Khaleesi R. Walker △ correspondances : 346 △ points : 0 △ à Panem depuis le : 17/12/2015 △ humeur : la mort dans l'âme △ âge du personnage : à tout jamais 18 ans
| Sujet: Cold as the ice. [ft. Colt] Jeu 17 Mar - 20:31 | |
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COLT & RAIN cold as the ice Mes paupières lourdes se soulèvent avec difficulté. J’ai l’impression qu’elles ne se sont pas fermées de la nuit. Je suis épuisée avant même de sortir du lit que je partage avec mes frères et sœurs. Le froid nous a longuement maintenus éveillés, durant la nuit. En dépit des épaisses couvertures en peaux animales qui recouvrent nos corps glacés, je sentais mon petit frère trembloter de froid. Je l’ai serré contre moi comme je l’ai pu. Il a mis du temps à se rendormir. Moi aussi. J’aurais parié que j’étais restée éveillée tout ce temps. Mais je suis incapable de me souvenir de ce que j’ai fait durant les dernières heures. C’est donc que j’ai sombré dans un sommeil plat, sans rêve. Mes bras sont toujours solidement refermés autour du corps inanimé de mon petit frère. Je l’observe un moment, à la lumière des premières lueurs de l’aurore. Un vieux réflexe. Il n’y a pas un matin d’hiver où je ne prends pas soin de vérifier que tout le monde est encore en vie. Parce que j’ai peur. Je suis terrifiée à l’idée qu’un membre de ma famille ne se fasse cueillir par le froid. Que l’un d’entre eux rende son dernier soupir dans un nuage de vapeur glacée. Que ses paupières restent closes jamais. Alors je prends le temps de vérifier que tout le monde va bien. J’observe simplement les deux petits corps allongés à mes côtés, sans bruit. Tous deux se soulèvent légèrement à un rythme régulier. Malgré les températures très basses, un souffle chaud se fait sentir au niveau de mes poumons. Le soulagement. C’est terrible, de devoir se réveiller chaque matin avec la peur au ventre. Une peur si omniprésente qu’elle en devient inconsciente. Mais le soulagement, lui, se ressent avec force et plaisir. C’est un sentiment agréable, que l’on connaît trop peu, et qui s’évapore rapidement. Fugace, insaisissable, je l’apprécie à sa juste valeur. C’est une brève parenthèse qui m’accueille au réveil. Et me fait oublier, l’espace de deux secondes, tous les problèmes qui vont suivre. La dure journée qui m’attend.
Je me glisse silencieusement hors du lit, prenant garde à ne réveiller personne. Un pied par terre. Le sol est raide et froid. Tout comme le lit. Je n’ai même pas envie de rester sous les draps. J’ai passé des journées entières à ne rien faire. A jouer au parfait légume sur ce lit vide et solitaire. Aujourd’hui, j’aimerais prendre l’air. Bouger. Quitter ce nid qui, bien qu’accueillant, se fait de plus en plus étouffant. Je veux partir loin. Explorer le District enfoui sous d’épaisses couches de neige. Voir à quoi ressemblent les champs une fois qu’ils sont tout blancs. Rendre visite aux troupeaux fumants cloîtrés dans des fermes animées. Mais ne croiser personne. A cette époque de l’année, les habitants sont de mauvaise humeur. Tous. Parce qu’il neige. Combien sont-ils, à se réjouir des chutes de neige ? Très peu. Au Dix, elles sont craintes, chaque année davantage. La neige est meurtrière. Elle tue les bêtes, étouffe l’herbe, gèle les eaux, glace les corps. Je me demande comment ils réagissent, dans les autres Districts. Au Capitole, surtout. Comme ils ont une façon bien à eux de voir les choses, totalement contradictoires aux nôtres, je devine qu’ils adorent ça. Qu’ils trouvent le moyen de voir de la beauté dans ces paysages morts. Ils y voient sans doute une arène naturelle. Comme si la nature choisissait elle-même les gagnants de l’hiver. Je n’ai pas la notoriété des gagnants des Jeux, mais je suis bien fière d’avoir résisté dix-sept hivers durant. C’est ma victoire sur la vie. Et je compte bien poursuivre ainsi.
