Silence.
Obscurité.
Odeur pestilentielle.

À peine ai-je ouvert les yeux que je comprends ma situation : je me suis encore endormie à l’usine. Ma joue me fais mal, pas étonnant vu la position dans laquelle je me suis réveillée. Je me redresse en la massant douloureusement. La pendule, encore faiblement éclairée par des lumières d’urgence, indique trois heures du matin. Je soupire et me lève en regardant mon plan de travail. Je ne sais plus où je m’en étais rendue dans le travail que j’avais entrepris de faire, et le manque de visibilité ne m’aide pas à m’en souvenir. Je distingue juste un bout de tissus pendant au dessus du bac avoisinant. Je devrais probablement attendre qu’il sèche.

Après un soupir, je grimpe rapidement sur un escabeau instable et me charge de ramener la pièce teintée vers moi en tirant sur le fil qui la supportait jusqu’à présent. D’habitude, c’est un système motorisé, mais le courant étant coupé, je m’en sors en me reposant sur le vieux système de secours : à savoir le montage sur poulies.

Une fois le travail accompli, je prends garde à ne pas laisser le tissus toucher le sol et le plie soigneusement. Il n’y a plus qu’à le stocker dans le hangar réservé, et j’en aurais fini avec lui.

Je me motive un peu. Mes paupières sont encore lourdes et mes mouvements un peu lents. C’est la dernière ligne droite avant mon proche retour dans le monde de Morphée, alors j’adopte une cadence un peu plus dynamique pour rejoindre l’espace de stockage. Je me souviens que le tissu que je porte est une pièce plutôt rare, fréquemment utilisée pour les modèles de haute couture du Capitole si je ne me trompe pas. Du fait de sa valeur, elle doit être rangée dans une de ses armoires placées sous clés. Je ne suis pas affectée au rangement, mais comme je suis souvent chargée de la confection de ce genre de tissus, je sais où les trouver. Dans le coffre du personnel, près du bureau du chef.

‘’Ravie’’ d’avoir traversée l’usine pour rien, je cours presque jusqu’au coffre. Coffre qui m’apporte une drôle de surprise. Non pas par ce qu’il contient, mais par ce que je découvre en ses alentours… ou plutôt carrément devant lui.

Lucas Mandrake, le seul et l’unique. Je me demande comment j’ai fais pour l’oublier. Sans doute à cause la fatigue. Je sais qu’il vient toujours la nuit. Je sais qui il est. Par contre, ce que je ne sais pas, c’est ce qu’il fabrique devant le coffre des clés. Il tient un drôle d’appareil entre ses mains, je n’arrive pas bien à distinguer ce dont il s’agit, mais je comprends clairement que monsieur essaie d’ouvrir la boîte du personnel.

« Il n’y a que des clés là dedans, tu perds ton temps. »

Aujourd'hui, il me tarde que la nuit tombe.

Je suis sur le point d'achever une toute nouvelle invention pour aider ma mère à faire le ménage en hauteur. Je n'aime pas beaucoup la voir jouer à l'acrobate pour nettoyer les armoires alors qu'elle est de plus en plus faible. Mais rien à faire, elle refuse de nous laisser la remplacer. J'ai donc décidé de créer ce petit bras mécanique qui s'allonge en pressant seulement sur un bouton. Malheureusement, il me manque une ultime pièce pour assurer son bon fonctionnement. Mais pas de panique, je sais où la trouver.

Le soir, j'englouti mon repas tant l'excitation de dévoiler ce nouvel outil à ma mère est grande. Intrigués par un tel comportement, mes parents m'interrogent, mais je refuse de dévoiler quoi que ce soit, niant toutes suppositions qu'ils énumèrent avec imagination. Viens le moment de se coucher. Enfin, minuit sonne. Après une courte sieste qu'on ne pourrait pas appeler nuit, je saute dans mes chaussures, attrape la création inachevée à la volée, et me dirige au pas de course vers l'usine de teinture.

A force de visites, je connais la plupart des endroits qui me permettent de m'introduire discrètement à l'intérieur. Comme d'habitude, l'endroit est déjà désert. L'obscurité et le silence règnent sur les lieux, mais rien ne m'inquiète. C'est dans le calme absolu que j'aime travailler. Cette fois-ci, pas question de vagabonder, je dois mettre la main sur cette pièce avant l'aube. Par chance, je suis déjà venu réparer les systèmes motorisés de cet endroit, avec le cheminement pour atteindre la réserve de pièces de remplacement dans la tête, je ne devrais pas trop m'attarder.

Je me dirige donc vers l'endroit en question d'un pas assuré, grimpant les escaliers quatre à quatre et courant presque dans les couloirs sans prendre le temps de refermer les portes derrière moi. Je m'en occuperai en repartant, lorsque j'aurais enfin trouvé cette petite pièce... Enfin, l'ultime porte apparaît. Je me jette contre elle et m'écrase douloureusement l'épaule dessus au passage. Après une grimace et un petit juron échappé, je constate avec horreur que la porte est verrouillée.

