Les premiers jours après mon départ du groupe avaient été faciles. Trouver de la nourriture était simple, je pouvais marcher deux à trois heures de plus par jour que lorsque je me trouvais avec Freya, et Logan, et la solitude retrouvée me rendait un brin nostalgique, dans le bon sens du terme. Rien n'avait changé. J'étais toujours le même, Dieu merci. Mais au bout d'un peu plus d'une demi-douzaine de jours, les choses s'étaient compliquées. Tout d'abord, on m'avait repéré à une trentaine de kilomètres du district treize, et on avait envoyé une dizaine de Pacificateurs à mes trousses. Ce fut la première fois que j'ai pris conscience que j'étais seul et qu'un seul faux pas entraînerait ma mort directement. Mon moral en avait pris un coup, d'autant plus qu'en fuyant, j'avais perdu mon fusil et j'étais parti sans penser à prendre mes couteaux. Impossible de faire machine arrière, j'avais simplement continué ma route. Inlassablement. Mais sans arme, impossible de chasser, et je m'étais éloigné de la rivière, si bien qu'à peine une semaine après l'incident, j'avais dû me rabattre sur une cueillette intensive. Je ne savais rien par rapport aux aliments toxiques mais j'avais trop faim. Alors pendant plusieurs jours, je n'ai fait qu'avaler des baies en priant que j'y survive. Aucune ne m'avait tué. Quelques unes m'avaient bien amoché. J'étais arrivé de justesse au district treize, sale, affamé, toutes les émotions que j'avais ressenti m'avaient terré dans un mutisme profond. Une baie que j'avais mangé avait commencé à faire pourrir mes plaies de l'intérieur, et arriver rien qu'une journée plus tard aurait été vain.

J'avais passé deux semaines à l'hôpital du district treize dans une salle isolée, on m'a fouillé une fois, puis deux, puis trois, on m'a interrogé sur le district onze. On m'a demandé si j'étais arrivé seul jusqu'ici. J'ai répondu que j'étais avec une fille de ma région et un autre garçon, mais que si ils n'étaient pas encore arrivés, ils devaient simplement être morts. Je parlais de Freya en feignant un détachement, rêvant toujours qu'elle soit vivante, saine et sauve. Mais les preuves étaient là : elle n'était pas arrivée chez les rebelles, et avait dû rencontrer les mêmes Pacificateurs que moi. Elle était morte. Dès lors, ma vie se résuma à m'entraîner et à servir la cause rebelle. Freya aurait voulu ça. La hallebarde se révéla être mon arme de prédilection, bien que je n'en ai jamais vu auparavant. Peu de gens osaient s'approcher de moi. Il fallait dire qu'en arrivant au district, j'étais en train de pourrir de l'intérieur, j'avais fait une entrée remarquée, et j'avais dû tout simplement faire peur à la majorité des habitants. Même si je pouvais prendre un nouveau départ, j'étais résigné à ne faire que ce que je devais faire. Me battre. Pas devenir l'ami de tout le monde. Juste être assez fort pour honorer Freya. Lentement, je fis mon deuil, tout en espérant que ses efforts se révèlent utiles. Plusieurs fois, je regrettais de l'avoir abandonnée, mais le souvenir amer de ses dernières paroles envers moi me revenait, et je finissais purement et simplement par me dire que j'avais exaucé ses dernières volontés. C'était donc un jour comme un autre. Rien d'intéressant. Je m'étais entraîné toute la matinée, ne prenant une pause qu'aux environs de dix heures, histoire de m'hydrater un peu et de discuter avec Georgia - l'unique personne qui arrivait à me côtoyer et à supporter mon sérieux et ma rigueur à toute épreuve.

L'avoir m'avait permis de ne pas sombrer dans un mutisme permanent, et je me sentais redevable envers elle, mais dans le bon sens. Notre amitié était basée sur un échange, et je me sentais aimé en retour pour la première fois. Mais malgré tout cela, je n'arrivais pas à être entier envers Georgia. Une part en moi continuait de croire en l'existence de Freya, ce qui rendait mes gestes et mon attitude bien plus calculé. A chaque fois que je faisais quelque chose, je me demandais toujours "Qu'est ce que Freya ferait à ma place ?", aussi masochiste que cela puisse paraître. Après ladite pause - qui n'avait dû durer qu'une dizaine de minutes tout au plus, je me remis en place, attrapant cette fois une épée en bronze, dont la lame lourde et épaisse pesait un peu trop fort sur mon poignet. Elle n'était pas équilibrée, mais je m'en accommodais rapidement. Je m'entraînais pendant une petite heure à enchaîner parades et bottes sur un mannequin en plastique. J'étais épuisé, certes, mais je ne pouvais plus m'arrêter. Je m'allongeai sur un banc, fermant les yeux pendant quelques instants. Un petit vertige. En même temps, je ne mangeais pas grand chose, à la salle de restauration. Nourriture un peu écoeurante, et trop de gens confinés dans un espace clos. La forêt m'avait habitué à être seul sur des kilomètres et des kilomètres. Après avoir repris mes esprits, je me mis debout, cherchant du regard quelqu'un dans la salle. Je devais m'entraîner encore et encore, et se battre contre un mannequin me semblait inutile. Je devais me confronter à un humain. Tout en rangeant mon épée et en attrapant ma hallebarde préférée, je mis un masque de protection - obligatoire. Je fis signe à une jeune fille - elle aussi affublée d'un masque similaire - de me suivre dans la partie réservée aux combats. Je n'aimais pas - plus ? - tellement parler, au point que je n'avais même pas demandé son avis à la pauvre rebelle. Mais bon, si elle était dans la salle d'entraînement, c'est bien qu'elle voulait se battre contre quelqu'un, non?

