La Moisson venait tout juste tout juste de se terminer. Puisque nous étions encore à une édition d’expiation, les règles avaient changé. Cette année, certains districts emmenaient le double de tributs. Par malchance, j’avais alors dû tirer deux noms supplémentaires. Deux jeunes enfants que je devrais préparer, emmener dans l’arène et ne jamais les revoir. Comme à mon habitude, j’arborais mon plus grand et beau sourire, sans montrer la moindre d’hypocrisie dans celui-ci. Aucune hôtesse ne pouvait s’enlever de l’idée que, chaque année, elle perdait ses tributs. Seulement une pouvait se réjouir de voir l’un de siens remporter les jeux, mais dans tous les cas, elle devait tout de même supporter la mort de l’autre tribut n’ayant pas eu cette chance.
Nous partîmes de la grand-place du district cinq. Comme le voulait la tradition, les tributs avaient encore quelques minutes pour faire leurs adieux à leur famille. Parce que, honnêtement, tous ne reviendraient sûrement jamais. Chacun était alors placé dans une salle. Cela fut déjà compliqué, étant donné que seulement deux salles étaient prévues à cet effet. Mais le maire du district parvint tout de même à libérer deux salles pour que chacun puisse revoir sa famille avant de partir vers le Capitole en ma compagnie et celle de leur équipe de préparation. Je les laissai donc partir dans leurs salles. Me retrouvant seule, avec l’équipe de préparation. Cependant, ils n’étaient pas on plus présents, trop occupés à fignoler les derniers détails des costumes sûrement. Je me retrouvais donc en compagnie plutôt désagréable de quelques pacificateurs du district.

Ce n’était pas vraiment dans mes habitudes de m’attarder sur eux, et encore moins de leur parler. Ils étaient tous de vieilles brutes, en tout cas, ceux que j’avais rencontrés. Des collègues m’ont raconté une fois qu’ils avaient vu une femme pacificateur, cela doit être bien rare, puisque je n’en ai jamais vu depuis le début de mes occupations d’hôtesse. Il faut dire qu’un homme imposant donnait moins envie de faire n’importe quoi qu’une femme frêle d’apparence. De plus, leur réputation n’était pas très… glorieuse. Rares étaient ceux qui devenaient pacificateurs pour le plaisir. Un bon nombre étaient des orphelins, des cancres envoyés en redressement ou des choses dans le genre. Alors, comment parler de finesse avec des brutes ?! Totalement impossible ! Je me dirigeai donc vers une verrière du bâtiment, qui nous donnait une très belle vue des alentours. Je voulais tenter d’apprécier ce district, mais cela était bien difficile quand on le comparait au Capitole. Je fus cependant coupée dans mes réflexion par une mauvaise présence. Alors comme ça, je ne pouvais pas m’approcher d’une fenêtre sans être suivie par l’un de ces abrutis ? Peut-être avaient-ils peur que je… je ne sais même pas… que je me jette par la fenêtre ? Quel serait mon gain ? Je lui lançai alors l’un de mes regards noirs qui faisait comprendre que l’on était pas désiré dans les parages. Il faut croire qu’il ne comprit pas. Il restait à côté de moi, avec son visage impassible, quoique me laissant penser qu’il me prenait pour la pire des abruties avec les cheveux roses. Peut-être avait-il raison après tout ? Pour lui, j’étais sûrement une pouf excentrique n’ayant rien à faire ici. Ou je ne sais quoi d’autre. Cela se voyait qu’il n’appréciait pas non plus de devoir rester à côté de moi, mais c’était comme ça. Peut-être lui avait-on demandé de me surveiller. Tout ce que j’espérais en cet instant, c’est que ce ne fusse pas lui qu’on m’avait attribuée pour ma « protection » lors de toute la durée des jeux. Je ne me faisais cependant pas beaucoup d’illusions, certains pacificateurs étaient nommés seulement pour cela, et je ne l’avais jamais vu avant…

Je sortis alors de mes pensées, prise d’une envie pressante. Je pris la direction des toilettes, dans un couloir pas très fameux. Il me suivait encore. Je me retournai alors sans hésiter : « On ne peut pas aller aux toilettes seul dans cet endroit ? »