Catastrophe ! Le désespoir s'empare aussitôt de moi. Je DOIS trouver un moyen d'ouvrir cette fichue porte, quitte à l'enfoncer. Mais allez forcer une porte en fer soigneusement cadenassée.. Je tourne les talons avec le diable aux trousses, dérapant à chaque virage pendant que l'image de ma mère qui s'effondre m’obnubile l'esprit. Je débouche sur une sorte de passerelle et je m'arrête net. J'ai du faire une erreur de trajet dans ma course. J'aperçois la jeune fille de l'usine qui dors encore sur son poste à l'étage inférieur. Je lui adresse un sourire triste, toujours avec la même pensée qu'elle aussi se bat contre la pauvreté, puis je fais demi-tour, plus calmement. Après tout, il me reste pas mal de temps avant le lever du soleil. Je décide donc de commencer par le rez-de-chaussé.

En me plantant au milieu de l'immense salle, je soupire. Je n'aurais jamais le temps de trouver les clés dans un endroit aussi grand. Je m'appuie contre une chaise en réfléchissant à un autre moyen d'ouvrir cette porte. Si je la détruit d'une quelconque manière que ce soit, le bruit risque d'attirer quelqu'un, et de toute façon le lendemain les employés s'apercevraient de l'infraction. Je m'en remet alors à l'observation. Grimpant sur la dite-chaise, je scrute le lieu en tentant de percer l'obscurité. Je repère les bureaux, les coffres et les armoires susceptibles de contenir ces fichues clés, et je redescends sans m'attarder pour commencer ma recherche..

Je commence à perdre patience et la fatigue ne fait qu'accroître mon irritation lorsque je m'attaque à un énième coffre. Je me jure que ce sera ma dernière tentative. Mes doigts sont douloureux à force de crocheter serrures sur serrures. Mais alors que le verrouillage me cède d'un petit "click" discret, une voix s'élève juste derrière moi.

La fin du monde s'abat alors sur moi. Je fais un sursaut du diable, empli de terreur, de frayeur et d'horreur en imaginant ce que l'on me réserverai pour avoir osé pénétré dans l'usine, dans le but très clair d'y dérober quelque chose. Je suis pris la main dans le sac. Je pense à mes parents, que l'on va accabler pour leur responsabilité parentale. La panique absolue me retourne les entrailles et le désespoir doit se lire dans mon regard. Je voudrais simplement disparaître. Tout cela en une fraction de secondes. Je me retourne donc, conscient que l'ont ne peux s'adresser qu'à moi, et la surprise est de taille.

- Ah ! Je ne peux libérer qu'une seule syllabe lorsque je reconnais la belle au bois dormant qui m'observe, un tissu entre les mains. Un soulagement ultime provoque le relâchement de tous mes muscles les plus tendus, et un instant je manque de m'écrouler. Je proteste alors sur un ton de reproche : Tu m'as fais une peur bleue ! Mais l'instant d'après je me rattrape. Il s'agit de notre première conversation. En fait, elle me prend tellement au dépourvu que je ne sais pas trop comment réagir. Soudain, ses paroles se répètent dans ma tête. "Que des clés". Mon visage s'illumine d'un sourire sans fin.

- Vraiment ?! J'ouvre le coffre avec précipitation et j'éclate intérieurement de bonheur en constatant qu'elle dit vrai. Je m'empare aussitôt de la clé qui me causait tant de soucis en me retournant satisfait dans le but d'aller enfin chercher cette ultime pièce manquante avant de réaliser que je suis totalement impoli et ignorant. Je décide de mettre ce comportement impardonnable sur la peur et la surprise qu'elle m'a fait subir, en me jurant de me venger en la réveillant par surprise un soir prochain. Confus, je m'excuse.

- Euh... Je.. Désolé. Je cherchais justement cette clé depuis pas mal de temps.. Euh.. Tu as besoin d'aide ? La seule proposition qui me vienne à l'esprit en la voyant les bras chargé de tissus. Je me promet de me donner une claque en rentrant.

Pris sur le fait, Lucas sursaute. Il a l’air surpris de me trouver là, mais cela s’arrête là. Je suis perplexe. Il se justifie, sourit, semble plutôt heureux. En clair, il n’a pas l’air d’avoir peur. Dieu sait pourtant que n’importe qui à ma place ne réfléchirait pas plus d’une demie seconde avant de déclencher les alarmes de l’usine afin d’attirer les Pacificateurs (ce dans l’espoir de se faire bien voir des autorités. Là est la seule véritable motivation des cafteurs. Du moins, c’est ce que je pense. Enfin bref...).

Seulement, il sait que ce n’est pas mon genre. Parce que je l’ai déjà trop laissé faire auparavant pour qu’il puisse penser le contraire. Toutefois, sa réaction me surprend : il s’empare des clés comme si de rien n’était. Pourquoi ? POURQUOI ? Je commence sérieusement à me demander si je fais bien de ne rien dire. Que veux t-il faire de ces clés ? Je n’ai même pas le temps de lui poser la question qu’il me propose son aide. Mais où est passé le bon sens de ce garçon ? Sérieusement, aider quelqu’un en plein délit ne m’effleurerait même pas l’esprit ! Je soulève un sourcil, perdue.

« Je peux me débrouiller toute seule. Mais pour ça, j’ai besoin de ce trousseau de clés. »

Je m’avance un peu, puis je tends ma main vers lui.

