Je laissais l'eau couler le long de mon corps. Au fond de cette douche, tapi dans ma chambre où j'avais élu domicile depuis notre arrivée au Capitole. Quelques jours dans un luxe éphémère, avant que nous retrouvions la misère de l'arène. La misère d'une vie tenant sur un fil. Je posai ma main contre le mur carrelé de la douche, mes cheveux sur la figure. Cela faisait une petite heure que nous avions quartier libre, juste après le fameux défilé où nous avions été sublimés jusqu'aux ongles afin de se présenter dignement au Capitole. Malgré les recommandations de l'équipe de préparation, je n'avais pas souri. Je n'avais pas tendu la main. Je n'avais pas fait de signes. J'étais resté un peu trop fier, posté sur ce char aux côtés de la belle rousse qui faisait office de co-tribut. Brooke Declean. Une faible à mes yeux. Car bafouiller et avancer le pas hésitant n'étaient pas dans mes cordes. C'étaient des actes de faiblesse. Mais comment pourrais-je la blâmer ? La peur était palpable chez elle. Et je la comprenais parfaitement. Sauf que voilà: elle n'avait peut-être pas l'esprit aussi solide que moi. Et je ne pouvais pas me permettre de récupérer son angoisse. La peur était transmissible, contagieuse. Ainsi, inutile d'essayer de me rapprocher d'elle. Qu'elle garde sa peur, j'avais déjà bien assez à faire avec la mienne.

Je sortis de la douche, passant une des serviettes propres et immaculées sur mon corps. Ensuite, je frottai énergiquement mes cheveux avant d'agiter ma tête, passant ma main dans mon épaisse chevelure pour redessiner ma coupe. Je me penchai légèrement sur mon miroir disposé à côté de mon lit. Puis je fouillai dans mon placard, attrapant de quoi me vêtir confortablement pour le reste de la soirée, avant de partir chez Morphée. Mais pour combien de temps ? Quand la peur nous terrassait, y avait-il de la place pour le sommeil ? J'observai mon reflet dans le miroir tandis que je m'habillai. Visage froid, yeux fins, à la limite de l'insolence. Le Capitole ne pouvait probablement pas m'aimer pour la part de mystère que j'exhibais. Tant pis. Le mal était fait. Et je ne pouvais pas retourner en arrière. Je poussai légèrement le miroir pour le dévier de ma trajectoire, afin de cacher ce que j'étais, et ce que je renvoyais aux yeux des autres. Puis j'enfilai un gilet fin et ample, quittant ce que j'appelais désormais mon antre, ma grotte, mon refuge.

Je me frayai aisément un chemin dans le mince couloir qui séparait le salon, pièce maîtresse de l'appartement, et les chambres où nous pouvions nous retrouver seuls. Il semblait n'y avoir personne. C'était étrange. Où étaient passées Wyoming et Silk, les mentors ? J'aperçus une silhouette fine. Une chevelure rousse. Brooke Declean. Et mince... Elle m'avait déjà entendu et s'était retournée vers moi afin de taper la discute. Je fis rouler mes yeux, déjà exaspéré. Mais je ravalai bien vite mon agacement, répondant d'un mouvement de menton à ses salutations. « Ça va. Mieux que toi en tout cas. » répliquai-je ensuite, m'arrêtant à sa hauteur. Je croisai mes doigts, calme. Je refis un mouvement de menton pour désigner ses bras ballants et sa voix tressautante. « Ecoute, je ne veux rien savoir de ce que tu ressens. La moisson, le défilé, la mort qui nous pend au nez. Rien. » Je la dépassai ensuite, me dirigeant vers la cuisine avant de fouiller dans les placards pour sortir un grand verre que je remplis ensuite d'eau bien fraîche. Je portai ledit verre à mes lèvres pour boire quelques gorgées, glissant mes doigts sur ces dernières pour qu'aucune goutte ne coule sur ma peau. « Dis-toi que tu peux gagner. Tu le peux, si tu le veux. » Et pour le vouloir, il fallait accepter tous les sacrifices. Comme prendre la vie de ces autres tributs, par exemple. Dans ma tête, j'étais déjà prêt. J'étais déjà prêt à passer le couteau sous la gorge pour vivre. Ou plutôt survivre. Et s'il fallait que j'exécute cette belle rousse en face de moi, je le ferais.

