaque détail de ses masques. Elle avait décidé d'appeler ces changements d'attitude de cette manière, car une seule personne ne pouvait vraisemblablement pas ressentir tant d'émotions différentes toutes les trois minutes. C'était... fascinant. Les tributs devenaient presque sympathiques. Les robes, maquillages, fanfreluches, tout ça n'était que de la poudre aux yeux et les sponsors ne comptaient que peu là-dessus. Mais la personnalité d'une personne, ça ne se met pas en doute. Alors arriver à les souligner...
Quel beau métier.

♦_♦_♦_♦

TOC TOC TOC.
Aucune réponse.
Ocleore actionna doucement la poignée et pénétra dans la chambre de son frère. Le mot « chambre » était cependant un bien grand mot au regard de cette pièce. Une pile de vêtements sales tenait en équilibre précaire à droite de la porte, menaçant de s'effondrer sur le lit à tout instant. Les volets fermés et l'absence de lustre empêchaient Cléo de distinguer son frère dans la pénombre. Plaçant une main sur son nez, elle fit quelques pas mal assurés en direction de la fenêtre. Ses talons hauts lui compliquaient la tâche et son genou heurta rapidement le coin d'un meuble. La douleur afflua aussitôt, l'obligeant à prendre appui sur le bureau le temps de se remettre. Quelques respirations plus tard, elle reprit sa traversée, plus prudemment cette fois. Arrivée à l’extrémité de la pièce, elle appuya sur le bouton actionnant l'ouverture des volets et la lumière pénétra enfin dans la chambre.
Célion se trouvait allongé en travers du lit, recroquevillé sur lui-même. Ocleore s'approcha et prit place au bord, près de sa tête.
« Célion ? »
Une vague grognement se fit entendre en réponse. Il ne dormait donc pas comme elle l'avait d'abord suspecté.
« Je suis désolée pour Jennifer. »
Cette fois, pas de réaction. Jennifer était le prénom de sa favorite, pour cette 73th édition. Elle avait été tuée la veille, alors qu'elle dormait, d'un coup de couteau dans le dos. Avec les onze tributs restants, il allait falloir préparer les premières interviews de leurs proches. On attendrait jusqu'à ce que les huit derniers soient confirmés, mais les équipes devaient déjà être sur place et avoir pris leurs marques pour pouvoir être prêtes à tout moment.
Ocleore avait tenu à annoncer la nouvelle elle-même à son frère, sans y aller par quatre chemins. « Je m'en vais. Pour s'assurer de mes capacités, Terencio Cônrone me prend comme assistante pour ses interviews au district un. » Là non plus, il ne répondit rien. Se mordillant la lèvre, Ocleore laissa une dizaine de secondes s'écouler avant de reprendre la parole. « A mon retour, d'ici à quelques semaines, tout dépend des... résultats, j'emménagerai près de ma rédaction. » Elle s'apprêtait à poser sa main sur le bras de Célion, pour vérifier qu'il l'écoutait, lorsqu'il émit ses premiers mots intelligibles de toute la conversation. « Et ? » Bon, son premier mot intelligible, plutôt. Sans laisser paraître sa surprise, Ocleore lui répondit : « Tu sais que c'est loin. Je me suis débrouillée ces derniers temps, mais mon emploi du temps va considérablement s'alourdir dans les prochains mois. Il va m'être difficile de trouver du temps pour... pour passer. Je suis venue te dire au revoir. »
Elle n'avait pas voulu introduire cette note dramatique à leur séparation. Cela pouvait même sembler trop. Mais l'excentricité du Capitole était sienne, et rien n'était jamais exagéré pour les gens comme eux.

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Mais d'où ont-ils pu me sortir ça ?