Je rampe sans bruit sur le sol, me déplaçant avec une agilité qui m’est venue au fil des années. Quand c’est la seule façon de se mouvoir, d’aller d’un endroit à un autre, il faut bien faire avec. Je me souviens avoir longuement eu mal au genou, aux mains, aux bras. Faire le tour de la maison était épuisant. J’avais la chair rouge à force de la racler contre le sol à longueur de journée. Ça n’a pas réellement changé, je suis toujours toute rouge quand je rampe de la sorte. Mais je n’ai plus mal. Pas plus que je ne ressens de douleur dans ma jambe gauche. Elle ne se porte pas trop mal, ces derniers temps. C’est peut-être le froid qui l’engourdit, et fait taire les élans douloureux. Je demanderai son avis d’expert à Zimmermann, la prochaine fois qu’il voudra bien se montrer. Pour le moment, je reste dans l’inconnu, trop occupée à ne réveiller personne. Je sais que s’ils me voyaient ainsi me préparer pour aller au-dehors, mes parents feraient tout leur possible pour me l’interdire. Et vu l’état de mon corps, je n’opposerais pas grande résistance. C’est donc sournoisement que je saisis ma chance. Dans peu de temps, ils vont se lever pour aller travailler. Ils n’auront pas le temps de se préoccuper de ma disparition. Comme toujours, je laisserai quelques brins d’herbe sur la table pour leur signaler que je suis sortie. Je pourrais leur écrire un mot, si je savais comment m’y prendre. Alors j’ai trouvé ma technique à moi : je ramasse quelques brindilles à l’entrée de la maison, les dépose sur la table, et disparais. Maman déteste que je fasse ça. Je crois que quelque part, je la comprends. Mais qu’elle me comprend aussi. Qu’elle comprend ma soif de liberté, toujours plus grande. Elle, qui passe ses journées à s’activer sans jamais se reposer, envie peut-être la faiblesse de mon corps qui me force à rester alitée toute la journée. Moi, je lui envie sa forme, son énergie, son corps maigre mais robuste, son endurance à toute épreuve. Avec de pareilles qualités, je pourrais aller n’importe où. Je pourrais faire tout ce dont j’ai envie. Je pourrais courir. Je crois que je commencerais par ça. Aller vite. Prendre appui sur mes deux jambes. Je pourrais grimper aux arbres. Et même me glisser sur le dos d’un cheval sans aide. Je pourrais être indépendante. C’est un rêve que je nourris depuis qu’on m’a expliqué la signification de ce mot. L’indépendance. C’est une belle chose. On peut s’assumer tout seul, on peut faire ce dont on a envie. C’est une forme de liberté. C’est un rêve que je caresse. Un rêve que je suis vouée à seulement caresser.
Je m’enveloppe d’une épaisse cape de peau, que j’ai grossièrement taillé de mes propres mains, et me saisis du gros bâton de bois qui accompagne chacun de mes bas. C’est comme une béquille, m’a expliqué Zimmermann. Il me soutient du côté où je défaille. Il ne remplace pas tout à fait ma jambe paralysée, mais me permet au moins d’avancer comme un être humain à peu près normal. C’est une grande fierté, pour moi. Je n’ai pas l’impression de ramper comme un animal en fin de vie. Je me hisse à la hauteur de mes semblables. Comme pour les défier de me traiter de monstre une fois de plus. Car je ne suis pas un monstre. Je suis un être humain, qui est né plus malheureux que les autres. C’est tout. Et j’ai passé suffisamment de temps à m’en plaindre. Aujourd’hui, je vais de l’avant. Que ça plaise ou non.
Mes chaussures sont les plus épaisses que l’on trouve dans cette maison. Les autres ont des semelles plus fines, parce qu’on ne les racle pas par terre, et qu’elles s’usent moins vite ainsi. Les miennes ont coûté cher, et je m’en veux d’être née de sorte à coûter une telle fortune. Alors j’en prends le plus grand soin. Pour que l’humidité ne les attaque pas, je les enveloppe elles aussi dans des peaux protectrices, les nouant bien fermement autour de mes pieds pour qu’elles ne se dérobent pas. Ainsi équipée, j’ouvre doucement la porte, dépose une petite touffe d’herbe morte sur la table, et m’en vais discrètement dans le paysage blanc. Comme à l’accoutumée, les environs sont déserts. Mes parents ont choisi de s’installer dans une bâtisse éloignée du cœur du District. Je sais que c’est à cause de moi. Ainsi isolée, je ne reçois de critique de personne. Et mes parents non plus. Je suis sûre que certains ignorent jusqu’à mon existence. C’est une bonne chose. C’est autant moins de harcèlement et de remarques désobligeantes sur mon corps imparfait. Ici, je suis tranquille. Je peux marcher pendant de longues minutes, des heures même, sans croiser qui que ce soit. Personne, si ce n’est cette fidèle jument que j’ai apprivoisée il y a quelques mois à présent. Sortie de nulle part, elle est une pure lueur d’espoir dans ma vie bien terne. Grâce à elle, je peux me déplacer sur des kilomètres ! Goûter à l’ivresse de la vitesse ! Explorer des horizons nouveaux, qui me seraient restés inconnus sans son apparition soudaine. Mais, comme une bonne chose ne dure jamais longtemps, avec ce miracle sont arrivées les inquiétudes. Ce cheval n’est pas à moi. Il ne m’appartient pas. Je ne l’abrite pas, ne le nourris pas, et pourtant il m’arrive de le chevaucher. Et bien que chaque promenade me vide la tête, quelque part, j’ai toujours cette crainte de tomber sur son vrai propriétaire. Ce jour-là, je vais connaître de sévères remontrances. Peut-être même qu’on me dénoncera aux Pacificateurs, m’exposant à un châtiment que je n’ose imaginer. Ce jour-là, c’en sera fini de moi. Prudente, maman me déconseille de me balader à cheval trop souvent. Je ne peux me résoudre à lui obéir. Je risque de payer cette infraction de ma vie. Mais à quoi bon vivre si c’est pour se traîner indéfiniment à cause d’une jambe malade ? Je préfère une vie courte mais intense à une longue peine de mort à purger dans la morosité.