« Par contre, je ne suis pas certaine qu’il te soit très utile. Rends moi les clés sans faire d'histoire, Lucas Mandrake. J'ai ton nom, et je n'hésiterais pas à le communiquer aux Pacificateurs si tu refusais de coopérer. »

Bien sur, je mens. Même si il "résistait", je sais très bien que je n'aurais jamais la force de livrer qui que ce soit aux Pacificateurs. C'est plutôt la réaction de Mandrake qui m'intéresse, ainsi que sa motivation et les raisons qui le poussent à venir ici chaque nuit.

A la surprise générale, la jeune fille refuse ma proposition sur un ton froid. Première claque. Me révèle qu'elle connaît mon nom. Deuxième claque. Et menace de me dénoncer aux Pacificateurs. Claque finale.

Alors c'était comme ça. L'ouvrière acharnée pour sa famille que je m'étais représenté viens d'éclater en mille morceaux. J'étais donc complètement à côté de la plaque... D'abord, l’inquiétude d'être livré aux Pacificateurs me reprend. En connaissant mon nom, je me demande si elle n'a pas déjà dévoilé mes visites à quelqu'un d'autre. Puis finalement, la colère prend le dessus. Frustré de s'être complètement trompé, le sentiment d'avoir été trahis me fait froncer les sourcils et je dois me forcer pour ne pas la fusiller d'un regard plein de haine.

Mais après un tel rebondissement, je n'ose pas prendre le risque de la défier. Alors qu'elle a mon nom, je n'ai rien pour me défendre. Je pourrai toujours l'assommer avec mon invention inachevée pour pouvoir prendre la fuite, mais je serai certainement derrière les barreaux dès le lendemain. Alors tant pis, j'opte pour lui rendre les clés. De toute façon, maintenant que je sais où les trouver, je peux toujours attendre qu'elle soit partie pour les récupérer ensuite. Je doute fort qu'elle passe nuit et jour dans cette usine, au pire je reverrai peut-être mon option du sommeil forcé..

Après avoir déposé les clés dans sa main, à contre-coeur tout de même, je décide de la suivre pour en savoir plus sur elle à mon tour. Après tout, sans les clés je ne pourrai pas mettre la main sur la pièce que je cherche, et je n'ai pas vraiment l'intention de me tourner les pouces dans le noir en attendant qu'elle revienne de je-ne-sais-où.

- Soit. Je me rends. Mais puisque tu me connais, pourquoi tu ne me dirais pas ton nom aussi ? En réfléchissant, je n'ai jamais croisé son visage à l'école. J'ignore donc tout d'elle, sinon qu'elle travaille et dors parfois ici.

Mandrake me dévisage. Ce n’est pas étonnant en soit, vu ce que je viens de lui dire. Au fond, je m’en veux un peu, mais après tout, je ne fais pas ça pour qu’il devienne mon ami. Ce qu’il pense de moi m’importe peu. Il a l’air de réprimer une certaine colère, mais il me rend les clés sans discuter. Je suis surprise, au moins autant que lui l’a été en me voyant débarquer derrière lui il y a quelques minutes. Cependant, je garde un visage parfaitement neutre et commence à me diriger à l’autre bout de l’usine sans dire un mot de plus. Des pas résonnent derrière moi. Il me suit ? J’ignore ce détail jusqu’à ce qu’il m’adresse la parole pour me demander mon nom. Soit. Je lui réponds alors que l’armoire de textiles précieux se dresse enfin devant moi.

« J’ai l’air stupide ? Je ne donne pas mon nom aux voleurs de ton genre. »

Tout en parlant, je range soigneusement la pièce de tissu, ce qui clôt officiellement ma journée de travail. Soulagée mais perturbée par l’atmosphère négative que mon poursuivant dégage, je n’y tiens plus. Je me retourne vers Lucas et soupire.

« Pour les Pacificateurs, je mentais. Si j’en avais l’intention, tu crois vraiment que je te laisserais fouiner ici toutes les nuits ? Avec tous les problèmes qui risquent de me tomber dessus si quelqu’un d'autre te découvre ? » Je marque une pause, puis je reprends. « Qu’est ce que tu veux faire de ces clés ? »

Dès qu'elle a les clés, la jeune fille fait demi-tour et m'ignore complètement. Encore plus frustrant. Elle me menace puis me plante sur place.. ! Je la suis d'assez près pour qu'elle n'ai aucun espoir de s'enfuir pour la peine. Finalement, lorsqu'elle s'arrête enfin devant une grand armoire remplie de tissus et que je lui demande son nom, elle m’envoie balader une nouvelle fois en me traitant de voleur. Allons bon. Ce n'est peut-être pas sa soirée.. ? Je tiens quand même à rectifier d'une voix neutre.

- Je ne vole pas, je récupère. Certes, la différence est subtile, mais c'est ainsi que je vois les choses. La plupart des babioles que je récupère sont sans importance si je n'y apporte pas quelques modifications. Et pour ce qui en a... Je n'éprouve pas vraiment de culpabilité à voler une immense usine qui exploite les habitants de notre District au profil du Capitole et qui de plus est responsable du déclin de ma mère. Mais tout cela, je le garde pour moi. Elle peut bien décider que je suis un criminel de toute façon, je m'en fiche. A nouveau, la tentation de l'assommer me prend. Mais cette fois, juste par vengeance.

Soudain, elle se retourne en soupirant, et me déballe une nouvelle version. Un large sourire illumine à nouveau mon visage.