Un train qui avait déraillé deux ans plus tôt. En pleine cambrousse, quelque part au sud du district huit. Aucun mort. Aucun blessé. La seule raison d'être de cet article résidait dans le témoignage d'une passagère, styliste retraitée, qui avait juré entrevoir par la fenêtre ce jour-là le fantôme de son petit-fils disparu. En quoi cela pouvait justifier la publication de ce fait divers ? Tout simplement car « cette vision n'était que le premier rouage d'une conspiration du district treize visant à déstabiliser les honnêtes capitoliens en leur faisant revivre leurs traumatismes ! »
Ocleore soupira et entreprit de se masser les tempes pour se calmer. C'était sa faute après tout, elle avait insisté pour qu'on lui fournisse du travail pendant sa mission au district douze. A l'occasion de cette 74th édition des Jeux, on l'avait laissée voler de ses propres ailes. Ainsi, c'était elle qui dirigerait son équipe de tournage et poserait les questions – qu'elle aurait elle-même préparées – aux proches des tributs.
Cependant, cette opportunité était une belle arnaque. Les tributs du douze étaient des spécimens de haut niveau, on en avait rarement vu d'aussi peu dégourdis. Par un concours de circonstances, la fille s'était retrouvée parmi les quinze derniers. Mais ses heures étaient comptées, elle ne ferait jamais partie des finalistes. Ocleore ne se rendait dans le district douze que pour la forme, juste le temps d'apprendre la mort de la fillette, et elle n'aurait plus qu'à faire demi-tour. Voilà pourquoi elle avait quémandé un sujet d'article à rédiger, afin de s'occuper dans le train. Seulement, qui confirait un sujet important à quelqu'un dans l'incapacité de communiquer son article dans les deux semaines ? Elle savait qu'elle allait se retrouver avec la dernière information de la liste. Mais ça ? Un simple outil de propagande... Voilà ce qu'on lui avait refilé...
Quelque chose vint soudain extraire Ocleore de ses pensées moroses. Il lui semblait que le train... ralentissait. Un rapide coup d’œil à sa montre vint lui confirmer ce qu'elle redoutait : ils n'étaient censés atteindre la gare du district 12 que plusieurs heures plus tard. Peu à peu, les autres passagers se réveillaient à leur tour, et se mettaient à regarder par les fenêtres à la recherche d'un élément qui justifierait l'arrêt du train au beau milieu de nulle part.
Un mécanicien traversa alors le wagon, provoquant agitation et nervosité tandis que de nombreuses questions fusaient. Les ignorant totalement, le jeune homme disparut par la porte de l'autre côté. Sa curiosité piquée au vif, Ocleore se leva de son siège et entreprit de le suivre. La voiture suivante ne contenait rien de notable, sa seule particularité résidait dans la lourde porte qui barrait le côté opposé. Celle-ci était entrouverte, et de là où elle se trouvait, Ocleore distinguait vaguement des bennes remplies. Vaguement, puisque le mécanicien lui cachait une grand partie de l'ouverture. Usant de toute la discrétion dont elle était capable, elle le rejoignit puis, d'une voix faible, demanda : « Vous pouvez bien m'expliquer ce qui se passe ? » La surprise qu'elle lut dans son regard quand il se tourna vers elle valait à elle seule l'impétuosité dont elle avait fait preuve. Il s'en remit rapidement cependant, puis après quelques instants d'hésitation, lui répondit : « Il y a des branches sur la voie, elles sont en train d'être retirées. Nous faisons tout pour reprendre le voyage dans les plus brefs délais et les meilleures conditions... Ne vous inquiétez pas et retournez à votre place, je vous prie. » Elle aurait pu y croire. Ces paroles étaient là pour réfréner toute ardeur mal placée chez son interlocutrice en la ramenant à une situation banale et aisément gérable. Elle aurait pu écouter sa demande, oui. Si un bruit sourd provenant de l'extérieur n'avait pas réduit à néant tous les efforts du jeune homme. Des gens se trouvaient là, dehors, en train de faire quelque chose près des bennes. Ocleore ignorait ce qu'elles contenaient, surement des fournitures ou de la nourriture. Mais un chargement ou déchargement à cet endroit était tout bonnement inconcevable. Ne restait qu'une possibilité. Une attaque ? Des rebelles ? Tout prenait sens. Les branchages avaient été posés pour forcer le train à s'arrêter, offrant ainsi l'occasion aux rebelles de se ruer sur les ressources. Le cœur d'Ocleore se mit à battre plus rapidement dans sa poitrine. Elle ne pouvait pas faire demi-tour.