Je ne comprenais pas pourquoi je devais apprécier Brooke Declean. En fait, je ne comprenais pas pourquoi deux tributs d'un même district devaient se serrer les coudes, alors qu'il ne pouvait y avoir qu'un seul vainqueur. Un seul survivant. En somme, c'était soit Brooke, soit moi qui allait passer l'arme à gauche. Me connaissant égoïste, il était hors de question de ruiner mes chances de victoire avec la belle rousse à mes côtés. Les autres tributs étaient des menaces, certes. Mais la plus grande menace en réalité, c'était son partenaire. Et Brooke était ma menace. Devais-je la prendre au sérieux ? Oui. Mais elle était aussi insolente que moi, la peur la rongeant en plus. Elle tentait bien de dissimuler ses craintes par son caractère renfrogné, mais je voyais clair dans son jeu: elle était faible, à vouloir apprendre à me connaître. Moi, je ne voulais rien avoir en commun avec elle. Pour ne pas sombrer dans la gentillesse et la compassion. Des traits qui ne me correspondaient décidément jamais.

Je reposai le verre d'eau sur le plan de travail, toujours réfugié dans la cuisine alors que je suivais intensément du regard la jeune femme qui avait jeté son dévolu sur le buffet où jonchaient de nombreux plats garnis de friandises typiques du Capitole. Elle croqua dans un petit biscuit, appréciant apparemment le luxe de la capitale et ses bienfaits. Oui, qu'elle profite. Car dans quelques jours, nous serions jetés dans l'arène, à se battre pour nos vies. Peut-être que nous aurions à nous entretuer, si les autres tributs ne le faisaient pas avant. Je gardais mon silence de plomb, mon allié. Car même après qu'elle eusse mis les points sur les i, je ne voyais pas l'intérêt de lui répondre. Je savais ce que je pensais d'elle, et rien ne changerait jusqu'à preuve du contraire. Puis, après cette brève trêve, le timbre de voix de Brooke s'adoucit, et ce fut une toute autre conversation qui débuta entre nous. Le défilé. Ou plutôt, les tenues que nous avions porté tous les deux, créées par les soins de ma précieuse maman. Je contournai la table, attrapant mon verre d'eau entamé. Puis je rejoignis ma partenaire, arrivant à sa hauteur. « Rien ne t'échappe. Effectivement, c'est ma mère. Et tu étais très jolie dans ta tenue. » Je glissai mes doigts sur l'une des coupes pleines de confiseries. Je saisissai ensuite un petit chocolat croquant, face à la rouquine. « Je suis peut-être né avec une cuillère en argent dans la bouche, le sort ne m'a pas été plus favorable que toi... » rétorquai-je ensuite avant d'esquisser un petit sourire taquin, entrouvrant mes lèvres pour y glisser la boule de chocolat entre mes dents. Puis je croquai d'un sec dedans, refermant ma bouche et tournant le dos à Brooke. Je m'éloignai du buffet à pas lents, trouvant ensuite le confort du large canapé installé dans le salon. Je décalai quelques coussins, m'adossant pour retrouver Brooke dans mon champ de vision. « Je sais que je suis connard, personne ne m'a jamais aimé. Ne te force pas à vouloir me connaître, je n'en vaux pas la peine. » lui confiai-je, amusé par la tournure de la situation. Et qu'elle ne se prenne pas de compassion pour moi, car là n'était pas le but recherché. Les gens déjà chargés de leur propre misère étaient ceux qui entraient davantage par la compassion dans celle d'autrui.