Je pouvais enfin enlever ce maudit bracelet autour de mon poignet qui m'obligeait à rester dans une certaine partie de la structure souterraine. Cela faisait du bien ! Pouvoir mettre de vrais vêtements .. Enfin, les vrais vêtements du district treize. Pas de place à l'individualité ici, on portait tous le même uniforme et il n'était pas très flatteur. Tout ce que je pouvais dire, c'était qu'il cachait avec brio ma maigreur affligeante. J'avais perdu un poids énorme lors des dernières semaines dans la forêt, et déjà que j'étais en dessous de la limite, mon air était cadavérique. On n'avait pas essayé de me rendre jolie à l'hôpital, en fait, on m'avait recousu et ça se voyait. Mon visage comportait plusieurs plaies qui avait un peu cicatrisé. Mon corps, couvert à présent, était couvert de bleus et de blessures diverses. D'un côté, c'était la preuve de tout ce que j'avais traversé pour venir ici. Le district treize existait, et j'en faisais partie. Dès mon arrivée, j'avais pris soin de demander avec le détachement plus grand si un certain Graham était ici, mais personne à l'hôpital n'avait pu me renseigner. Je n'avais pas perdu espoir cependant, ils ne semblaient jamais sortir des murs blancs qui nous entouraient tous, nous, les blessés. Je n'avais parlé à personne, à part Logan qui avait passé un peu de temps dans la même salle que moi et qui était ensuite venu me rendre visite chaque jour. Nos liens s'étaient renforcés, évidemment. Depuis que je lui avais demandé officiellement d'être mien, nous avions passé beaucoup de temps à en apprendre l'un sur l'autre. Bien entendu, nous nous étions aussi rapprochés physiquement jusqu'à passer beaucoup de nos soirées à s'embrasser au coin du feu. Je trouvais une certaine sécurité dans ce comportement et me disais qu'au moins, avec lui, il n'y aurait jamais d'histoires. Nous ne nous étions pas vraiment disputés depuis notre rencontre et j'espérais que cela reste ainsi. Après avoir pris place dans mes quartiers personnels, j'avais décidé de suivre mon emploi du temps, qui était bien affiché sur mon bras. Entrainement, hein ? J'avais hâte de voir ce que mettait à notre disposition le district treize. Ils étaient vraiment bien équipés et je me demandais toujours comment ça se faisait qu'ils n'aient pas montré leur présence plus tôt.

J'allais pouvoir aller à la salle à manger avec les autres, ne plus avoir dix mille infirmières autour de moi pour s'assurer que je vais bien et surtout apprendre. On m'avait dit qu'il y avait de nombreuses ressources, des livres et même des cours, et il me tardait de commencer tout cela. Le district treize était vraiment tout ce dont j'avais rêvé. Et après m'être suffisamment entrainée, je demanderai à aller sur le terrain, et enfin, je me sentirais utile. Nous étions à la fin de la matinée et je me dirigeais vers la salle d'entrainement avec le cœur léger. Toucher des armes me rappellerait surement tout ce qui s'était passé dans la forêt avec Graham mais .. Je saurais oublier tout ça pour me concentrer sur le positif. Contrairement à ce que je laissais voir, j'étais une fille très optimiste. Pourtant, avec ce qu'il m'était arrivé, c'était un peu dur. A quelques jours de notre arrivée dans le district treize, nous avions engagé une course poursuite avec les pacificateurs (et bien sur c'est eux qui nous poursuivaient) et j'avais fini par être blessée gravement à la jambe. Avancer avait été bien dur mais nous avions croisé des rebelles quand je n'en pouvais plus. Ils nous avaient rapatrié, j'étais resté dans le noir quelques jours avant de me retrouver dans la salle blanche.