- J'en étais sur ! J'oublie déjà ma frustration et la fille au travail acharné pour aider sa famille tout comme moi reprend sa place avec joie et soulagement. Elle me fait tout de même remarquer qu'elle aurait de sacrés problèmes si j'étais pris. Il est vrai que je la considérait comme une sorte de complice, mais je n'avais pas vraiment songé au fait que certains puissent le voir du même oeil sans savoir que je viens couramment. Je lui fait par de cette dernière remarque, sans mentionner que je la considérais moi-même comme tel, en haussant des épaules.

Mais enfin, elle me demande les raisons de ma visite. Après tout ce temps à s'occuper chacun de notre côté, elle se montre finalement curieuse. Il faut dire que j'avais aisément deviné ce qu'elle faisait de son côté, mais moi non. Soudain, une idée me vient à l'esprit.

- Je te le dirai si tu me dit ton nom. Les yeux pétillants de défi, un sourire satisfait de mon ultimatum s'affiche sur mon visage. Et je croise les bras pour lui montrer que je suis prêt à attendre, l'issu sera sans négociations.

Dès lors que je ferme la bouche, le visage de Lucas s’illumine pour déclarer fièrement qu’il "en était sur". Quoi ? Certes, je n’étais pas très convainquante. Mais il semble quand même avoir marché jusque là. Enfin, ce n'est pas grave. Je passe vite outre ce détail et me souviens de cette explication que je n’avais pas soulevée, il y a quelques secondes : « je ne vole pas, je récupère ». Ah ? J'ai beau y réfléchir, je ne vois pas vraiment la différence. Aucune de ces deux actions n’est légale. Mais si personne ne s’en ai jamais rendu compte, je doute que les entraves aux règlements de Mandrake soient impardonnables.

D’ailleurs, l’image que je me fais de Lucas m’inspire tellement l'"innocence" (peut-être que je me trompe) que je tombe des nues lorsqu’il m’impose soudainement un ultimatum : ses raisons contre mon nom. C’est risqué mais pas cher payé au fond. Même si je me demande en quoi mon adorable patronyme lui serait utile, je sais que Lucas n’aurait aucun intérêt à s’en servir contre moi puisque j’ai connaissance de ses petites activités nocturnes. À cette idée, je souris légèrement et croise les bras pour montrer à mon interlocuteur que son petit chantage ne me fait ni chaud ni froid.

« Lily Ann. Lily Ann Ayling. »

J’emboîte directement pour réclamer ma part du marché.

« Alors, ces clés. Pourquoi ? »

A ces mots, la jeune fille aborde d'abord un air surpris, mais je ne bouge pas d'un pouce sans ma réponse. Elle semble peser le pour et le contre avant de me sourire à son tour en imitant ma position d'ultimatum. Mon sourire s'élargit et je l'observe d'un air amusé. Enfin, elle me donne son nom que je me répète mentalement plusieurs fois afin d'être sur de ne pas l'oublier. Mais sans me laisser le temps de dire quoi que ce soit, elle relance sa question.

Un petit rire m'échappe. Ça oui, je me suis bien trompé à propos d'elle. La jeune fille fragile et usée par le travail que je m'imaginais est bien plus combative que ce qu'elle avait bien voulu laisser croire en apparence. Je cède donc.

- Pour ça. Je lui montre le petit engin destiné à ma mère, et tente de lui expliquer brièvement. Ma mère est malade, je lui ai construit une sorte de manche réglable pour l'aider a atteindre les surfaces hautes sans qu'elle n'escalade les chaises et les tabourets en risquant de se fracasser par terre. Seulement il me manque une pièce, que je devrais pouvoir dénicher dans la salle des pièces de remplacement de cette usine...dont la porte est fermée à clé. Nous y voilà. Je lui ai tout raconté d'un coup. C'est étrange, de se confier à quelqu'un dont on ne connait que le nom depuis quelques instants. Pourtant, après toutes ces nuits passées à nous voir sans oser nous parler, je suis plutôt content de l'entendre enfin. Et après avoir brièvement gardé le silence, je tente d'en apprendre un peu plus sur elle.

- C'est ce que je fais, lorsque je viens ici. Je récupère des pièces inutiles pour bricoler des choses bien plus utiles. Et info pour info, car notre petit jeu semble partit ainsi, j'ose lui demander :

- Et toi, qu'est ce qui te fait rester si tard presque tous les soirs ? J'ai conscience un peu tard d'en demander peut-être un peu trop sur elle. Maintenant que le dialogue est engagé, je prie pour qu'elle ne se braque pas. Je décroise donc mes bras dans l'espoir de ne plus rien montrer d'hostile envers elle, conscient que, cette fois, je ne pourrai pas lui en vouloir de m'envoyer balader.

Plus facilement que je ne l’aurais cru, Lucas m’explique d’un bloc les raisons pour lesquelles il a besoin de la clé. Je ressens une pointe de honte en pensant que je l’ai fais mariner et que de surcroît, je lui ai fait peur à propos de ça. D’un côté, je n’aime pas ce sentiment. Être conciliante ou éprouver de la peine pour quelqu’un, ce n’est pas bien. Je ne veux pas avoir à penser « mon dieu, mais que va devenir sa mère ? » si ce garçon est tiré au sort lors de la prochaine moisson. Mais c’est trop tard, je sens déjà ce pincement au cœur que je déteste. On se ressemble un peu, à lutter pour nos familles et nos parents malades. Lui moins légalement que moi, mais l’idée est la même.