Un autre bruit attira alors son attention, beaucoup plus proche cette fois. Cette prise de conscience lui avait fait totalement oublier le mécanicien, dont le poing venait de heurter le métal de la porte. Ocleore se demanda soudain ce qu'il faisait encore là, pourquoi il n'allait pas prévenir quelqu'un ou tenter de stopper l'attaque lui-même. C'était son travail après tout. Mais il semblait... confus. En proie à une hésitation, à un déchirement extrême. Même dans les districts, on ne devait pas frapper les murs juste pour le plaisir, non ? Il se retourna alors vers elle, et leurs regards se croisèrent. Il lui grogna de retourner à sa place. Et aussi étrange que cela puisse paraître, Ocleore eut envie de rire. Là, dans ce train qui était la cible d'une attaque rebelle, face à un mécanicien torturé, les coins de sa bouche remuèrent. C'était stupide. Elle était stupide, elle le savait, mais l'hilarité qu'elle sentait poindre au fond de sa gorge était bel et bien là, prête à prendre possession de son corps.
C'est alors que le jeune homme ouvrit en grand la porte et s'extirpa du wagon. D'abord aveuglée par ce soudain afflux de lumière, Ocleore réagit cependant et alla se plaquer contre l'un des murs. La scène qui se déroulait à l'extérieur du train avait quelque chose... d'irréel. Pourquoi cet homme était-il directement allé frapper un rebelle ? Sans y connaître grand chose dans ce domaine, il lui semblait que menacer ces gens, tenter de les éloigner des bennes, leur reprendre leurs provisions des mains, étaient autant de bonnes manières de parer l'attaque. Quoique, peut-être comptait-il sur l'effet de surprise ? Une chose était sûre, sa technique n'était pas efficace. Ou bien, il agissait volontairement pour ne pas les repousser. Était-il lui même un rebelle ? Cela ne répondait qu'à moitié au problème. Il les aurait aidés, si tel était le cas. Que cachait-il ?
Pendant ce temps, le combat tournait clairement à son désavantage. Alors que le premier lui rendait ses coups, un deuxième rebelle les rejoignit. Le jeune homme tituba puis s'effondra rapidement au sol. Durant les dix secondes qui suivirent, ses attaquants se regardèrent à tour de rôle, puis jetèrent un coup d'œil dans la direction d'Ocleore. La distance et le surplus de luminosité devait suffire à la camoufler, ce qui ne l'empêcha pas d'appréhender leur examen. Semblant préférer la prudence, ils s'enfuirent à travers la plaine, plusieurs kilos de nourritures en mains.
Elle attendit une, puis deux minutes avant de se décider à quitter sa « cachette ». Avec précaution, elle descendit du wagon, et fit ses premiers pas sur la voie. Plus elle avançait, moins ce qui venait de se passer lui semblait réel. Cela s'était déroulé si rapidement qu'elle avait l'impression d'avoir rêvé. Cependant, le corps du mécanicien à moitié étalé sur les rails était là pour le confirmer. Ocleore ne se trouvait plus qu'à quelques pas lorsqu'il se redressa. Il ne semblait pas l'avoir remarquée, et ce ne fut qu'une fois debout que son regard capta celui de la jeune femme. Elle crut lire une certaine paix sur son visage, avant qu'il ne retrouve l'expression – ou plutôt, l'inexpression – qu'elle lui avait connue jusqu'alors, en prenant conscience de sa présence. Elle aurait aimé dire quelque chose, justifier sa situation, mais nulle parole ne voulait franchir ses lèvres. Qu'aurait-elle pu dire ? Que sa curiosité morbide l'avait poussée à observer la scène sans intervenir ? Qu'elle le soupçonnait d'être un rebelle ?
