FLASH BACK ● cinq ans plus tôt .

QIls étaient face à face, se jaugeant du regard, tentant de deviner au tressaillement incertain de leurs muscles fatigués qui allait attaquer en premier. Un craquement les fit sursauter, tous les deux, et d'un coup il se détendit et éclata d'un grand rire franc et libérateur « Je suis désolé, Prim, mais c'est tellement … nous devrions lutter ensemble, pas nous entretuer . ». La jeune fille, qui se cramponnait en tremblotant à son couteau l'abaissa d'un coup, sans pour autant relâcher son attention « Tu as raison . Ils sont encore cinq . L'un d'eux fera bien le travail à notre place . ». Rassuré qu'elle capitule aussi vite, il se baissa pour attraper son baluchon, un vieux sac rapiécé, duquel il sortit un briquet. Fascinée, Prim le regarda allumer le feu, ne pouvant détacher ses yeux de la flamme dansante qui se reflétait dans ses prunelles mordorées. Un geste, cependant, retint son attention. Quelque chose de luisant, de pointu, une machine pour infliger la souffrance, pour tuer. Elle n'hésita pas une seconde, et sans chercher à comprendre, elle enfonça sa lame dans l'abdomen de Yohann, puis elle la retira pour s'éloigner de la victime de cet acte morbide, le voyant se vider de son sang en retenant tant bien que mal ses larmes, sans succès . Ce n'était pas pour elle, qu'elle le faisait, c'était pour Lloyd, son petit frère, qui l'attendait, c'était pour lui qu'elle survivait. Une dernière fois, Yohann hoqueta en crachant du liquide rouge, lui lançant un regard d'incompréhension auquel elle répondit par un chuchotement discret « Désolé … » en espérant qu'il comprendrait. Mais comment comprendre ? Comment comprendre qu'à quatorze ans à peine, elle puisse ainsi planter un poignard dans le torse du frère de son ancien meilleur ami, sans parvenir à ressentir des regrets ? Elle frissonna, amère, ramassa ses affaires et s'enfuit dans la forêt artificielle alors que le premier coup de canon retentissait. Ils n'étaient plus que six.

FIN DU FLASH BACK

Dressée comme un i sur le haut de la falaise, contemplant les vagues qui s'écrasaient en bas, Prim passa une main dans ses cheveux pour en tirer la rose qu'elle y avait accrochée et la jeter dans une mer plus torturée que de coutume. Un hommage qu'elle rendait chaque semaine aux personnes qu'elle avait tué. La fleur était rouge, un rouge sang, le sang qu'elle avait versé délibérément. Mais cette fois, elle n'était pas venue pour Yohann, Billie, Rina, et tous les autres. Elle était venue pour Yannick. En cinq ans, elle aurait du trouver le courage avant sans doute, mais était venu le temps des excuses. Voila trop longtemps que ses meurtres lui pesaient sur le coeur. Un souffle, le vol d'un papillon dans l'horizon azurée, et elle le savait derrière elle. Il passait souvent dans le coin, ne serait-ce que pour aller travailler. Son coeur se mit à battre la chamade, appréhendant les explications qui s'ensuivraient, si seulement il acceptait de lui parler. « Yannick . » chuchota t-elle sans se retourner.

Le pire en le revoyant, ce n'était pas la culpabilité. C'était de comparer les traits de Yannick à ceux de Yohann et réaliser chaque fois à quel point ils se ressemblaient. N'était-ce pas les mêmes ridules qui se dessinaient au coin de ses yeux lorsqu'un rare sourire venait illuminer son visage ? Et la même lueur farouche dans leurs deux regards flamboyants ? Pourrait-elle un jour faire le deuil des vies qu'elle avait arraché, ou le point de non retour avait-il été atteint ? Les oiseaux, au loin, avait cessé leur chant, et la mer bruissait doucement, comme consciente du dilemme de la jeune femme. Des excuses, une bien maigre retour en proportion de la perte d'un être aimé - d'un frère. La chair de sa chair, le sang de son sang, un partenaire de jeu et un confident, voilà ce qu'à tout jamais elle lui avait enlevé en plantant ce poignard dans son ventre, en un geste lâche, une moue effrayé mais la main droite, raide, et affreusement précise. Elle n'avait pas douté de ce qu'elle devait faire, elle n'avait pas hésité, pas une seule fois, en tuant tous ces enfants pour le plus grand plaisir des Rois de ce monde, le Capitole qui se délectait de la souffrance des tributs, une main dans un paquet de chips, l'autre caressant possessivement un globe terrestre. C'est eux, qu'elle aurait du assassiner sauvagement, c'est à eux qu'elle aurait du s'en prendre au lieu de se plier sagement aux règles du jeu. Le regard de Prim se perdit dans le précipice. Il serait si tentant, pour elle, de sauter en bas et d'abréger sa douleur et ses remords. Si tentant de fuir les responsabilités qui lui incombaient, de fuir la vie qui devenait un insupportable quotidien de peurs et de regrets. Mais elle DÉSIRAIT survivre. Malgré tout, l'oxygène dans ses poumons, le vent dans ses cheveux et la caresse de l'embrun sur ses joues, voilà des raisons de rester. Des raisons de se battre pour ne pas s'abandonner doucement à la mélancolie. Ne pas abandonner. Jamais.

À sa grande surprise, Yannick se manifesta. Elle frissonna discrètement. Ce n'était pas le moment de montrer ses faiblesses. Inspirant pour en trouver le courage, elle se tourna dans sa direction, n'osant parler durant quelques minutes, se contentant de le jauger du regard, d'attendre un signe, n'importe quoi, l'incitant à parler. Mais rien ne venait, alors elle se contenta de murmurer, espérant qu'il ne la prendrait pas pour une mauvaise actrice ou une manipulatrice « Tu sais, il n'est pas un jour sans qu'il vienne me hanter pour me faire payer . » sa voix se brisa. Elle ne croyait pas aux fantômes. Il ne s'agissait pas d'un quelconque esprit frappeur. Elle n'osait plus lever les yeux, surprise elle même pas l'intensité de sa phrase . « Je ne voulais pas mourir. J'étais prête à tout. Même … à le tuer . » . On a déjà trouvé mieux, comme excuses, mais pas question qu'elle mente .

Désolée du temps de réponse, semaine particulièrement chargée ;__; .