meet me under the moonlight.

LEVI & LORELEI

Une légère brise, un ciel qui virait au jaune d’or le long de la ligne d’horizon. Lentement mais sûrement, les minutes s’écoulaient, les dernières minutes de la journée. La nuit allait bientôt tomber sur le district trois. C’était ici qu’il avait trouvé refuge depuis quelques jours à peine, âme qui erre sans que personne ne le remarque. Bien heureusement. Il avait marché toute la journée pour arriver ici, et voilà qu’il s’exilait complètement de la ville, pour rejoindre les abords des lacs. Aucune fête spéciale ce soir ne semblait être prévue. Les habitants du district allaient juste se contenter de s’endormir avec leurs propres songes. Dormir. Il donnerait n’importe quoi tiens, pour pouvoir dormir vraiment, aller jusqu’à rêver encore un peu. Depuis des années déjà, ne restait plus que des cauchemars mais quand bien même. Il était confronté à un voile noir depuis trop longtemps déjà, pour ne pas même se contenter de ses cauchemars. Son cerveau commençait à avoir besoin de repos, alors qu’une satanée migraine ne le quittait plus depuis quelques jours déjà. Ca allait passer, ça allait forcément passer mais il ne pouvait pas se laisser freiner par quelque chose d’aussi simple qu’un mal de crâne. Qui sait, peut-être que cette nuit, la proximité de l’eau calme allait l’aider à retrouver un quelconque apaisement, quoique ce soit qui lui permettrait d’échapper à tout ce qui annihilait ses sens. Il avait vaguement laissé tomber les affaires qu’il transportait, le tout s’écrasant au sol dans un fracas qui aurait pu ne pas passer inaperçu, si seulement il y avait âme qui vive alentours. Les gens étaient trop pris dans leur propre vie pour accorder de l’importance à celle d’un homme solitaire. Parfait, c’était bel et bien ce qu’il cherchait. Eviter toute présence inutile et parasitaire autour de lui, se contenter du plus important, du vital. Il n’avait pas besoin des autres pour survivre. Juste de lui et du maximum de ses capacités. Chaque jour qu’il passait en vie ne faisait que prouver cette loi infaillible. Il l’avait comprise chez les Pacificateurs, malgré toutes les douleurs qu’il avait pu endurer pour être formé. Avec plus de souplesse que ses affaires, Levi s’assit dans l’herbe fraîche, fixant son regard sur l’horizon qui virait déjà à l’orange. Le temps semblait filer si vite quand le soleil se couchait.

Il ne savait même pas s’il pourrait se relever maintenant. Avec le temps, la distance parcourue, il avait oublié ces douleurs au bas du dos, ainsi que celle qu’il avait au bras, alors qu’une profonde entaille trop récente laissait encore ses chairs apparaître. Rien de bien cruel, il cicatriserait rapidement, du moins, il l’espérait. Son corps avait fini par s’habituer à toutes ces nouvelles peines, ces plaies, ces blessures trop importantes pour qu’il puisse continuer à avancer comme si de rien n’était. Il avait gagné en cicatrices, et préférait se dire que c’était pour une bonne cause, que ça en valait la peine et qu’il se détesterait s’il était resté parmi les Pacificateurs en fermant les yeux sur la mort de son frère. Son propre frère. Ils avaient osé lui prendre son frère, la seule part d’humanité dans sa vie… et il était prêt à s’arrêter de lutter qu’une fois qu’ils auront amèrement regretté leur geste. Le plus simple aurait été de retrouver le fameux vainqueur de cette édition des Jeux pour le tuer. Mais non, c’était bien plus complexe… Il n’avait pas eu le choix, tout comme ceux qui se battaient à présent dans l’arène, ceux qui se battraient encore pendant des décennies, des siècles même si personne ne faisait rien. Un spasme parcourut sa mâchoire, crispant son visage alors qu’il se perdait dans ses pensées. Un moment de solitude, un moment de plénitude, il n’avait besoin de rien d’autre pour se plonger dans les racines de son passé. Les souvenirs étaient là, immuables, ils le hantaient tels une éternelle malédiction qui se plaisait à l’accabler plus que les blessures physiques qui pouvaient entailler son corps et le vider de son sang. C’était trop simple de guérir cette petite entaille le long de son bras, en comparaison avec ce qui le dévorait de l’intérieur depuis qu’il avait assisté impuissant à la mort de son frère, à travers un minuscule, minable et ridicule écran de télévision. Même si chaque respiration était lourde, assaillie par le passé, il restait toujours en vie, et c’était peut-être ce qui devait importer. La mort l’attendait forcément au bout du tunnel, ou du chemin, ou de n’importe quel schéma qui pouvait représenter sa vie, sa toute petite vie au milieu de toutes les autres.