Ils continuèrent de se jauger mutuellement du regard, puis Ocleore tourna les talons. Les évènements étaient trop récents dans sa tête, elle voulait prendre son temps pour se les remémorer. Les conclusions hâtives ne mèneraient à rien.

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Timothy Coldbeck.
Elle pouvait enfin mettre un nom sur ce visage qu'elle passait et repassait dans sa tête depuis plusieurs jours. L'interlude au district 12 avait été de courte durée, comme prévu. Deux heures à peine après leur arrivée, ils auraient pu rentrer chez eux. Mais il faisait déjà nuit, et par mesure de sécurité après l'incident dont ils avaient été victimes, le conducteur du train avait cru bon de se poser ici pour la nuit. Ocleore et son équipe avaient été hébergées à l'hôtel de ville, dans un confort tout à fait relatif de leur point de vue mais d'une remarquable qualité si l'on considérait dans quel district ils se trouvaient. C'était au cours de la matinée suivante qu'ils avaient rembarqué, une fois le train déchargé d'une partie de ses marchandises et rechargé en charbon.
Il se dirigeait à présent vers l'Ouest à une allure soutenue. Les arrêts se feraient plus rares qu'à l'allée, il ne leur faudrait guère plus d'une journée pour rallier le Capitole. Temps qu'elle comptait bien mettre à profit pour résoudre le mystère Coldbeck, ou au moins obtenir le plus d'éléments possibles. Pour l'instant cependant, les choses ne se déroulaient pas exactement comme elle l'avait prévu.
« Voilà les éléments dont je dispose. » lui dit-elle en repoussant les documents vers lui.
Qui mieux qu'un agent de maintenance pouvait l'aider à rédiger son article sur un accident de train ? C'était munie de cet argument qu'elle était venue le voir, une heure plus tôt, pour obtenir son témoignage. Ce n'était qu'une excuse, elle n'était même pas sure de vouloir rendre cet article. En apprendre davantage sur Timothy Coldbeck semblait la meilleure façon d'exploiter ces faits.
Malgré son accord, il ne paraissait pas faire preuve d'une grande volonté. D'ordinaire, Ocleore parvenait à obtenir ce qu'elle voulait en quelques questions. Tout résidait dans le ton, l'attitude, le regard... Mais cette fois, peu importait son jeu, il ne faisait que répondre à côté ou par des explications techniques toutes plus inintéressantes les unes que les autres. La situation devenait très frustrante. Surtout que quelque chose chez son interlocuteur lui murmurait qu'il agissait expressément. « Ecoutez, y a-t-il dans ces documents le moindre indice laissant penser à un coup monté des rebelles ? » Elle faisait son possible pour paraître le plus détachée possible tout en guettant n'importe quel tic traître qui pourrait traverser son visage. Mais il n'y avait rien. Ce mécanicien était plus retord qu'il n'y paraissait, et cette attitude contrastait énormément avec ses débordements lors de l'attaque. Il l'intriguait de plus en plus. Cependant, alors qu'il pointait un détail dont ils avaient déjà parlé, une sonnerie résonna dans le wagon. Haussant les sourcils, Ocleore regarda autour d'elle à la recherche de ce qui pouvait provoquer ce bruit. La source ne devait pas se trouver bien loin, et en effet, une dizaine de secondes plus tard elle saisissait son accoudoir et en extirpait ce qui ressemblait à un combiné de téléphone. « Allo ? » Une voix qu'elle connaissait bien retentit à l'autre bout du fil « Maman ? » S'il y avait bien une chose qu'elle ne s'attendait pas à recevoir, c'était bien un coup de fil de ses parents. Cela faisait des semaines, peut-être des mois, qu'ils ne s'étaient pas parlé. « Qu'y