Ca fait des jours qu’il me séquestre dans cette cave, où la lumière du jour ne filtre même pas. Je suis seule la plupart du temps, il ne me rend visite que pour m’apporter à manger. Je passe tout mon temps à pleurer, ce qui semble beaucoup l’exaspérer, alors j’en rajoute toujours un peu quand il est dans les parages. C’est ma petite vengeance personnelle pour ce qu’il me fait subir. Il n’est pas très loquace, il ne m’adresse la parole que pour me dire d’arrêter de chialer, et de la fermer. Sauf une fois où il m’a avoué le sort qu’il me réservait. Il ne voulait pas me tuer, ou me violer, comme je l’ai cru au début. Son intention était de me livrer au District Treize pour obtenir une rançon. Il savait qui j’étais, m’avait appelée par mon prénom à plusieurs reprises, n’ignorait pas que mes parents seraient prêts à verser une fortune pour me retrouver. L’idée que son argent servirait à financer la rébellion étoufferait probablement mon père de rage, mais il n’y avait pas le moindre doute qu’il paierait quand même. J’étais sa dernière née, sa petite fille. Ma vie n’avait pas de prix.
Je m’en voulais. Je m’en voulais tellement. Si je ne m’étais pas mis en tête de me rendre en personne sur place pour m’imprégner de l’ambiance du District Sept afin de créer des costumes en parfaite harmonie pour mes futurs tributs, rien de tout ceci ne serait arrivé. Le maire avait organisé une fête pour notre départ, et ce rebelle m’avait pris en otage alors que j’étais sortie prendre l’air, étourdie par l’alcool local. Le nôtre était doux et sucré, alors que le leur était fort et brut. Rien de comparable.
Les poings et les pieds liés, adossée contre le mur, je jette un regard à ce rebelle qui dort à l’autre bout de la pièce qui, en soi, n’est pas bien grande. Il ne reste jamais pour la nuit d’habitude, mais peut-être qu’un imprévu était venu contrarier ses plans et qu’il n’avait pas trouvé d’autres alternatives que celle de me tenir compagnie. Il semble dormir profondément, c’est le moment que j’attendais pour passer à l’action. J’attrape comme je peux le couteau qu’il m’a tendu pour manger et qu’il a oublié de récupérer ensuite. Il devient négligeant. Avec beaucoup de difficulté, je parviens à trancher la corde qui liait mes poignets, et j’entreprends aussitôt de délier mes chevilles. Me voilà libre. Je n’ai plus qu’à m’enfuir à toute jambe en hurlant qu’un fou furieux m’a kidnappée et m’a retenue prisonnière dans une cave sordide. A pas de loups, je monte les marches et pousse la porte… qui refuse de s’ouvrir. Un cadenas verrouille aussi la porte de l’intérieur ! Je pousse un grognement frustré avant de plaquer ma main sur ma bouche – il ne faut pas que je le réveille. Il doit avoir la clef sur lui, c’est évident. Je suis contrainte d’élaborer rapidement un nouveau plan. Mon regard passe du couteau que je tiens encore à la main au corps inerte du rebelle. Oui, voilà. Je n’ai qu’à l’égorger dans son sommeil pour lui voler la clef. Aussitôt dit, aussitôt fait ! Je m’approche lentement de lui, sans un bruit, et m’agenouille à ses côtés. D’une main tremblante, je place le couteau sous sa gorge, avec la ferme intention de la lui trancher, mais soudain, je doute. Oter une vie est plus difficile qu’on ne le croit. En serais-je capable ? Ce rebelle est un méchant, il le mérite, mais je n’ai pas le cran nécessaire pour passer à l’action.
« Vas-y, fais-le. », me lance-t-il d’une voix où perce l’amusement. Je l’ai sûrement réveillé en essayant d’ouvrir la porte, à moins qu’il n’ait pas trouvé le sommeil ; en tout cas, il a fait semblant de dormir tout ce temps pour se moquer de moi. Vexée, je laisse tomber mon couteau au sol et retourne à ma place, à ruminer mes envies de meurtres.
(...)
Oh mon Dieu. Oh mon Dieu. Prise au dépourvue, je ne sais vraiment pas quoi faire. Mes mains tremblantes soulèvent la chemise de Dorian – il m’a enfin appris son prénom – et la blessure que j’aperçois à la lueur des bougies me ferait presque tourner de l’œil. C’est la première fois que je suis confrontée à quelqu’un qui a plus qu’un simple rhume. Dorian est rentré blessé cette nuit, il s’est fait tiré dessus par un Pacificateur, et si la plaie n’est pas belle à voir, elle ne semble pas si grave. Enfin pour ce que j’en sais… Je ne suis pas médecin, et je peux très bien me tromper. Je déboutonne rapidement sa chemise pour la lui ôter, et je l’entends me dire dans un sourire
« J’apprécie, mais ce n’est pas vraiment le moment. » Quand je comprends où il veut en venir, je ne peux m’empêcher de rougir jusqu’aux oreilles.