Echappant à la vague déferlante de ses pensées, Levi soupira légèrement, profitant du silence pour exprimer tous ses ressentis. A sa façon. Une façon bien particulière certes, mais ça ne le frustrait nullement. Après tout, il avait appris ça depuis tout petit. Si à une époque désormais effacée de sa mémoire il avait eu une mère à l’écoute et attentive à tous ses états d’âme, il avait du faire avec une fois que celle-ci avait déserté le monde des vivants pour rejoindre celui des mots. Le cadet était allé la rejoindre en premier et Levi continuait d’errer, comme une âme en peine, crispé par ses propres douleurs, par ce passé qui le rattrapait constamment. Une vie normale n’aurait jamais rendu justice à sa famille, tout comme une vie de Pacificateur aurait entaché la mémoire de son frère, il se disait sans cesse qu’il avait fait le bon choix. D’autres Pacificateurs avaient perdu des leurs dans les Jeux et pourtant, comble de l’ironie, ils continuaient de lutter coûte que coûte pour que le Gouvernement actuel reste en place, faisant taire toute marque de rébellion avec une poigne implacable. Jamais plus, après la mort d’Alecto, Levi ne se serait senti de faire ça. D’agir ainsi. Sentant la faim accaparer son estomac, il finit par quitter ses pensées, pour attraper ses affaires et farfouiller dans celles-ci, à la recherche de quelque chose, n’importe quoi qui lui permettrait d’échapper à la chasse ce soir. A ses souvenirs, il avait gardé quelques provisions d’urgence et peut-être qu’il devrait les garder pour autre chose que pour ses soirs de flemme. Mais pour le moment, l’urgence ne semblait pas prête à se pointer à l’horizon… tout comme le moindre gibier. Il devait donc se contenter de ce qu’il avait, hein. Rien de tel qu’un repas en solitaire, mieux encore que les repas en famille qu’il gardait en mémoire. Quelques images par-ci par-là mais rien qui avait pu avoir un ton de joyeux. Il y avait le père, autoritaire et toujours à critiquer ses fils, quoiqu’ils fassent, le cadet principalement, tout simplement parce qu’il avait le malheur d’être plus jeune et d’avoir été constitué plus chétif par la nature. Comme s’il avait pu choisir. Et les deux enfants, yeux baissés, estomac serré qui ne bougeaient pas d’un pouce, de peur de faire un faux pas. Définitivement, quand on avait eu une vie comme celle que Levi avait traversé, on pouvait amplement se satisfaire d’un repas solitaire.