a-t-il, pourquoi tu m'appelles ici ? » D'abord, le silence. Puis sa mère s'anima enfin : « C'est Célion. Tu es seule là ? » Voilà qui lui ressemblait bien. Commencer à annoncer une nouvelle, puis s'arrêter pour s'assurer que personne ne puisse en être témoin par erreur. « Attends. » Timothy l'observait en silence, sans laisser transparaître la moindre émotion. Elle ne voulait pas être dérangée, et la conversation qu'elle allait avoir avec sa mère ne concernait qu'elles. Ocleore plaqua le combiné contre son épaule, le temps de chuchoter à l'adresse du jeune homme : « Je suis désolée, mais je vais devoir reporter notre entretien. Vous pouvez disposer. » Elle n'avait pas vraiment voulu lui parler de cette manière, mais elle sentait monter en elle une angoisse sourde qui la poussait à agir sans trop réfléchir. « Voilà, c'est bon. » reprit-elle, une fois Timothy parti. « Alors... Tu n'étais pas là, mais la dernière favorite de ton frère... eh bien, je ne crois pas l'avoir jamais vu dans des états pareils. C'était bien plus fort qu'avec toutes les autres. » Elle s'arrêta pendant quelques secondes, le temps de reprendre son souffle. On aimait les mises en scène dans la famille. « Quand elle est morte... Il n'a pas réagi. Rien. Pas la moindre crise, pas la moindre larme. Ton père et moi avons d'abord cru que ça ne lui faisait plus rien, qu'il s'était enfin remis de sa lubie. Et puis... Il est venu nous voir le lendemain, les yeux cernés, et nous a annoncé son départ. » Cette fois, elle garda le silence plus longtemps. Surement pour laisser le temps à sa fille de recevoir la nouvelle. Ce n'était pas la peine, elle n'avait pas besoin de temps, mais de savoir exactement ce qui s'était passé. Son frère voulait partir ? Mais où ? Pourquoi ? Elle eut envie de secouer sa mère pour qu'elle continue. « Oui ? » Un léger hoquet de surprise lui parvint. « Eh bien, il nous a dit vouloir quitter le Capitole, rejoindre les Pacificateurs... » Là, ce fut Ocleore qui ne put ravaler son étonnement. Célion chez les Pacificateurs... C'était tout bonnement impensable. « Mais chérie... Il y avait quelque chose d'autre. Je ne sais pas, ton père l'a senti lui aussi. Il ne nous a pas tout dit. » Évidemment, eut-elle envie de répondre. Un départ du jour au lendemain cache toujours quelque chose, surtout là où il paraissait totalement injustifié. « C'est tout ce qu'il vous a dit ? » demanda-t-elle alors. « Non. Il nous a interdit de te prévenir immédiatement. A l'origine, on était même censés attendre ton retour. » Pardon ? « Attendez, qui était la fille de cette année ? Quand tout cela s'est-il passé ? » Long silence. Pas de mise en scène cette fois. « Je ne me rappelle plus de son nom, mais elle est morte à la Corne. » Non. Non, ça ne pouvait pas être possible. Son frère ne pouvait pas être parti alors qu'elle se trouvait encore au Capitole... Tout cela était complètement surréaliste. « Et vous l'avez laissé partir, là, comme ça ? »
Sa mère ne lui répondit pas cette fois. Ocleore crut l'entendre bredouiller un au revoir approximatif, avant qu'elle ne raccroche. Elle resta assise là, immobile, pendant de longues minutes, partagée entre frustration, tristesse, colère et curiosité. Célion... Son frère... Il avait demandé à leurs parents d'attendre son retour. Il devait redouter qu'elle ne cherche à le retenir. Elle n'était pas comme leurs parents, à simplement accepter la situation. Elle ne l'aurait pas laissé partir jusqu'à ce qu'il lui ait expliqué les raisons précises de son départ. Et même là...
Elle n'arrivait pas à y croire.

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