Pour plusieurs semaines, je n'avais fait que penser. Maintenant, je voulais à tout prix agir. En rentrant dans la salle d'entrainement, je me mis à admirer les différentes armes qui étaient proposées. Que choisir ? Je voulais prendre l'arc, mais je m'étais tellement entrainée dans la forêt que cela n'était pas un challenge. Mon choix se porta sur une hache plutôt imposante mais que je pouvais porter à une main sans aucun problème. Je revêtis les protections nécessaires et commençais à m'entrainer seule, faisant tournoyer l'objet brillant dans ma main, l'autre, simulant un combat. Un autre rebelle masqué me fit signe et je supposa qu'il voulait que nous nous entrainions ensemble. Il me mena vers une partie à part et se mit en position de combat. Prise de cours, je commençais à manier la hache en faisant attention à ne pas le blesser réellement. Parer ses coups, en donner d'autres, sans se découper en petits morceaux. Je n'arrivais pas à prendre le dessus, comme il n'arrivait pas à le prendre sur moi, et je devins plutôt agacée. L'adrénaline parcourut mes veines et je me motivais pour être plus réactive. Ma vitesse revint et j'essayais des feintes pour le surprendre. Au bout d'un moment, fatiguée d'utiliser une arme, je la lâchais par terre et me jetais sur le jeune homme pour combattre au corps à corps. Il ne devait pas s'y être attendu puisqu'il tomba au sol et je fus capable de jeter sa hallebarde plus loin. Sous mon masque, s'étirait un sourire triomphant. Je l'avais battu ! Et il était surement ici depuis plus longtemps que moi. Ce temps dans la forêt m'aura au moins servi à quelque chose. Toujours au dessus de lui, je décidais de retirer son masque pour voir le visage. Se faisant, je pris une seconde pour reconnaître le visage qui était devant moi. Je lâchais précipitamment son col avant de me relever, toujours cachée entièrement. Je restais de dos une dizaine de secondes avant de me retourner vers Graham qui s'était lui aussi relevé. Décidant que ce ne serait pas sympathique de cacher mon identité, j'enlevais mon masque.

Je ne m'étais jamais réellement entraîné face à quelqu'un, et cela se voyait. Mes gestes étaient plus lents que ceux de mon adversaire, mais j'avais l'avantage de connaître des parades plus efficaces, ainsi que d'être réellement à l'aise avec mon arme. Quant à elle, elle était très rapide, assez imprévisible et particulièrement tenace. Au final, nous étions plus ou moins au même niveau, et plus notre combat avançait, plus j'étais épuisé et plus je m'amusais. J'avais à la fois envie que le combat se termine et qu'il ne s'arrête jamais. Finalement, elle lança sa hache au loin et se rua sur moi. L'effet de surprise fut au rendez-vous. Déstabilisé par son geste, je tombai à la renverse sur le sol froid et dur, grimaçant de douleur derrière mon masque. Pile sur ma blessure à l'épaule. On avait beau avoir éliminé la chair infectée et recousu la peau - un peu à la va-vite - ça me faisait toujours un peu trop mal lorsqu'on me touchait à cet endroit précis. Le souffle coupé, ma hallebarde trop loin pour que je ne puisse l'attraper, bloqué au sol par mon adversaire, je me sentis terriblement humilié. Par une fille. Une fille m'avait battu! Ma grimace s'agrandit, bien heureusement cachée par mon masque. La honte. Mais enfin, en même temps, c'était un véritable coup de débutant que de me sauter dessus. Aucun mérite à gagner comme ça. Et puis de toute façon, j'avais déjà plusieurs heures d'entraînement dans les pattes, et je n'étais pas au mieux de ma forme. Je pris une grande respiration, prêt à me débattre, mais c'était trop tard. Mon adversaire m'ôta mon masque rapidement et je ne pus m'empêcher de grimacer encore plus. Nous étions en contact trop proche et je détestais ça. Heureusement, elle se releva bien vite. Je roulai sur le côté, ce qui me permit d'arrêter la pression inutile sur mon épaule. Le dos endolori, je me mis à mon tour debout et récupérai mon masque furieusement. Au moins, personne ne m'a vu être mis à terre par une fille. J'avalai ma salive, fronçant les sourcils, alors qu'elle se retourna.

Quoi encore ? Elle avait eu le dessus, pas de quoi en faire un fromage, elle pouvait tout aussi bien partir s'entraîner dans une autre partie de la salle. A la place, elle enleva à son tour son masque, et je me sentis réellement, réellement mal. Freya. En chair et en os. Devant moi. Ses joues creuses témoignaient de ce qu'elle avait dû vivre dans la forêt après mon départ, et son beau visage était bien amoché, puisque la peau était encore un peu à vif à certains endroits. Mais ce qui me choqua le plus, c'était bien qu'elle soit toujours vivante. Pendant un instant, j'ai cru que j'étais en train d'halluciner, mais c'était bien la réalité. Freya n'était pas morte, et je m'étais infligé tout cet entraînement, toute cette auto-exclusion des autres gens, j'avais fait mon deuil.. pour rien. Mes dents se serrèrent rageusement. Je n'étais pas triste, pas heureux, mais bien en colère. Furieux d'avoir gâché mon temps à honorer la mémoire de quelqu'un qui vivait toujours. Toute la haine et le dégoût que j'avais essayé d'oublier remontèrent en surface et je dus me contrôler pour ne pas lui hurler dessus. Elle aurait dû être morte. Elle aurait dû mourir. Je me mis à penser à Logan, qui devait être dans les parages lui aussi. Si il avait survécu. Rien qu'à cette idée, mes mains se mirent à trembler et j'attrapai ma hallebarde pour ne pas faire de bêtises. Depuis combien de temps Freya était-elle au district treize ? Comment est-ce que j'ai pu ne pas la voir avant ? Je pensai un instant à déguerpir le plus vite possible, mais c'était tellement... tellement inutile, et stupide. Rien de tel pour me tourner en ridicule. J'avais tout autant à feindre l'indifférence. Après tout, elle s'en fichait, de moi. Je me devais de faire autant.