« Je vois… »

J’abaisse la tête tandis qu’il m’interroge sur la raison qui me pousse à travailler aussi tard. J’hésite à lui dire, mais la réponse est tellement évidente que cela n'y changerait rien. Ce n'est pas totalement vrai, mais c'est la seule excuse que je me suis trouvé.

« Des heures supplémentaires. Mais je finis souvent par m’endormir. »

Je n’ai pas envie de continuer, mais je ne peux pas m’en empêcher. Juste parce qu'il semble vivre un parcours similaire.

« Mon père aussi est malade, et je ne peux plus compter sur mes aînées pour remplacer son revenu. »

J’ai été prise au piège. Je me dévoile trop à mon goût. Si j’avais su, je n’aurais jamais commencé cette conversation. Mais maintenant que les jeux sont faits, je ne sais plus comment me dépêtrer de cette situation sans avoir l’air de m’enfuir comme une voleuse. Pire, je n’ai même pas envie de m’enfuir. Je ressens même un profond besoin d’aider mon prochain. Je ne devrais pas mais…

« … viens avec moi. »

En serrant fort le trousseau de clé dans ma main droite, je me retourne et prend le chemin le plus court vers la salle des pièces de remplacement.

Suite à l'explication de mes occupations nocturnes, Lily semble devenir soudainement beaucoup moins hostile à son tour. D'un côté, je ressens un grand soulagement. Je suis heureux de constater qu'elle ne souhaite pas non plus rompre notre conversation, et elle m'explique à son tour le pourquoi de sa présence si tardive ici. Ainsi donc, son père est malade. Elle a beau ne pas être fille unique, si ses parents ne peuvent compter que sur elle, comme elle semble le suggérer, nous sommes exactement dans la même situation, comme je m'en était douté. Mais l'entendre de sa bouche me serre le coeur. Je chasse ce sentiment de tristesse en respirant profondément, et tente de lui répondre.

- Oh... Alors nous sommes dans la même situation. Je tente un sourire rassurant raté. Je n'ai aucune envie de sourire. Une nouvelle fois, ce sentiment de haine contre le Capitole me reprend. Trop de gens souffrent de la misère pendant que nos dirigeants prônent la paix instaurée par leur règne. Mais soudain, Lily me tire de mes sinistres pensées en m'intimant de la suivre. Sans aucune explication, elle quitte l'armoire de tissus et disparaît. Je met un petit instant à réagir avant de m'élancer à mon tour au pas de course pour la rattraper. Des tas de questions se bousculent dans ma tête en marchant, "Où m'emmène t-elle ?" est une des plus fréquentes, mais aussi d'autres comme "Que va t-elle faire des clés ?" ou "Me reparlera t-elle un soir prochain ?". Bref, de nouvelles pensées interrompues lorsque la jeune fille s'arrête...devant la porte des pièces de remplacement.

Je fixe un instant la porte avant de réaliser ce que Lily viens de faire. Elle viens de m'aider, d'adhérer à ma cause. Bref, nous sommes réellement devenus complices. Je plonge alors mon regard dans le sien, les yeux pétillants de joie, et j'affiche un petit sourire à demi-contrôlé.

- Lily.. Ses principes l'obligeait peut-être à garder le silence à propos de ma présence ici, mais rien ne la poussait à me conduire vers la porte que je visais, le trousseau de clés à la main. Je fais un pas en avant avant de murmurer doucement, la voix remplie d'émotions incontrôlables :

- Merci..

Dans la même situation, oui. Et ça ne m’arrange pas d’éprouver de la pitié parce que je sais éperdument ce que Lucas traverse. Ce n’est pas de sa faute, je le sais, et c’est bien là tout le problème. Je tente vainement de me dire que j’oublierais bien vite ce garçon après cette nuit, jusqu’à ce que la porte de la salle des pièces de rechanges se dresse devant moi et m’arrache à mes pensées. Perturbée, je cherche la clé dans le trousseau. Elle doit bien me passer vingt fois sous le nez, mais je suis tellement dérangée que je ne m’en aperçois même pas. Et Mandrake n’arrange pas les choses en me gratifiant d’un « merci » d’une sincérité étonnante. J’ai croisé son regard l’espace d’un instant, mais je m’en suis vite détournée, la clé enfin en main. Je n’ai pas non plus répondu à ses remerciements, et je ne pense pas le faire, ni maintenant ni plus tard.

Je tourne la clé dans la serrure et ouvre doucement la porte du local, plus grand que je ne l’imaginais. Je laisse Lucas passer devant moi. Je ne sais pas pourquoi, mais j’éprouve une soudaine tension. Un stress que je ne ressentais pas dans la salle de teinture. Ma conscience me dit de sortir au plus vite, mais je ne parviens pas à me rappeler pourquoi. Je m’enfonce dans un trou d’obscurité, prise d’une angoisse que je prends d’abord pour irrationnelle, et scrute la pièce à la recherche d’indice. J’entend Mandrake trifouiller un peu plus loin, le bruit me perturbe. Au détour d’un regard vers lui, je perçois enfin le danger omniprésent que j’ai réussi à oublier. Comment ai-je pu ? Tétanisée, j’appelle faiblement ma nouvelle rencontre.