Une fois par an, l'atmosphère du district cinq devenait lourde, presque insupportable, alors que chaque famille appréhendait la Moisson. Cette Moisson qui condamnait deux jeunes enfants à une mort certaine. Non seulement il était difficile de voir deux adolescents voir leur avenir s'écrouler cruellement devant leurs yeux, mais il était d'autant plus difficile d'en voir quatre... Cette année était bien spéciale, il s'agissait d'une année d'expiation. La première au souvenir de Landon. Depuis son réveil au Capitole, il apprit tout de Panem sans rien juger, sans rien contredire. La première année qu'il dut assister aux Jeux de la Faim, il comprit qu'il s'agirait d'une période stressante même pour lui qui ne connaissait personne de mémoire. Il ne prenait nullement plaisir à cette barbarie, à visionner des humains s'entre tuer dans une arène pleine d'obstacles. Mais il ne manifestait pas son désaccord au grand jour. Car il était de son devoir d'être obéissant et d'accepter toute loi imposé par le Président. Si Snow croyait bon d'envoyer une vingtaine de jeunes dans cette arène, il avait ses raisons. C'était pour la paix, pour l'autorité. Il se devait de se faire respecter et de rappeler aux habitants de Panem que la révolution qui eu lieu il y a soixante-quinze ans au District Treize n'a eu aucune répercussion positive sur le monde. Et comme à chaque année, Landon était assigné à la surveillance des tributs et de leur équipe. Il était en quelque sorte leur garde rapprochée, seulement par précaution. N'importe qui pourrait tenter n'importe quoi pour empêcher ces enfants de s'échapper et d'éviter les Jeux... Ce n'était pas si facile. Une fois choisi, on ne peut s'en sortir, à moins de gagner les Hunger Games en éliminant tout adversaire.

Cette fois, Landon avait comme mission de garder un oeil sur l'hôtesse du district. Il l'avait déjà vu dans le passé, surtout à l'écran lors des éditions précédentes, mais jamais il n'eut l'occasion d'avoir le moindre échange avec elle. De toute manière, les Pacificateurs n'étaient pas présents pour faire la conversation, mais bien en tant que gardien. Sans commentaire, le visage de marbre, Landon accomplissait son travail comme il lui était dit de le faire. Il gardait un oeil rapproché sur la jeune femme tout en gardant une distance raisonnable entre eux afin de lui démontrer un minimum de respect. Son apparence le laissait légèrement perplexe. Ce n'était guère la première fois qu'il apercevait l'extravagance du Capitole; il passa plusieurs mois dans la capitale pour son entraînement de Pacificateur. Pourtant, il n'avait jamais compris cette mode... À moins d'aimer avoir les yeux poser sur soi en permanence, il ne voyait pas l'intérêt de se teindre les cheveux en de couleurs flamboyantes, de changer la couleur de sa peau ou d'arborer des vêtements tous plus étranges les uns des autres. Landon préférait, et de loin, une femme naturelle qui assumait ses atouts sans avoir recourt à des artifices. Légèrement distrait par ses songes, il eut tout juste le temps de freiner sa marche qu'il avait entamer lorsque l'hôtesse quitta la verrière afin de ne pas foncer sur cette dernière. Elle s'était brusquement tournée vers lui et s'était adressée à lui d'un ton qu'il perçut comme agacé. Pris au dépourvu, Landon observa le regard électrisant de la jeune femme aux cheveux roses et dut admettre que d'avoir un chien de poche à ses trousses à tout instant pouvait être agaçant. Le Pacificateur retrouva malgré tout sa contenance, se redressant sur lui-même, et lui offrit comme seule réponse: « Il est de mon devoir de veiller à votre protection, Madame. » Sa voix demeurait neutre, mais courtoise. Les yeux maintenant élevés, il crut bon de détourner le regard afin de ne créer aucune confrontation. Enfin, c'était ce qu'il avait appris. Il demeura immobile, aussi rigide qu'un bloc de glace, mal à l'aise qu'on lui adresse soudainement la parole. D'habitude, tous se préservaient de parler aux Pacificateurs, ils faisaient en quelque sorte partie du décor. Ils ne manifestaient leur présence seulement lorsque la situation l'exigeait, mais généralement Landon préférait demeurer en retrait. Surtout dans ce genre d'évènement...