Quelque part, j'étais un peu heureux que Freya soit toujours en vie. J'avais toujours cette espèce de connexion à sens unique envers elle, et elle me rappelait la maison. Je pris appui sur ma hallebarde d'une main. Sans elle, je crois bien que je serais tombé encore une fois et que je me serais roulé sur le sol en pleurant. A la place, je fis un sourire froid à Freya. Est-ce que je lui avais manqué ? La réponse était bien évidemment non. Elle avait Logan. Pourquoi diable lui aurais-je manqué ? Bizarrement, connaître la réponse à mes interrogations m'apaiser. Au moins j'avais le contrôle sur quelque chose. « Salut, Freya. » je lançais comme si nous nous étions parlé la veille. Je fixais un point entre ses yeux pour éviter de sembler gêné comme je l'étais d'habitude. « Beau combat. Se ruer sur l'adversaire quand on est sur le point de perdre, c'est une technique de débutant, mais c'est assez efficace. » C'était plus facile que je ne le pensais d'être indifférent. J'avais peut-être tout simplement oublié Freya. Cette idée me rendit un peu plus joyeux et mon sourire s'agrandit. « Je ne pense pas que la hache est une bonne idée pour toi. Tu perds trop d'énergie à la soulever. Je te verrais plus avec quelque chose de long, fin, et assez léger. Un poignard ou un glaive, par exemple. Il y en a dans la réserve. » j'ajoutais en désignant un placard aux portes coulissantes quelques mètres plus loin. Avec un peu de chance, elle serait celle qui couperait la conversation, et je pourrais repartir retrouver Georgia afin de lui raconter ce petit.. problème auquel je faisais face actuellement. « A part ça, comme ça va ? En meilleur état que dans la forêt ? Je ne savais pas que tu étais arrivée au district. Ca fait longtemps que tu y es ? » Sans lui laisser le temps de répondre et surtout pour lui montrer que je me fichais cordialement de sa réponse, j'enchaînais. « Je suis arrivé il y a trois mois. En septembre je crois. Ils m'ont directement mis dans une chambre isolée de l'hôpital. Problème d'infection d'une blessure. Tu n'avais pas bien laver ma plaie quand je me suis pris une balle de Pacificateur dans les bois. J'aurais pu y rester. » je précisais d'un ton dégagé.

Je ne savais pas exactement ce que je ressentais en voyant Graham. Il était donc bien arrivé .. Et il n'avait pas l'air trop mal en point. Mais qu'étais-je supposée ressentir ? Tout était si confus. Oui, j'avais espéré qu'il soit là, au district treize mais .. y avais-je vraiment cru ? Non. Je pensais qu'il n'y serait pas, et c'était bien pour ça que j'étais avec Logan. Logan. Il fallait que je me raccroche à ça pour ne pas perdre mon calme. Il était là, il ne me quitterait pas, lui. Et j'étais sure qu'il tenait à moi. Je pensais comme s'il avait été celui à dire qu'il n'avait jamais rien eu entre nous, alors que j'avais été celle qui avait amorcé cette solution pour nos querelles en forêt. Maintenant que nous étions au district, à quoi bon mentir ? Mais lui faire savoir que ce n'était que mensonge ne lui ferait-il pas plus de mal que de bien ? Et de toute façon, je n'étais plus libre à présent. Oui, autant garder le comportement que j'avais adopté avant qu'il s'en aille. C'était le mieux pour tout le monde. Il me regardait et prit un sourire que j'identifiais comme ironique. Mais il était plus froid qu'autre chose. Bien sûr. Pourquoi serait-il heureux ? Je lui avais .. brisé le cœur, en quelque sorte. Peut-être qu'il m'avait oublié, de manière romantique, mais qu'il m'en voulait toujours. Il commença à parler, et j'essayais de rester neutre à chacune de ses phrases. Il ne parlait pas comme quelqu'un de triste, ni comme quelqu'un d'en colère. Il parlait comme quelqu'un qui s'en fichait, et cela faisait plus mal que tout. Surement qu'il avait raison, pour les armes. Par contre, hors de question que je suive son conseil. Il me posa des questions mais ne me laissa aucun temps pour répondre et je croisais les bras, attendant avec impatience le moment où il fermerait sa bouche. Il laissa sous entendre un reproche, et je fis mine de n'avoir rien compris. Je ne voyais pas à quoi servirait un quelconque encouragement de ma part pour son attitude insolente et désagréable. Je restais quelques minutes sans rien dire, ramassant mon arme et glissant mon doigt lentement sur la lame. Que lui dire ? Commençons par répondre à ses questions.

