tell us your story.

« Tu voles des fruits maintenant Flynn ?

L'accusation me fait sursauter et lâcher brutalement la pomme avec laquelle je joue avant de constater qu'il ne s'agit que de Listien, mon voisin qui vient toujours flâner dans les champs après le travail. Il est âgé de 26 ans et lui aussi vit encore chez ses parents ; il s'en accommode très bien. Ils ne sont que trois à partager leur maison d'une surface équivalente à la notre. Je souris d'un air désabusé en pensant à la faute dont Listien m'accuse. Ici, le simple vol d'une pomme peut vous coûter la vie, alors qu'elle va peut-être pourrir dans une corbeille du Capitole sans jamais trouver preneur. Je me relève avec son aide et fourre le fruit dans ma poche après l'avoir ramassé avec empressement.

-Une partie est rongée. Le Pacificateur allait la jeter, il m'a laissé la prendre.
-C'est le soir de la Moisson, ta mère a sûrement préparé quelque chose.

Je reste planté là jusqu'à ce que Listien se rende compte qu'il marche seul. Je fixe d'un air absent la place centrale du district, qui semble plus vivante qu'à l'accoutumée. Une table dressée dehors est éclairée par les lumières des maisons voisines. Le bruits des couverts vient jusqu'à nous, accompagné de voix joviales. Toutes les familles font la fête, soulagées de ne pas être touchées une année supplémentaire par les Hunger Games – sauf deux.

« Flynn, qu'est-ce qu'il y a ?

Je suppose que son air agacé vient en partie de mon air blasé, mais aussi car la vue de la joyeuse bande lui donne envie de rejoindre le festin familial. Il reste néanmoins à mes côtés et se plante devant moi.

-La fille.
-Oui, et bien ?

Listien tente de prendre un air détaché, mais il sait pertinemment où je veux en venir. Lui aussi a traversé la période d'éligibilité pour les Jeux sans encombre, ce qui n'avait pas été le cas d'un de ses cousins lorsqu'il sortait à peine de l'enfance. Je me doute de ce qu'il pense. Plus vite il me laissera parler, plus vite il pourra rentrer goûter au ragoût de ses parents – s'il en reste encore.

-On se croisait tous les jours depuis des années, le matin – elle sur le chemin de son école, et moi quand je m'apprêtais à partir au travail. Je viens de réaliser qu'aujourd'hui était la dernière fois où on se saluait.
-Estime-toi heureux. Ça aurait pu être ta sœur à sa place.

La remarque me heurte, mais je dois réaliser qu'il ne se trompe pas. Je me demande tout à coup si ce que je viens de dire n'est pas indécent. Ce matin, le soulagement que j'ai ressenti en entendant un nom autre que celui d'Arum pour le tribut féminin n'avait pas de prix ; mais ai-je quand même le droit de compatir pour la malchanceuse et sa famille prochainement endeuillée ?

Listien s'impatiente, je le vois bien. Je le suis nonchalamment et nous regagnons notre quartier situé à l'extrémité des champs. Nous passons rapidement devant les habitations plus aisées, sans y prêter trop attention ; l'odeur de gibier qui parfume l'air nocturne me rappelle rudement que moi aussi, j'ai faim, mon dernier repas remontant au petit-déjeuner, composé de manière frugale d'une tranche de pain accompagnée d'une maigre portion de confiture. Listien rompt le silence lorsque nous arrivons devant le porche de ma maison.

-Arrête de ruminer tes pensées Flynn, tu auras bien d'autres occasions de te faire un sang d'encre. Et qu'est-ce que tu en sais, peut-être que dans quelques semaines elle sera à nouveau là pour te saluer les matins.

J’acquiesce de la tête avec enjouement, bien que je sache pertinemment que Listien et moi ne croyons pas un mot de ce qu'il vient de dire, et que nous n'avons aucune chance de la voir fouler à nouveau le sol du District 11. Pendant qu'il s'éloigne pour rejoindre ses proches, je repense à ce qu'il vient de dire. Oh ça oui, il y a encore tant d'années à tendre le dos pour la Moisson... Un sursis d'un an venait d'être accordé à mes frère et sœur. Dans cinq ans, toute ma famille sera épargnée définitivement de la cruauté du tirage au sort. Jusqu'à ce que la prochaine génération soit en âge de déposer son nom dans la boule en verre. Ou jusqu'à la révolte.

Je rentre rapidement à l'intérieur pour éviter la fraîcheur nocturne qui s'amplifie, et contourne habilement la table bruyante pour me passer les mains sous un filet d'eau. J'ai beau frotter mes ongles, ils restent imprégnés de poussière de charbon, comme une teinture indélébile. Je renonce – qui s'en soucie de toute manière ? - et prend place à table, auprès de mon frère Dram.
Dram est handicapé, ce que certains voisins appellent sans tact être attardé. A 28 ans, il a besoin de l'assistance de ma mère dans les tâches les plus simples de la vie quotidienne. Je me suis longtemps demandé pourquoi mes parents ne l'avaient pas confié au foyer communal lorsqu'ils s'étaient rendu compte de ses faiblesses. J'en ai honte maintenant, mais c'est après tout un geste relativement courant dans les districts pauvres. Certains n'ont pas le loisir de faire dans la compassion ; le calcul étant plutôt simple : une bouche supplémentaire à nourrir, deux forces de travail en moins en comptant celle de ma mère qui l'aide en permanence. J'ai fini par comprendre que c'était la mentalité de mes parents qui les avait convaincus de garder Dram auprès de nous malgré la charge qu'il représente, tout comme leur volonté de scolariser tous leurs enfants en dépit des salaires perdus que cette décision engendrait. Bien que sa maladie soit reconnue, mon frère n'a jamais été exempté de participer aux Hunger Games. C'est dans la logique du Capitole après tout ; marche ou crève.

-Plus qu'un an d'huile et de blé, profitons-en !

Je lève la tête à temps pour constater l'air fier de Bérel après sa remarque acerbe. Il a 17 ans, et c'est effectivement la dernière fois que ma famille bénéficiera d'un tessera, puisque nous défendons à ma petite sœur d'en faire de même. Il faudra trouver un moyen de pallier à cette insuffisance l'année prochaine d'une façon ou d'une autre, et j'espère que la scolarité d'Arum ne sera pas sacrifiée au bénéfice du ramassage dans les champs de coton. J'adresse un sourire à mon frère en coupant un morceau de miche. Il y a quelques années, lorsque nous étions quatre de ma fratrie à être simultanément éligibles, la nourriture était plus abondante grâce aux nombreux tesserae.

-Profitons alors de nos douze derniers mois de pain avant que tu ne sois définitivement rayé de la liste des potentiels tribus!

Si ce n'étaient pas les jeux qui nous ôtaient la vie, la faim viendrait tôt ou tard s'en charger.