Un bout de pain déjà bien dur ainsi qu’un peu de viande fumée, voilà ce dont il se contenta pour festin du soir. Il lui arrivait parfois de moins manger, alors il n’allait certainement pas s’en plaindre. La nuit obscurcissait progressivement le ciel à présent et les gens devaient peu à peu s’engager vers leur foyer, histoire de ne pas mystérieusement disparaître dans la nuit. En temps normal, Levi aurait sans doute fait un feu, mais ce soir, alors qu’il avait eu quelques Pacificateurs aux trousses la veille, il n’avait pas envie de se risquer à commettre une imprudence. Une fois n’est pas coutume, il avait déjà bien entendu pratiqué la « nuit dans le noir » et aucun animal n’était encore venu le dévorer pendant ses rares moments de sommeil ou de pause. Cette nuit encore il survivrait. Malheureusement il survivrait. Alors que cette pensée traversait l’esprit du jeune homme, un craquement un peu plus loin vint l’attirer vers la réalité. Quelqu’un. Ou quelque chose. Il n’était certainement plus seul, et c’était ce qui importait. A l’affût, le regard vrillant tout aux alentours, Levi se releva, les sens trop en éveil sur tout ce qui gravitait autour de lui pour que son dos le cloue au sol. Il y avait plus important dans le noir grandissant, quelque part… et il s’engageait déjà intérieurement à savoir où.

Instinct piqué au vif, il avait inconsciemment sorti sa lame, celle qu’il gardait toujours sur lui, accrochée à sa ceinture comme une assurance de survie. Dans le monde actuel, c’était bel et bien à ça que pouvait servir un vulgaire couteau. Survivre, tuer pour survivre en tout cas. Les choses qui le poursuivaient dans la pénombre pouvaient être diverses et variées, si bien qu’il avait appris à se méfier du moindre bruissement, du moindre mouvement suspect, à la limite d’une paranoïa dévorante. Les choses auraient été plus simples dans son esprit s’il avait pu se contenter d’être un Pacificateur, avec ses idéaux, ses belles illusions et ses ordres bien précis. Les choses s’étaient simplement compliquées pour lui, non pas qu’il le regrette à présent. Après tout, il y avait des sorts à moins envier encore que le sien. Celui qu’avait connu son frère cadet, par exemple. A mesure qu’il progressait vers l’épaisseur de la forêt, dans la pénombre juste éclairée par la lune, sa main se resserrait autour de son couteau, sans vraiment qu’il s’en rende compte. Son esprit et son regard étaient focalisés sur les épais feuillages qui se dessinaient devant lui, et qui pouvaient servir d’idéale cachette à tout ce qui pouvait rôder par une pareille nuit. Ce n’était pas une bête, sans quoi il aurait déjà vu quelques mouvements se précipiter alentours, l’instinct animal préférant fuir face à toute menace plutôt que se planquer dans l’espoir de tomber sur une âme généreuse. Aujourd’hui il n’y avait plus que très peu d’âmes généreuses qui parcouraient les districts de Panem et pour la nourriture ou le simple amusement, les bêtes étaient souvent la cible de bien des attaques injustifiées. Il en mangeait plusieurs, quand il avait besoin de viande et quand il pouvait se permettre d’être assez imprudent pour allumer un feu. Mais de toute manière, il l’avait appris à ses dépends, c’était ainsi que la loi de la nature tournait. Il avait fallu qu’il mange quelques bêtes, pour ne pas se faire dévorer par quelques autres bêtes lui aussi. Tout comme il avait fallu qu’il tue quelques Pacificateurs, anciens camarades d’arme, soldats conditionnés à appliquer des ordres sans queue ni tête, pour ne pas se faire tuer lui.