Ma mémoire étant infaillible (enfin presque), je me souvenais très bien de sa première question. Comment j'allais ? Oh, pas mal. Deux trois semaines dans un lit d'hôpital avec aucunes distractions, pas mal. Avoir failli mourir dans la forêt à cause d'un foutu Pacificateur, pas mal. Se retrouver à deux alors qu'on aurait été plus fort à trois, pas mal. Et je pouvais encore remonter. J'adoptais alors le même sourire que lui et parlais calmement en détachant chaque mot. « Figure toi que tu n'es pas le seul à avoir failli mourir dans cette foutue forêt. C'est grâce à quelque chose de long, fin et assez léger, comme tu dis, que j'ai eu ça. » Je relevais mon pantalon pour lui montrer la longue cicatrice sur ma jambe. Une fois redressée, mes bras se croisèrent naturellement. Si j'y connaissais quoi que ce soit en langage corporel j'analyserais surement cela comme une technique de défense. Mais puisque dans le cas présent ce n'était pas le cas, je n'y pensais même pas. Mon sourire s'agrandit, pour répondre réellement à sa question. « Donc ça va très bien ! Je suis si heureuse, Graham. Le voyage était si agréable une fois que nous fûmes débarrassés de toi. Le paradis. Après tout, tout ce que tu savais faire, c'était pêcher et faire du feu. Pas si compliqué. Ah non, ai-je oublier, pleurer, me dire combien tu m'aimes .. M'attaquer dans tes moments de folie .. » Cela ne me faisait pas plaisir du tout, d'être aussi méchante. Mais je m'y sentais obligée. Il m'y poussait ! Son comportement était exécrable ! Comment rester de marbre ? Finalement, je commençais à marcher lentement en rond pour continuer à parler sans lui accorder un regard. « Le district treize, c'est génial, non ? Oui, c'est sûr que je suis en meilleur état que dans la forêt. Mais là, vois-tu, il y a quelque chose qui me rappelle étrangement mes temps passés dans la verdure et je souhaiterais tellement qu'elle disparaisse ! Impossible, je le sais. On a pas toujours ce qu'on veut dans la vie. »

Je fis tourner la hache dans ma main pendant quelques secondes avant de me diriger vers Graham, de me planter devant lui et de le regarder dans les yeux. « C'était pas dur d'avancer sans moi ? J'ai du te manquer. Je sais comme tu étais accro. » Je ris légèrement. Je me disais que Graham ressentait toujours des choses pour moi, à vrai dire, je savais que le contraire me tuerait. Penser cela me faisait me détester à un tel point ! J'étais vraiment horrible, et je le savais. Pendant un instant, je restais silencieuse à observer Graham, et ma gorge se serra. Je me sentis littéralement mal. Mes yeux montèrent au plafond tandis que je priais silencieusement mon corps de ne pas me trahir. Finalement, je me retournais et me dirigeais vers un coin de la pièce pour me mettre en boule et pleurer en silence.

C'était une drogue. Une drogue dont je n'arrivais pas à me passer. Le son de sa voix. J'avais passé tellement de temps sans l'entendre que j'aurais presque pu me convaincre que l'effet des intonations de Freya n'était qu'une machination de mon esprit. Mais la preuve était là. A chaque fois qu'elle ouvrait la bouche et que les mots franchissaient le seuil de ses lèvres, je retrouvais tout ce que j'avais tenté de détruire : trop d'émotions. Heureusement que je m'agrippais bien fort à ma hallebarde. M'étaler de tout mon long, pleurant et glapissant en me souvenant des rares fois où ses répliques n'étaient pas destinées à me tourner en ridicule ou à me rendre dingue. Je jetai un coup d'oeil à sa longue blessure à la jambe et haussai les épaules. Cela n'était quasiment rien. Pas la peine d'en faire toute une histoire, Logan n'avait pas été capable de la protéger comme moi, voilà tout. Je passais une main dans mes cheveux trempés de sueur avec désinvolture pour garder une contenance et levai un sourcil lorsqu'elle embraya sur combien le voyage avait été bien plus agréable après mon départ. Je sentis mon coeur se briser dans ma poitrine, mais ma raison m'indiqua que Freya ne recherchait que ça. M'anéantir en me dénigrant. Elle savait à quel point j'étais sensible à ça et appuyait donc sur ce point. Mais je n'allais sûrement pas lui faire ce plaisir. Ca serait être faible que de me sentir mal à cause de ses paroles. Ce n'est que Freya. Si Georgia m'avait dit quelque chose dans ce genre, ça m'aurait bien plus bouleversé, mais je suis tellement habitué à recevoir de telles piques de la part de la jeune femme en face de moi que cela ne me fait presque plus d'effets. On s'habitue rapidement à tout ça. Je lui souriais en retour lorsqu'elle précisa mes nombreux talents. « C'est sûr que tu es bien plus douée que ça. Je veux dire, à part chasser, qu'est ce que tu peux faire ? Laisse moi réfléchir... » Je mimais la réflexion pendant quelques secondes. « Ah oui, je sais. Grâce à ta capacité à te noyer, tu as réussi à détruire toutes les chances pour ton frère de survivre ! Je t'envie tellement ! Sans oublier ton talent pour devenir totalement folle sans raison ! Je rêve de te ressembler. » je lançais d'un ton calme, avec un sourire tellement ironique que ça m'en faisait presque mal. Parler de Dean était peut-être lâche, elle pouvait peut-être me rétorquer que c'était de ma faute, mais je m'en fichais, voilà tout. J'avais fait de mon mieux, tant pis pour elle.