« Il faut sortir d’ici… prend ce qu’il te faut et fiche le camp ! Et fait attention à ne pas laisser ta tête à découvert… »

Résistant à l’envie de vérifier la position de Lucas, je me glisse contre le mur en masquant mon visage, même si il est probable qu’il soit déjà trop tard. Mes yeux ont déjà rencontré le voyant rouge de la caméra de sécurité. Mon crime est dans la boîte.

Lily ne répond rien et se contente d'ouvrir. En croisant mon regard, je devine qu'elle n'est pas dans son assiette. Pourtant, je ne vois pas ce qu'il y a à craindre ici. Autour de nous, tout est désert et le silence règne. Peut-être culpabilise t-elle de m'aider à dérober cette fameuse petite pièce.. ? Je n'ai pas le temps de m'attarder plus longtemps sur ce détail, car après quelques instants de réflexion, Lily trouve la bonne clé, et la porte s'ouvre sans résister.

De nouveau, l'excitation de terminer mon ouvrage me reprend pour dominer n'importe quelle autre pensée. Ce sont les instants de la finition que je préfère, lorsque je teste une création pour la première fois, afin de vérifier qu'elle sois bien opérationnelle. Alors que Lily s'écarte sans un mot, je pénètre dans la salle sombre en tentant de me rappeler vaguement où se trouvait les différentes pièces. Après quelques tâtonnements, je finis par mettre la main sur ce que j'étais venu chercher. Pris d'un moment solennel, j'emboîte la pièce finale avec précaution. Une fois en place, je ne peux pas me retenir de presser le bouton pour la première fois, l'excitation me fait presque sautiller sur place.

Le bras se déclenche bien plus rapidement que prévu, et heurte violemment une étagère en se déployant, ce qui fait basculer une boîte de boulons qui se répandent sur le sol. Je me mords les lèvres pour retenir un juron contre moi-même. Il faudra que je pense à effectuer quelques réglages avant de l'offrir à ma mère. J'envisage de ramasser les boulons pour les remettre dans leur boîte, quand soudain Lily me rappelle d'une voix angoissée. Terrifiée même.

Elle semble crier dans son murmure tant le désespoir s'entends dans sa voix qui me dit de sortir de là. Aussitôt, je m'inquiète. Peut-être qu'un groupe de Pacificateurs en contrôle l'a alerté ? Un bruit suspens qui a mit ses nerfs à vifs ? Après tout, elle semblait déjà perturbé par quelque chose avant même d'ouvrir cette porte. Quoi qu'il en soit, cette détresse me pousse à obéir sur le champ. Je me relève en abandonnant les boulons encore éparpillés, glissant ceux que j'ai déjà ramassé dans ma poche. Mais ce n'est que lorsqu'elle me conseille de bien veiller à camoufler mon visage que je comprend.

Lily a dut apercevoir une caméra de vidéo-surveillance dans les parages. Sans doute dans cette salle même. Cette fois, la panique bien réelle me prend. Je m'emplois a quitter la pièce le plus rapidement possible, balayant les boulons d'un mouvement du pied pour les envoyer sous les armoires. Une fois à l'extérieur, je croise à nouveau son regard tétanisé, je suppose qu'elle peux lire la même détresse dans le mien. Je referme rapidement la porte et me tourne vers la jeune fille collée au mur, pour se cacher du danger de la caméra, comme si elle pouvait voir à travers les murs tendis que je reste appuyé contre la porte, comme pour retenir le danger à l'intérieur.

C'est à cause de moi que si tout ça est arrivé ce soir. Le premier soir où nous discutons enfin ensemble, et je lui attire déjà de sérieux ennuis. Je fronce les sourcils d'un air mécontent, car je m'en veux. Elle qui essayait de m'aider, qui lutte pour subvenir aux besoins de sa famille, c'était bien la dernière chose qu'il lui fallait, des ennuis..

- Lily... Ça va aller... Je prend sur moi et tente d'avoir un air rassurant. Je quitte la porte pour me rapprocher d'elle en la questionnant d'une voix déterminée, pour avoir un maximum l'air sûr de moi. Est-ce qu'elle t'as vu ? Tu dois être sûre.. Je ne laisserai pas ça arriver. Pas à Lily. Déjà j'imagine plusieurs mensonges, comment je l'ai menacée pour qu'elle m'ouvre, que je ne lui ai pas laissé le choix, et que j'étais armé. La possession du bras mécanique jouera sans doute en faveur de cette idée. Après tout, le réglage n'était pas si mauvais finalement. La caméra a aussi sans doute filmé cet instant de violant déploiement, du moins je l'espère. Pour elle.

Je n'ai plus peur désormais. Cette histoire tiens debout. Quoi qu'il arrivera, si cette bande vidéo n'est pas détruite, je suis déterminé à en payer le prix... seul. Après tout, je devais bien me préparer à ce que ça arrive un jour, après toutes les fois où je m'en suis tiré sans le moindre soucis... Presque trop facilement. Lily n'y est pour rien. C'est une ouvrière exemplaire qui fait des heures supplémentaires pour venir en aide à sa famille.
Voilà le retour du bâton qui attend...le voleur.