« Je veux juste te venir en aide, c’est tout. Ne te fais pas d’idées, tu n’es pas du tout mon genre. » « Ah, l’envie de m’égorger t’est passée ? » « Pour l’instant. » C’est la première vraie conversation que nous avons depuis notre cohabitation forcée. Je me sers de sa chemise pour épancher le sang, et j’ignore si je suis en train de l’aider ou de le tuer, car sa chemise est tellement sale que je risque tout bonnement d’infecter la plaie. Tant pis. De toute façon, s’il meurt, ça arrange mes affaires, pas vrai ? Il ne pouvait pas rester ici, il n’y avait rien pour le soigner, mais dans son état, il serait incapable de marcher. Une idée germe dans mon esprit ; il n’a pas pris la peine de refermer la porte. Je pourrais m’enfuir et le laisser crever ici, mais je ne peux m’y résoudre.
« J’ai une idée. Je reviens, attends-moi ici. » « Où veux-tu que j’aille ? », me répond-t-il avec cette même désinvolture, comme s’il n’était pas du tout en train de se vider de son sang.
Je dois avoir une apparence vraiment affreuse : je ne suis pas lavée depuis des jours, et j’ai tant pleuré que mon maquillage a certainement coulé, mais je me contente de rabattre la capuche de mon manteau pour dissimuler mon visage. Je regagne rapidement l’Hôtel de Ville, où j’ai établi mes quartiers, et je retrouve mon équipe de préparation, folle d’inquiétude à mon sujet depuis ma disparition. Pas de temps à perdre, j’embarque plusieurs trousses de secours et tout ce qui pourra m’être utile, je me contente de les rassurer sur mon état et je repars aussitôt, en leur promettant de revenir tout leur expliquer. Je me perds sur le chemin du retour, mais finit néanmoins par retrouver la cave qui était autrefois ma prison et qui est devenue… Je ne sais pas. Autre chose, j’imagine. Dorian a l’air surpris de me voir réapparaitre, comme s’il s’était fait à l’idée que je ne revienne jamais.
« Pourquoi tu es revenue ? Tu aurais pu t’enfuir. » « Je ne sais pas. » est la seule réponse que je peux lui apporter, et elle a le mérite d’être honnête. Mieux préparée, je peux enfin m’occuper de sa blessure, désinfecter, recoudre et panser sa plaie du mieux que je le pouvais. Ce soir, je venais peut-être de sauver la vie de mon bourreau. Quelle mouche m'avait piquée ? Iron avait raison, j'avais trop bon coeur. Mais tout ceci n'avait pas été en pure perte ; Dorian m'avait finalement relâchée, une semaine après m'avoir enlevée, et j'avais pu rentrer chez moi. J'avais gardé pour moi cette mésaventure. De toute façon, tout est bien qui finit bien, pas vrai ?
(...)
Je cours aussi vite que je le peux, le souffle court, les yeux embués de larmes et ma jolie robe tachée de sang. Mon cœur bat si vite, si fort, que c’en est douloureux, et dans ma fuite, je ne discerne rien d’autre que mon pouls qui martèle brutalement mes tempes jusqu’à m’abrutir. Je me dirige à l’aveuglette à travers un dédale interminable de rues qui se ressemblent toutes, car ma connaissance de ce District se limite à l’Hôtel de Ville et à ses proches environs. Mes talons entravaient ma fuite éperdue et je risquais de me tordre la cheville à tout instant, je les ai abandonnés en cours de route, et mes pieds nus s’écorchent douloureusement sur les pierres qui semblent placées sur mon chemin dans l’unique intention de me ralentir, ou me faire chuter. Mais si je tombe, c’en est fini de moi.
Je devine leurs pas juste derrière moi, leurs cris furieux qui réclament vengeance, et la terreur viscérale que je ressens en cet instant me donne la force de redoubler de vitesse, malgré un manque d’endurance certain. Je ne sais pas ce qu’il se passe, et cela me terrifie. Les gens d’ici semblent avoir tous complètement perdu la raison. En un rien de temps, ils se sont transformés en bêtes sauvages et nous ont violemment attaqués, mon escorte et moi ; dans l’échauffourée, ils ont même tué l’un des gardes du corps chargé de veiller sur ma sécurité. Et je suis la prochaine, me hurle une voix dans ma tête.