« Avancer sans toi ? Hm... Je dois dire que ça faisait bizarre. Ne pas être vingt-quatre heures sur vingt-quatre avec une cinglée, c'est assez reposant. Donc non, tu ne m'as pas réellement manquer. Désolé de te casser tout ton effet. Je sais que tu tiens tellement à croire que je suis toujours accro à toi. Après tout, personne d'autre ne serait assez stupide pour traîner avec une folle comme toi. Ah si, Logan. M'enfin, c'est un cas à part, il est assez similaire à toi. » je répondis à son énième pique. J'étais en quelque sorte anesthésié à son venin, et le lui recracher me provoquait une montée d'adrénaline formidable à laquelle je n'avais jamais goûté auparavant. Je croisais les bras à mon tour, tenant toujours ma hallebarde d'une main et fixant paisiblement Freya du regard. Il ne devait pas être plus de deux heures de l'après-midi. Avec un peu de chance, Georgia m'attendrait devant mon petit logement et on pourrait se balader ensemble. Il ne restait plus qu'à trouver comment me débarrasser de Freya. Mais elle ne me laissa pas le temps d'y réfléchir sérieusement, puisqu'elle se dirigea dans un coin de la pièce et se mit à pleurer. Est-ce que j'avais été aussi méchant que ça, ou bien elle ne supportait pas d'être sans son Logan d'amour pendant plus d'une heure ? Je soupirai, un sourire en coin. Au moins, je pouvais à présent rejoindre Georgia. Je rangeai mon masque dans le petit placard, remis en place ma hallebarde et ôtai les quelques protections que j'avais placé sous mes vêtements. Je m'apprêtais à sortir de la salle, mais une force invisible m'en empêcha. C'était comme si je ne pouvais pas, si je n'étais pas physiquement capable de laisser Freya pleurer seule dans son coin. Je restais sur le seuil pendant quelques instants, figé, n'arrivant ni à avancer ni à reculer.

Je soupirai furieusement et me retournai. Jusqu'au bout elle m'embêtera, pour ne pas utiliser un mot plus vulgaire. D'un pas vif, je la rejoignis et me plantai devant elle, la fixant avec désarroi. Qu'est-ce que j'étais censé faire ? D'ordinaire, je n'étais pas doué pour réconforter les gens, et il s'agissait là de Freya. Je ne pouvais à la fois ni rien faire ni faire quelque chose. Je laissai échapper un soupir tout en lui attrapant les bras. Je la portais sur mon dos - elle était encore plus légère que la dernière fois, c'en était presque morbide - son ventre contre mon épaule. Le contact me fit frémir, mais cette sensation s'évanouit rapidement. « Arrête de pleurer, imbécile. » je lançai tout en la posant au centre de la salle. « T'es pas censée pleurer. » je dis en croisant les bras sur la poitrine. Cette position m'empêchait de l'enlacer et j'en étais bien content. Je reculai d'un bon mètre, la fixant du regard, priant pour que ses larmes se sèchent d'elles-même. « Arrête de pleurer. » je répétais sèchement. Je luttais contre mes vieux réflexes. Ceux de me jeter sur elle, de lui prendre la main et de l'enlacer. Mais je savais que Logan en était bien mieux capable que moi, si bien que je restais loin d'elle pour ne pas céder à la tentation. Je me serais senti bien stupide de gâcher tous mes efforts faits depuis le début de notre conversation pour sembler distant, froid et indifférent. « Stupide comme tu l'es, je suis sûr que tu ne sais même pas pourquoi tu pleures. »