J’avais sûrement été trop agressive dans ma façon de lui poser cette question stupide. Bien sûr qu’il me laisserait seule ces quelques instants dont j’avais besoin, mais mon agacement était tel que je ne me rendis pas compte de la froideur de mes paroles. En plus de me prendre pour une écervelée à l’allure grotesque, il allait me trouver agressive et méchante. Que je me sentis bête, encore plus lorsque j’entendis sa réponse parfaite qui prouvait qu’il n’était pas exactement comme les derniers que j’avais pu rencontrer les dernières années. Pourtant, sa formulation m’interpella. Il voulait « veiller à ma protection »… De quoi devait-il me protéger au juste ? Il était vrai que nous, les hôtesses, nous avions entendu des histoires sur certains tributs totalement fous qui s’en prenaient à n’importe qui pour montrer leur désespoir face à la Moisson qui les avait choisis. Cependant, je ne pensais pas courir réellement de risques. Et puis, cette situation ne semblait guère lui procurer plus de plaisir qu’à moi. Je laissai donc mon agacement retombé petit à petit pour finalement m’exprimer de manière plus sympathique. « Je dois aller au petit coin, puis-je m’absenter sans être suivie ? » Sous une formule polie, je partis sans attendre de réponse.

Quelques cinq minutes plus tard, me voilà revenue auprès de mon tout nouvel ami. Pour la première fois de ma carrière, j’avais fait parlé un Pacificateur ! Et de façon courtoise en plus. Un exploit que je devais m’empresser de raconter au Capitole puisque nous étions plus habituées aux comportements obscènes venant d’eux en général. Mais le moment n’était pas au coup de téléphone inopportun, d’autant plus que je doutais que l’on puisse joindre le Capitole d’ici. Mon regard s’attarda alors sur mon « protecteur ». Je fus frappée de surprise. Comment n’avais-je pas pu le remarquer plus tôt. Pour un homme de son espèce, il était plutôt en bon état. Il devait avoir mon âge, peut-être un peu plus – de toute façon, je ne suis pas douée pour estimer l’âge des gens - et était, avouons-le, assez séduisant. Il n’avait pas l’allure habituelle que je connaissais des pacificateurs. J’avais l’impression de reconnaître une touche du Capitole en lui, mais cela était tout simplement impensable étant donné qu’il était ici, à me surveiller en même temps que son district. Cela m’intriguait, et me mit rapidement mal à l’aise lorsque je réalisai que je n’étais pas la seule à étudier la personne en face de moi. Je détournai le regard rapidement, gênée par la simple idée qu’il était certainement en train de m’imaginer comme la pire des abruties aux cheveux roses. Je souris furtivement en me gratifiant de n’avoir jamais voulu changer la teinte de ma peau ou me faire poser de fausses moustaches de chats. Qu’aurait-il pensé en voyant une fille aux cheveux roses, à la peau bleue et moustachue ?! C’est alors que je me demandai pourquoi tout cela m’inquiétait. Après tout, il n’était qu’un pacificateur insignifiant que je ne reverrai jamais, ou du moins les rares fois que je reviendrais ici, dans le Cinq. Alors pourquoi m’inquiéter sur ce qu’il pouvait penser de moi ? La question m’occupa l’esprit quelques secondes pour enfin être balayée par les questionnements qui attisaient ma curiosité. Je ne perdis alors pas une seconde pour en savoir plus. « Excusez-moi, je ne pense pas avoir été polie. On m’appelle Delysia. » Je me rendis compte de ma stupidité en l’instant. Je grimaçai un peu pour montrer que j’avais compris mon erreur. Évidemment, il savait mon prénom. Tout le monde savait mon prénom. Encore plus, je me doutais, celui qui avait pour mission de me protéger. « Et vous ? » Je devenais agréable avec un pacificateur, je me demandais bien ce qui m’était venue à l’esprit. Mon engouement pour tout ce qui était nouveau devait m'avoir prise. Et puis, de toute façon, je n'avais rien à faire, à part attendre que le temps donné aux tributs pour faire leurs adieux à leurs proches ne soit terminé. Je me mis donc en tête de découvrir de nouvelles choses. Peut-être seraient-elles assez intéressants pour les soirées au Capitole...