Sans réfléchir, je tourne à gauche mais un mur imposant me barre la voie. Mon cœur rate un battement quand je comprends que la rue que j’ai empruntée est une impasse. Je suis perdue, et je me sens blêmir à cette idée. La seule pensée qui s’impose à mon esprit en cet instant est la vision de mon corps mis en pièce par ces barbares sanguinaires. Mon Dieu, je ne veux pas mourir, pas ici, pas comme ça. Je fais aussitôt volte-face et m’adosse contre le mur, comme un animal pris au piège. Je vois cette foule s’approcher à travers les larmes qui me brouillent la vue. Un homme s’avance, m’attrape le bras et me force à le suivre sans ménagement. Je marche sans savoir où je vais, mais bientôt je me retrouve sur la Grande-Place où la foule est encore plus dense. Que me veulent ces gens ? Vont-ils me tuer pour venger les deux tributs du Sept qui ont trouvé la mort dans l’Arène ? Et où sont les Pacificateurs ? Pourquoi n’y en a-t-il aucun dans les rues ? Je sens mes jambes céder sous mon poids, et l’homme est obligé de me trainer jusqu’à l’estrade qui surplombe la place. Oui, je vais mourir, c’est sûr. Pour l’exemple. Je suis morte de trouille, mais je suis en même temps soulagée qu’Iron ne m’ait pas accompagné dans ce voyage, comme il en était prévu. Mais au moment du départ, il était introuvable et j’avais dû me résigner à partir sans lui pour ne pas rater le train.
Des coups de feu éclatent sur la place et contraignent la foule au silence. Je tremble de tous mes membres quand soudain, un homme m’entoure de ses bras. J’ignore où je puise encore la force de me débattre et de hurler, mais il assure sa prise et m’empêche tout mouvement.
« Shhh, c’est moi. », me glisse-t-il à l’oreille. Je relève alors spontanément la tête, et mes yeux trouvent naturellement les siens. Oui, c’était lui. Et sans un mot, il me prend dans ses bras et m’emmène loin d’ici, tandis que mes larmes ruissellent le long de son cou. Dorian vient probablement de me sauver la vie.
(...)
« Il faudrait que tu te démaquilles, et que tu enfiles des vêtements moins…, il hésite visiblement sur le terme à employer,
voyants. Il faut qu’on passe inaperçu. La révolte gronde au-dehors, s’ils te trouvent, ils s’en prendront à toi. Beaucoup sont déjà morts. » Je ne comprends pas pourquoi ce rebelle m’apporte son aide. Il déteste les Capitoliens, il me l’a dit la première fois que nos chemins se sont croisés. Peut-être se sentait-il simplement redevable envers moi. Une vie pour une vie, sa dette était payée. Il ne me devait plus rien. Il me tend un petit tas de linge qu’il veut me voir vêtir et je m’enferme dans la salle de bain. Lentement, je retire une à une les épingles qui maintenait ma perruque en place (la rousse, ma préférée car elle me faisait ressembler à Silver), avant de l’ôter précautionneusement, comme pour éviter de l’abîmer plus qu’elle ne l’était déjà. Je libère ma crinière blonde ; au Capitole, je porte tous les jours une nouvelle perruque, si bien que très peu de personne dans mon entourage connaissent ma véritable couleur de cheveux. Et pourtant, ma chevelure d’or sied à merveille à mon prénom. Gold. J’entreprends ensuite de retirer mes faux cils, puis mes faux ongles, avant de me passer un coup d’eau pour enlever toute trace de maquillage. Dans l’évier, l’eau se teinte de toute sorte de couleurs au fur et à mesure que je me débarbouille le visage. Je retire ma robe pour enfiler les vêtements que Dorian a trouvés. Ils sont trop grands, je nage littéralement dans la chemise, alors je la noue à la taille pour ne pas être gênée dans mes mouvements. Je me sens si ridicule, ainsi accoutrée, j’ai l’impression d’être déguisée. Je me sens mal à l’aise ainsi dépouillée de mes artifices, comme mise à nue. Je sors enfin de la salle de bain, en appréhendant la réaction de Dorian. Je ne le connais pas, et malgré tout, j’ai peur de ce qu’il pourra penser de moi en cet instant. Il pose sur moi un regard stupéfait, avant de me jauger quelques secondes. Je me mords la lèvre, nerveuse. Va-t-il se mettre à rire de ma piètre allure ? Finalement, le verdict tombe.
« Tu sais, tu es plus jolie comme ça. »C’est à mon tour d’être surprise. Se moque-t-il de moi ? Comment pourrais-je être plus belle au naturel que maquillée ? Décidément, ces gens sont vraiment très étranges.
(...)