Je me haïssais tellement. Ces mots retentissaient dans ma tête, se répétaient, se cognaient entre eux. Rien ne pouvait être facile et simple avec moi, hein ? C'était de ma faute, après tout. Si je n'avais pas commencé à mentir pour qu'il vienne avec moi, rien de tout cela ne serait arrivé. Il serait peut-être même parti avec moi sans que j'aie à jouer la comédie. Et alors, notre relation serait forte, et il n'y aurait pas de drames .. Comme celui là. Même si en apparence, nous n'avions pas l'air de nous occuper de ce que l'autre pouvait ressentir, je savais que c'était faux. Les émotions m'avaient envahies et je me retrouvais en position de faiblesse. Je voulais que le monde disparaisse autour de moi. Me retrouve dans cette pièce, sans fenêtres, blanche, seule. Peut-être avec Tate. Mais personne d'autre. Cela faisait longtemps que je n'avais pas rêvé de mon frère .. D'un de mes frères .. Et je ne pensais jamais à eux. C'était trop douloureux. Je devenais si faible ! L'ancienne Freya me manquait tellement. C'était à cause de lui, Graham. Il m'avait forcé à faire face à des choses auxquelles je ne voulais pas penser. Et voilà ce que cela avait fait. J'étais un cas désespéré. Mon état était surement trop instable pour que j'aille sur le terrain un jour. Comme il le disait, j'étais folle. Complètement cinglée. Tout le monde le voyait .. sauf moi. Je n'arrivais plus à bouger et je ne voulais pas relever la tête, de toute façon. Pas pour voir son visage. Pas pour voir un air de pitié, ou de mépris. Surtout pas. Je l'entendais marcher, soulever des choses, il devait surement ranger ses affaires. Et puis, je l'entendis s'éloigner. Puis revenir. Je ne voulais pas qu'il s'occupe de moi, je me sentais déjà bien assez mal comme ça. Il me prit en sac à patates et je me laissais faire, après tout, à quoi bon. Il me déposa au centre de la salle et je fis de mon mieux pour sécher mes larmes, alors qu'il me le demandait de manière si désagréable. Je n'étais pas imbécile. Folle, peut-être, mais pas imbécile. Il restait planté non loin de moi à me dire d'arrêter, avant de me dire que j'étais stupide. Je serrais les dents.

Je ne savais pas exactement pourquoi je pleurais. Tout ce que je savais, c'était que s'il n'était pas là, je ne serais pas dans cet état là. C'était donc à cause de lui. J'avais envie de lui crier ça à la figure mais à la place, ma tête retomba et les larmes coulèrent à nouveau. Au moins, je ne sanglotais pas. Je ne faisais aucun bruit, les larmes roulaient juste sur mes joues pour atterrir sur mes vêtements, ou au sol. Pourquoi est-ce que je me comportais toujours de façon aussi bizarre quand il était dans les parages ? Et puis, pourquoi restait-il ? Il l'avait dit, je n'étais rien pour lui. Cela ne devrait pas le déranger de me laisser triste, au contraire. Il devrait jubiler. « Contrairement à ce que tu penses, je ne suis pas un bloc de glace. » Ces mots m'échappèrent malgré moi. Je ne pouvais pas m'arrêter sur une si bonne lancée. Un sourire, complètement sincère mais léger, se profila sur mon visage. « Pour être honnête, je ne pensais pas que tu t'en sortirais, seul. Ça aurait été plus facile pour moi, non ? Comme ça aurait été plus facile pour toi si j'avais été morte, j'en suis consciente. Je suis persuadée que tu pensais que j'étais en train de me faire manger par les animaux quelque part dans la forêt avant aujourd'hui. Tu as toutes les raisons également de me vouloir morte, même si je ne suis pas sure que ce soit le cas. » Je relevais le regard pour le planter dans celui de Graham. Pas une once de méchanceté, ou de mensonge. Juste la Freya qui courait avec lui sous la pluie il y a quelques mois. « Peut-être que je pleure de joie, de te savoir en vie et bien portant, va savoir. Je suis folle, comme tu l'as dit. » Mon regard s'égara sur le côté pendant quelques secondes avant de revenir dans l'axe.

Je pris une grande inspiration. Oui, j'étais heureuse de le savoir .. bien. Peut-être qu'il était même heureux lui même, sans moi. Peut-être que j'avais tout bouleversé et qu'il pensait avoir la chance de vivre une vie paisible et joyeuse. Mais n'était-ce pas tout ce que je faisais ? Ruiner des vies. Sans moi, il n'aurait jamais eu de problèmes. Il serait avec sa famille .. « Je suis désolée. Désolée de t'avoir poussée à me sauver, à venir avec moi au district treize .. De t'avoir menti. De nombreuses fois. » Il me fallait l'oublier, le laisser partir. Lui montrer que tout était bon entre nous, et qu'il n'y avait pas de raison de continuer cette guerre incessante. « Je ne te parlerai plus, je ne te regarderai même pas si nous nous croisons. Nous ne nous connaitrons plus. Est-ce assez pour toi ? »