Le temps qui sépare ma découverte de notre fuite n’excède pas plus de dix secondes. Pourtant, il me semble durer une éternité. La peur, sans doute. Je me retrouve ‘’bientôt’’ collée au pan de mur extérieur, à côté de Mandrake, qui se tient contre la porte du local. Il essaie de me rassurer et me demande si je suis certaine que la caméra m’a bien vue. Je panique, et au lieu de répondre, je le pousse nerveusement pour verrouiller la porte autant qu’il est possible de la verrouiller. Je tremble. Je n’ai pas l’habitude des situations périlleuses. Imaginer mon état face à la plus grosse erreur de ma vie. J’ai été la complice d’un voleur, j’ai presque cautionné ses actes, je l’ai aidé à s’introduire dans une pièce dont l’accès m’étais interdit et maintenant, j’envisage mille façon pour que lui et moi nous en sortions en défiant l’ordre une nouvelle fois... On en a tué pour moins que ça.

Quoi qu’il puisse en être, il faut trouver une solution. Là. Maintenant. Tout de suite. Se rendre n’est plus envisageable avec toutes les accusations qui pourront nous être associées. Alors que faire ? Neutraliser la bande ? Cela signifierait commettre une nouvelle effraction. Tout le monde le sait à l’usine : la salle de contrôle est presque inaccessible à qui n’en connait pas les codes et les pièges. C’est un pari risqué. Très risqué.

« Qu’est ce qu’on va faire… »

La phrase sort malgré moi. Je désespère, ne trouvant aucun autre moyen possible. Si nous restons là sans rien faire, nous risquons déjà de le payer de nos vies. Une tentative de plus se solderait par la même peine, n’est ce pas ? Je regarde Lucas avec dépit.

« Et maintenant ? »

Je tourne autour de lui, inconsciemment.

« Quand le jour se lèvera, les contrôleurs seront alertés de ce qu’il s’est passé cette nuit. Ces caméras étaient thermiques, elles n’enregistrent que lorsqu’elles détectent du mouvement. On ne peut pas espérer qu’ils ne remarquent rien… »

J’essaie de suggérer mon idée. Je ne veux pas avoir à la proposer. Je tourne le trousseau de clé autour d’un de mes doigts. Jetant quelques coups d’œil maladroits vers l’écriteau indiquant la salle de contrôle, là haut, au bout de cet escalier de fer.

Lily semble bien plus apeurée que moi. Elle ne trouve même pas les mots pour me répondre, et me repousse pour verrouiller la porte. Je remarque que la jeune fille tremble, je m'inquiète presque plus pour elle que pour ce qui nous arrive, et surtout ce qui va nous arriver. Je me contente de l'observer, mon angoisse reprenant le dessus en la voyant s'agiter ainsi.

Finalement, les seuls mots qu'elle prononce prouvent son désarroi. Ses yeux ne savent où se poser et la panique se lit dans le moindre de ses gestes jusque dans sa respiration. Je n'ose pas bouger, de peur de déclencher quelque réaction excessive de sa part. En fait, une hystérie sans fin semblait régner en elle. Elle me jeta un regard rempli d'amertume qui me valu un frisson. Je garde le silence pendant qu'elle me tourne autour en annonçant froidement ce que nous réserverai le lendemain, sans doute pour s'assurer que je comprenne la gravité de la situation.

Je reste sur mes gardes, désormais plus méfiant vis à vis d'elle dans l'immédiat. L'instant d'avant, la jeune Lily m'aidait sans un mot après m'avoir confié qu'elle vivait dans les mêmes conditions que moi. Peut-être cela a t-il abaissé mes doutes trop rapidement à son sujet.. ? Lorsqu'elle en a terminé avec notre triste destin, je me concentre. Malgré mon hypothèse de tenter de la décharger de toute accusation, il doit bien y avoir un poste de commande si l'usine possède des caméras... Un sourire discret étire mes lèvres et, une main de la poche, je resserre mes doigts sur les boulons que j'ai récupéré dans ma hâte.

Lily viens de détruire l'hypothèse que notre escapade passe inaperçue. Je remarque qu'elle semble s'être calmée, faisant simplement tourner les clés autour de son doigt d'un geste nerveux. En lui jetant un regard en plus, elle semble réfléchir. Je plisse les yeux en essayant de comprendre en suivant ses regards. Écriteau-Escalier, Écriteau-Escalier. Ce n'est que lorsque je porte un peu plus d'attention à cet écriteau que je comprend ce qu'elle est en train d'envisager. Va pour la salle de contrôle donc. Si elle semble hésiter, je met fin à ses réflexions.

- C'est notre seule solution. Dis-je en indiquant l'escalier d'un mouvement de tête. Si on y arrive - et je fais bien de le préciser, car toute ma conscience me hurle que cela ne s'annonce pas aussi calme qu'une partie de Monopoly - je pourrai peut-être réajuster quelques fils pour faire passer une destruction des données pour un simple dysfonctionnement technique... Même si l'espoir se lit dans mon regard, rien n'est gagné car si je manipule de plus en plus couramment les machines des usines, je me suis rarement, pour ne pas dire jamais, aventuré jusqu'au poste de contrôle-sécurité.