La neige craque sous mes pas lourds. Mon pied droit laisse des traces saccadées dans la poudreuse, tandis que le gauche, inerte, y creuse une longue traînée ininterrompue. L’effort m’arrache des souffles bruyants, emplissant l’air de la brume blanchâtre qui s’échappe de ma bouche entrouverte. Je respire avec bonheur l’air pur et froid de cette matinée grise. J’aime être dehors. C’est un bonheur trop rare, que je savoure chaque fois davantage. Je sens mes muscles se contracter pour me tirer vers l’avant, je me sens vivante comme jamais. Armée de mon solide bâton qui me fait comme une troisième jambe, je me hisse jusqu’au point de ralliement. C’est l’endroit où j’ai connu la jument. C’est l’endroit où on se retrouve occasionnellement. Je ne sais pas pourquoi elle se retrouve là, attirée comme un aimant. Les animaux sont fascinants. Tout ce que j’espère, c’est que son propriétaire ne l’envoie pas à l’abattoir. Surtout pas pour nourrir les bouches déjà remplies du Capitole. Non, surtout pas ça. Pas ce cauchemar.
Rien ne m’indique qu’elle viendra ici. Nos rendez-vous ne sont pas ceux de deux personnes banales. Il y a moi, la malade, et elle, l’animal. Nous venons quand nous pouvons. Nous nous rencontrons quand le destin s’en mêle. Je ne vois pas ce que ça peut être d’autre. Et le destin est trop aléatoire pour savoir si mes souhaits deviendront réalité aujourd’hui. Mais j’attends malgré tout. Je reste en mouvement pour ne pas geler sur place, puis m’arrête jouer un instant avec la neige, bravant l’inconfort du froid pour laisser les flocons fondre au creux de mes paumes. Déjà, je sens mes doigts de pieds s’engourdir. Il faut que je reparte. Je ne peux pas attendre ici indéfiniment. Il est tôt, la jument ne se montrera probablement pas à cette heure. Pas par ce froid. On doit la garder prisonnière dans la chaleur moite d’une ferme voisine. Mais ça ne mettra pas fin à ma sortie. Je plante solidement mon bâton dans la neige, et me remets en marche. Je connais ma destination. Je connais la route. Seul mon handicap m’empêche d’y parvenir rapidement. Mais, une bonne heure plus tard, je parviens au fleuve, dont les eaux sont glacées en cette saison. Le souffle me manque, j’ai les poumons en feu, mes bras tremblent tant j’ai abusé de leurs forces, et tout mon corps transpire. Mais je suis contente d’avoir atteint les eaux noires. Je reste cependant sur les berges, observant de loin cette étendue d’eau faussement tranquille. La neige craquelée qui borde le fleuve ne m’inspire pas confiance. Un faux mouvement, et je peux glisser dans les eaux glacées. Je sais que je n’en sortirai pas. Je ne sais pas nager, et il n’y a personne pour me porter secours. Je préfère donc rester à bonne distance de cet écueil.
Alors que je reprends mon souffle, toussant sous la brûlure laissée par la circulation de l’air froid, hésitant encore quant à la direction à prendre, je vois une ombre se diriger vers moi. Trop loin, je ne la reconnais pas. Mais plus elle s’approche, plus je peux l’identifier. Cette allure décidée, cette chevelure brune, ce regard dur et hautain ; je ne peux retenir un soupir exaspéré à la vue de cette étrangère dont je me serais bien passée. Alors qu’elle arrive à ma hauteur, je l’accueille avec une froideur de saison.
- Colt. Pas de cadavre sur les bras, cette fois ?
Et j’éternue. Sans prévenir. Moi qui voulais insulter son arrogance, voilà que je m’effondre déjà. Toute reniflante, je sens que je n’en mène déjà plus large.
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