Je ne me sentais pas aussi bien que je ne l'aurais voulu. J'aurais dû en rire, de la voir dans cet état. Après tout, Freya ne ressentait que le tiers du quart de tout ce qu'elle m'avait fait auparavant. Elle n'avait que la monnaie de sa pièce. Mais j'avais beau vouloir de toutes mes forces la détester et me réjouir qu'elle aille aussi mal, je n'y arrivais pas. Et cela m'énervait. C'était encore une fois l'ancien Graham qui s'exprimait, et ça me rendait malade que Freya possède ce pouvoir envers moi. Elle avait trop d'emprise. Je serrais les dents alors qu'elle s'arrêta de pleurer pour s'y remettre silencieusement avant de prendre la parole. Je savais qu'elle n'était pas qu'un corps incapable d'éprouver des émotions. Elle pensait peut-être que je l'avais oublié, mais non. Seulement, j'étais persuadé que puisqu'elle se fichait de moi et que je n'étais rien pour elle, mes mots ne pouvaient pas l'atteindre. Après tout, c'était un peu ce qui m'arrivait à moi, et cela me semblait évident que le même schéma s'applique pour son cas. Mais non. Je regrettai soudainement d'avoir été si brut, si cruel. J'aurais dû simplement partir après qu'elle m'ait montré son visage. Nous n'en serions pas là, et tout aurait été bien plus simple. Mais j'étais resté, et maintenant je devais faire face à une Freya que je ne reconnaissais pas. Ses lèvres s'étirèrent dans un sourire triste que je n'aimais pas du tout. Elle n'était pas faite pour sourire de cette manière. Ca ne lui allait pas. Elle commença à excuser un peu mon comportement, ce qui me mit mal à l'aise. Comme lorsqu'elle s'était jetée sur moi lors de notre combat, cela me déstabilisa. Je m'attendais plutôt à ce qu'elle me réplique froidement des insultes ou des piques acerbes comme elle savait bien le faire. Je haussais un sourcil lorsqu'elle proposa l'hypothèse que me voir en vie lui faisait plaisir. A l'extérieur, je semblais sans doute calme, froid et distant, mais à l'intérieur, je sentis mon coeur s'affoler comme un malade, mes mains devenir moites et mes poils se hérisser. Freya avait ce pouvoir chez moi de me rendre dingue en me montrant rien qu'une once de fragilité. J'ouvrais la bouche pour dégainer une phrase rude, mais mes cordes vocales refusaient de fonctionner et de toute manière, elle embrayait sur des excuses qui me laissèrent perplexe. Je ne comprenais pas pourquoi elle faisait ça. Est-ce qu'elle était vraiment folle ou juste qu'elle comprenait à quel point elle avait été parfois ignoble avec moi ?

A l'entendre, nous n'avions eu que des mauvais moments, ce qui était bien évidemment faux. Malgré tous les mensonges qu'elle avait pu me faire subsistaient toujours quelques instants indépendants où tout allait bien. Où j'avais l'impression d'être vraiment heureux. Je continuais de l'écouter, avalant difficilement les mots qu'elle prononçait. J'avais envie d'hurler que non, je ne voulais pas rompre tout contact avec elle. L'indifférence est pire que la haine, et si nous disputer et nous envoyer des répliques affreuses étaient les seuls moyens de garder un semblant de relation avec Freya, cela m'allait. Car j'avais beau dire tout ce que je voulais, je ne voulais pas revivre ces douloureux mois sans l'avoir à mes côtés. Je fixais le sol, réfléchissant à toute vitesse. Que faire ? Je ne voulais pas sembler fou d'elle au point de dire explicitement que je voulais garder contact avec elle. Non seulement elle me prendrait pour un schizophrène, mais aussi cela lui donnerait une chance de croire qu'elle a toujours de l'ascendant sur moi. Mes yeux se plongèrent dans les siens. Elle me manquait, c'était indéniable. Mais elle avait quelqu'un d'autre et elle ne voulait pas de moi comme moi je voulais d'elle. J'essuyai mes mains moites sur le bas de mon uniforme avant de lui donner un petit coup de poing dans l'épaule. Ce geste, c'était le seul que j'étais en mesure d'effectuer. Le maximum de la proximité que je pouvais avoir avec elle sans avoir une réaction inappropriée. Je tentai un sourire, qui au final ne devait ressembler qu'à une vague grimace.

« C'est pas parce que je me fiche de toi que je veux plus t'avoir dans les parages. » je lançais prudemment. Comprenant que ma phrase ne voulait rien dire et était assez ambiguë, j'enchaînais. « J'ai besoin de m'entraîner avec quelqu'un de ton niveau. » C'était une excuse plutôt valable, dans le sens que personne ne voulait m'affronter et que je voulais rejoindre une équipe pour partir en mission sur le terrain. Parfaitement plausible, purement professionnel. Même si elle refusait, ce n'était pas grave, puisque cela ne sous-entendait rien en rapport avec notre relation passée. Je me raclais la gorge, un peu mal à l'aise. Toute cette rencontre, et cette conversation surtout, me semblait fausse. Pendant un instant, je songeais à l'éventualité qu'elle ne me mente une fois de plus en s'excusant ainsi, mais aussitôt je me rappelais que je me posais trop de questions. Et trop de questions signifiait que j'étais encore bien trop attaché à elle à mon goût. « Et puis je t'ai vu nue. Je pense pas que l'on puisse un jour ne plus se connaître. » Quel gentleman. J'espérais sérieusement que cette phrase puisse détendre l'atmosphère, mais les chances pour que cela marche était très basses. Je passais rapidement à un autre sujet, un peu gêné d'avoir dit quelque chose de ce genre. « Moi aussi je suis désolé. » je lançais, penaud. « J'aurais dû rester avec Logan et toi. A trois, on aurait été bien plus forts. »