La courtoisie était une chose qui n'était pas commune parmi les Pacificateurs, Landon le savait que trop bien. Et malgré l'entraînement qui lui apprit de A à Z comment se comporter en présence d'habitants des districts ou du Capitol, certains automatismes demeuraient présents. Il ne saurait dire si dans le passé il faisait preuve d'autant de politesse envers tous et chacun qui croisaient sa route, mais cette attitude lui venait tout naturellement. Il savait également que ses confrères gardiens n'appréciaient ou n'approuvaient guère cette courtoisie, il n'était pas bien vu de traiter les habitants comme des égaux. Mais Snow ne lui avait jamais reproché quoi que ce soit à ce sujet à l'époque où il créchait dans la grande capitale, donc il ne corrigea jamais cette marque de civilité. Même si Landon avait détourné le regard loin de l'hôtesse, il pouvait pressentir la confusion émaner de cette dernière. Il l'avait certainement surprise, comme toute personne le côtoyant pour la première fois d'ailleurs. Afin de ne pas créer davantage de perturbation à la jeune femme, le Pacificateur demeura silencieux et immobile sur ses deux jambes, attendant... une seconde réaction ? En fait, il ne pouvait initier aucun mouvement, aucune parole, puisqu'il était là seulement pour la protection de l'hôtesse du district cinq. Son immobilité et son silence obligèrent Thelma à faire le premier pas. Elle s'excusa avant de disparaître derrière la porte menant aux toilettes des dames. Landon n'allait certainement pas la retenir, il doutait qu'il puisse arriver quoi que ce soit à l'intérieur. Cependant, il aurait bien aimé pouvoir inspecter les lieux avant qu'elle ne franchisse la porte... Trop tard. Se résignant à attendre à l'extérieur, Landon se posta le long du mur, juste à côté de la porte, et jeta un oeil aux alentours le temps que sa protégée le rejoigne à nouveau.

Quelques minutes passèrent pendant lesquelles le Pacificateur tenta de demeurer calme. De ses maigres années d'expériences, il craignait toujours d'effectuer un faux pas, ne pas faire preuve de suffisamment de vigilance. Aurait-il pu faire mieux dans un tel cas ? Peut-être pas. De toute manière, elle ne lui avait pas laissé le temps de penser, elle s'était précipitée vers les toilettes. Lorsqu'il entendit la porte ouvrir à ses côtés, un sentiment de soulagement l'emplit, comme s'il craignait qu'un fou furieux ne se cache sous le lavabo près à attaquer. Statique dans sa position de garde, il se sentit soudainement observé. Il avait l'impression d'être décortiqué à la loupe... Ne pouvant ignorer cette sensation persistante, Landon posa les yeux sur la jeune femme qui l'observait d'un oeil... critique ? Et il ne put s'empêcher de regarder de nouveau cette chevelure extravagante ainsi que cet accoutrement inhabituel dans le district. Son nouvel inspection ne dura qu'un bref instant avant de retrouver sa contenance et le but premier de sa présence en ces lieux. Le voilà toujours de marbre à attendre le moindre mouvement de l'hôtesse. Mais au lieu d'effectuer un geste quelconque, celle-ci prit plutôt la parole, s'excusant et se présentant. Oui, bien sûr qu'il connaissait son prénom, travaillant dans le district depuis une couple d'années déjà, mais cette réaction le déboussola quelque peu alors qu'il tentait de garder son impassibilité. Toutefois, lorsqu'elle lui demanda son prénom à son tour, Landon ne put s'empêcher d'afficher un air de surprise. Jamais on ne lui demandait de se présenter en temps de service. Décontenancé, il observa la jeune femme d'un air incertain, comme s'il ne savait pas quoi répondre. Était-il sage de partager cette information ? Enfin, il ne voyait rien ne bien malin dans la façon qu'elle s'adressait à lui... « Landon » dit-il enfin d'une voix qui se présenta incertaine. Et c'est alors qu'une pensée lui traversa l'esprit; Vera semblait vraiment différente des autres habitants du Capitole qu'il avait rencontré dans le passé. Elle avait cet air d'intérêt porté vers lui, dépourvu de tout égocentrisme. Landon devait avoué qu'il se sentait légèrement déboussolé par cette attitude, surtout qu'elle semblait agacée de sa présence il y a à peine quelques minutes. « Ne vous inquiétez pas pour la politesse, Madame, j'ai déjà vécu pire » confia-t-il alors qu'il tentait de contenir du mieux qu'il le pouvait ce petit sourire courtois qui s'étirait au coin de ses lèvres. Afin de le camoufler et de retrouver son sérieux, Landon abaissa la tête.