Alors qu’il s’engageait sur le laborieux passage de feuilles et de petites branches, il s’appliqua à être le plus discret possible. Dans le district deux où il avait grandi, il avait appris à se faire furtif, adroit, rapide, si bien qu’il savait déjà comment agir pour repérer son potentiel ennemi sans se faire repérer. Que ça semblait difficile de vivre sous une menace constante, qui planait au dessus de sa tête comme une épée de Damoclès et pourtant, il faisait avec, profitant de chaque instant qu’il pouvait avoir pour se rapprocher un peu plus de son but. Un but qu’il s’avait inatteignable, mais qu’il comptait tout de même poursuivre jusqu’à ce que quelqu’un l’arrête pour de bon. Pour le moment, les obstacles qui se dressaient sur sa route n’étaient que maigres, et tout juste suffisants pour attiser la flamme qui brûlait en lui à l’idée de réduire le Capitole à un tas de cendres. Certes, c’était un but fou qu’il se fixait et pourtant, il ne semblait pas décidé à le lâcher de si tôt. L’esprit en éveil, les sens fixés sur tout ce qui pouvait bouger ou se faire entendre aux alentours, il avança encore un peu, pour distinguer un léger mouvement dans les feuillages. Puis, il s’approcha un peu plus, toujours aussi furtif avant de brusquement dégager un bon paquet de feuilles collées à une branche de sa vue, pour enfin voir la personne qui était venue troubler sa solitude. Blonde, jeune, l’allure quelque peu ingénue en comparaison à d’autres personnes plus hostiles qu’il aurait pu croiser, il l’observa un instant, impassible tout en restant piqué au vif par la curiosité qui s’emparait de lui. Qui pouvait bien se promener à une heure pareille sans but précis ? Elle n’avait pas l’allure d’un Pacificateur, pas l’allure d’un quelconque guerrier prêt à fendre la nuit sans craindre quoique ce soit ou qui que ce soit. A croire que c’était le hasard ou la malchance tout simplement qui avaient amené leurs chemins à se croiser. Qu’importe, il devait rester sur ses gardes, n’ayant que trop souvent appris que les plus ingénues des créatures pouvaient être les pires également. C’est ainsi qu’il l’observa pour un laps de temps encore court, avant de laisser ses épaules légèrement retomber, comme si une pression s’échappait de sa silhouette musculeuse. Elle pouvait toujours l’attaquer, à moins qu’elle soit dotée de super pouvoirs, elle ne ferait pas le poids et il aurait vite fait de planter son couteau où que ce soit avant qu’elle n’ait la chance de poser un doigt sur lui. Les Pacificateurs le connaissaient bien avec sa méfiance à toute épreuve et il en aurait fallu un bien fou pour envoyer une fille si fragile à sa rencontre. « Qu’est c’que vous faites là ? »

C’était sans doute une simple habitante du district qu’il se contentait de traverser de part en part. Demain, il en serait sorti pour partir vers un autre, mais quand bien même, il n’était pas prêt de lui tourner le dos, incapable de savoir si oui ou non, elle cachait son jeu. Elle n’avait pas l’air très effrayante, avec ses genoux quelque peu écorchés et ses cheveux d’un blond pur parsemés de feuilles mortes. S’il avait été quelques années plus tôt, il n’aurait pas hésité à se détourner d’elle pour la laisser repartir, mais il n’avait eu que trop de mauvaises surprises pour agir avec tant d’imprudences. Elle avait plutôt l’air surprise de le voir ici plus qu’autre chose, c’est ainsi qu’il se laissa aller à baisser un peu la garde. Un soupir, tandis qu’il laissait vriller son regard le long de la silhouette de son interlocutrice, puis il finit par relâcher la pression du moment, comme pour reprendre un semblant de civilité tandis qu’il n’avait plus rencontré de personne non hostiles à sa présence sur terre depuis un bon moment. « Peu importe. Rentrez chez vous il doit y avoir des Pacificateurs un peu partout par ici. » Certainement d’ailleurs parce qu’ils avaient entendu dire qu’il n’était pas loin. Conscient du risque qu’il prenait et tout de même à l’écoute du moindre mouvement qu’elle pouvait esquisser dans son dos, il s’écarta d’elle, pour repartir au milieu des feuillages, comme une ombre qui repartait parmi les ombres ou comme une illusion qui disparaissait à nouveau. Les contacts humains avec des gens normaux n’étaient pas sa tasse de thé depuis un bon moment, et ce n’était pas cette surprise nocturne qui allait le changer, il était un brin asocial et c’était comme ça depuis tellement longtemps qu’il semblait se plaire dans cette image sombre.