Les Pacificateurs allaient arriver d’une minute à l’autre, un gamin était arrivé en courant, à bout de souffle, pour nous apprendre la terrible nouvelle. La planque avait été découverte. Il y avait tant de blessés, tant d’invalides victimes des dernières représailles des Pacificateurs, incapables de marcher par eux-mêmes. Les évacuer prendrait trop de temps, et du temps, ils n’en avaient pas. Ils n’en avaient plus. Toutes ces personnes… c’était tous des gens bien, des gens qui ne méritaient pas de mourir sous les coups des Pacificateurs, abattus sur la Grande-Place pour l’exemple. Je ne comprenais pas toujours leurs motivations, mais je respectais leur courage et leur détermination. Je devais faire quelque chose pour empêcher ce massacre, et j’avais ma petite idée. Seulement, elle me coûtait énormément. Je n’avais aucune envie de mettre mon plan à exécution, mais il le fallait. Des vies innocentes étaient en jeu. Je n’avais pas le droit de me montrer égoïste.
Je me tourne vers Dorian, les larmes aux yeux. Il se méprend sur ma détresse, prend ces larmes pour de la peur et tente de me rassurer en disant que tout va bien se passer, même si l’un comme l’autre savons pertinemment que ce n’est qu’un tissu de mensonges.
« J’ai une idée pour les retenir. » Il m’attrape le bras, comme s’il avait lu dans mes pensées.
« Non, fais pas ça. » « Tu me fais confiance ? », je lui demande d’une voix brisée. Sans la moindre hésitation, il hoche lentement la tête pour acquiescer.
« Si je ne fais rien, ils seront là d’une minute à l’autre. On ne peut pas risquer la vie de tous ces gens, tu le sais aussi bien que moi. » Je ravale un sanglot tandis que les larmes roulent le long des mes joues. C’est dur, ça fait mal, mais je dois m’y résigner. Il n’y a pas d’autres choix.
Je l’embrasse avec passion, je l’embrasse jusqu’à en perdre haleine, je l’embrasse comme si c’était la dernière fois que l’on se voyait – c’était probablement le cas – et notre baiser a le goût salé de mes larmes.
« Ne m’oublie pas. », je lui murmure. C’est ma dernière recommandation. Puis je tourne les talons et m’enfuit à toutes jambes, hors de cette cachette, en l’entendant hurler mon nom. Je cours dans les rues, et je tombe rapidement sur la troupe de Pacificateurs qui se dirige d’un bon pas pour accomplir sa sale besogne. Je me rue vers eux en hurlant et m’agrippe au Pacificateur le plus proche.
« Aidez-moi, je vous en prie. Je suis Gold Flickerman, les rebelles m’ont kidnappé, je… j’ai réussi à m’échapper. Aidez-moi. », je répète. Et je pleure de plus belle, je n’ai même pas besoin de me forcer, penser à Dorian suffit à me briser le cœur. Les hommes sont d’abord tous perplexes, je les comprends, ils ne m’ont jamais connu sous une apparence aussi simple, et je suis portée disparue depuis si longtemps qu'on a dû me croire morte, mais j’achève de les convaincre de mon identité. Ma famille est renommée : me ramener à mes parents leur vaudra certainement une promotion. C’est ce qu’ils doivent tous penser, puisqu’ils oublient presque aussitôt leur mission première. Penser à ma famille me serre le cœur, je m’en veux de leur avoir fait vivre cette terrible épreuve. Ils ont dû se faire un sang d’encre pendant des mois, sans savoir si j’étais morte ou toujours vivante, retenue prisonnière quelque part, sûrement maltraitée. Je suis une fille, une sœur indigne. Après tout ce qu’ils ont fait pour moi… Et même si je sais que Dorian laissera toujours un vide dans mon cœur et dans ma vie, je suis sincèrement heureuse à l’idée de retrouver ma famille.
(…)
Je suis rentrée chez moi. Me réadapter à ma vie Capitolienne n’a pas été aussi facile que je le pensais. J’ai remisé toutes mes tenues extravagantes au placard, je ne porte plus de perruque et j’ai cessé de me maquiller, ou du moins, le strict minimum. Je trouve ça indécent de me vêtir avec tant d’excentricité quand d’autres vivent dans une misère terrible, et n’ont rien pour vivre. Et puis Dorian me trouvait plus jolie comme ça. Ma famille, ma mère surtout, s’est étonnée de ce brusque changement, mais ils pensent sûrement que c’est à cause du traumatisme occasionné. Ils n’ont pas tort, dans un sens. Je m’ennuie, ici. La vie me parait soudainement vide de sens, comme si plus rien ne m’intéressait. Mais je souris, pour faire bonne figure. Après tout, c’est comme ça que ça marche, ici. Je commence à comprendre ce que Dorian reprochait au Capitole
.