Néanmoins, le jeu en vaux la chandelle, il en va ici du futur de nos deux familles. Aussi, je décide d'éliminer la perspective d'un possible échec à saboter cette fichue caméra. Mais avant de m'élancer, je ne peux oublier cette terrible réalité. Nous risquons déjà gros. Après ça, nous risquerons plus qu'énorme. Je songe un instant à la panique qui ronge déjà Lily. Je ne suis plus méfiant, seulement compréhensif. Je venait d’entraîner Lily, qui cherchait juste à tirer sa famille de la pauvreté en travaillant nuit et jour à l'usine, dans un cauchemar de rebelles voleurs et bientôt saboteurs. Je m'étais peut-être résolu a être un jour pris en vadrouille, elle, baignait dans la routine du dur travail en usine pour gagner sa vie. Pendant un instant, je me sentis complètement misérable d'avoir entraîner cette pauvre fille là dedans. Elle qui n'avait rien demandé. Finalement, en balayant ces noires pensées accusatrices que je m'adressais directement, ma motivation est complète.

Le regard déterminé, je fais tourner ma nouvelle création dans ma main à la manière d'une épée et annonce d'un mouvement de tête que je suis prêt.

- Allons-y. Je décide de passer devant. Si un quelconque piège devait se refermer, ce serait sur moi. De plus, j'espérai ainsi pouvoir camoufler son visage d'une possible seconde caméra de surveillance qui filmait les environs et qui pourrait considérablement aggraver notre délit que nous pouvions toujours espérer faire passer comme acte désespéré...Avec beaucoup de chance, et d'espoir.

Je monte prudemment, mais en escaladant les marches deux par deux. En arrivant en haut, rien n'indique de danger potentiel. Je me décontracte un peu et fait signe à Lily de me rejoindre. Il me faut les clés pour ouvrir la lourde porte de métal qui s'oppose encore à notre objectif. Une fois la dite-porte déverrouillée, je la pousse très prudemment après avoir croisé une dernière fois le regard de Lily. Désormais, il me fallait toute ma concentration, et un silence absolu. La porte s'ouvre lentement, et je reste sur mes gardes, près à bondir hors de porté d'un quelconque projectile sortant tout droit d'un piège actionné par l'ouverture non prévue de la salle. Mais rien ne se produit. Mauvaise nouvelle. En effet, cela me semble trop facile. Peut-être que le patron de l'usine n'est pas très friand de sécurité ? Après tout, je viens souvent ici, et je n'ai jamais actionné de caméra auparavant. Néanmoins, je décide de ne pas abaisser ma garde, et met prudemment un premier pied dans la salle en étudiant son contenu d'un oeil critique, notant le moindre mouvement anormal, et repérant ce qui pourrait être utile à notre petit sabotage improvisé.

Au moins, nous sommes d'accords. Quelle autre solution avons nous ? Autant tenter de nous en sortir quand l'issue est la même en cas d'abandon comme en cas de défaite. Jamais je n'irais me punir de moi-même. Je préfère que le Capitole me tienne et me le fasse payer pour mes "crimes" comme il l'a toujours fait plutôt que de m'avouer vaincue sans avoir rien tenté. Lucas doit penser la même chose, mais je m'en veux terriblement. Je ne connais absolument rien de ces machines, ni de la salle de contrôle. L'inventeur a le poids de notre liberté sur les épaules. Je ne peux rien faire si ce n'est le guider ou l'assister dans ses tentatives de fuite.

Après quelques secondes, et alors que la tension est à son comble, Lucas décide de prononcer les mots que ni lui ni moi n'avons envie de prononcer : « allons-y ». Si notre envie de nous en sortir est belle et bien réelle, notre peur l'est également. Les risques que présente cette unique échappatoire sont si grands après tout. Malgré cela, je prend mon courage et deux mains et suis Lucas. L'escalier interminable devient un misérable palier franchi en moins de deux, et la porte de la salle de contrôle une entrée annexe pour les enfers. Je me demande où Mandrake trouve le courage d'enclencher la poignée pour pénétrer prudemment dans la pièce. Je le suis du regard, inquiète. J'ai l'impression de ne servir à rien, et j'ai peur qu'un piège se déclenche sous mes yeux. Ce n'est pas qu'une impression en vérité, c'est un fait : je suis totalement impuissante face à la situation.

Dans l'encadrement de la porte, je passe au peigne fin le décor. Peut-être descellerais-je quelque chose d'anormal. On ne sait jamais. Le moindre petit détail peut sauver. Mais rien. La seule chose que je remarque et une autre de ces caméras thermiques, qui semble me fixer telle une bestiole assoiffée de sang. Il n'y aura pas une, mais deux bandes à effacer. Aussi, je juge bon de transmettre l'information à Lucas.

« Il y a une autre caméra... »

Grossière erreur de ma part. Le son de ma voix, pourtant très faible, semble réveiller une alarme qui se met à retentir dans la pièce de façon stridente. Par réflexe, je rentre dans la salle se contrôle précipitamment et claque la porte derrière moi. L'isolation et l'épaisseur de la porte devraient suffire à camoufler le bruit, non ? Seconde erreur. Si l'alarme est maintenant imperceptible pour l'extérieur, il ne s'agissait que d'un de ses piège savamment élaborés du Capitole. Dès que la porte se ferme, je l'entend se verrouiller de l'extérieur. Les écrans de la salle s'allument simultanément et affichent un message on ne peux plus inquiétant.

« Intrusion de niveau 5... Plan d'é... élimination des nuisibles...? »

Ma voix tremble. Est-ce que c'est la fin pour nous ? Je commence à me trouver idiote d'avoir espéré une seule seconde tromper le Capitole. Stupide que je suis.