Un premier échange avec le tribut masculin, quelques temps à discuter avec l'hôte de notre district, mais toujours aucune trace de... April, c'est ça ? Elle s'était sûrement précipitée dans sa chambre pour chialer un bon coup dès son arrivée dans le train avant de faire son apparition. J'aurais pu trouver ça triste, mais pas du tout. Ça ne m'énervait même pas pour être honnête. En fait, je m'en fichais totalement. Elle n'allait pas sortir de l'arène avec ce comportement et tant pis pour elle, et de toute façon, je n'allais pas me bouger pour une pleurnicheuse. Il fallait avoir un peu de dignité pour faire bonne impression mais ce n'était pas gagné pour la petite chérie. Au moins, Thunder était resté dans le petit salon pour discuter un peu. Bon, c'était clair qu'il n'était pas le tribut idéal mais il n'était pas si mal. Il semblait intéressé un minimum par ce que je pouvais lui dire ; je me disais même qu'il pouvait avoir un petit secret caché qu'il attendrait de me dévoiler pour ne pas griller sa couverture. Mais à vrai dire, je n'y croyais pas tellement. C'était le genre de choses que les garçons s'empressaient de m'avouer discrètement pour paraître plus fort. Le temps des bons volontaires comme moi était bien loin malheureusement. Tant mieux, je n'aurais pas trop de scrupules à le laisser tomber une fois les choses sérieuses commencées.

Le temps ne passait décidément pas vite dans ce train. J'avais fini par abandonner Thunder pour rejoindre ma chambre, ou plutôt mon appartement énorme – la démesure du Capitole ne cessait de m'étonner. Je ne savais même pas quoi faire. Même jouer aux cartes avec moi-même aurait été plus intéressant qu'une discussion avec les deux tributs. Pourtant, il fallait que j'y retourne. La barbe. C'était uniquement dans ces moments que je souhaitais la présence de mes mentors mais ils se défilaient toujours dans le train en se disant que la tâche revenait à la plus jeune. Je retournai alors dans l'espace qui servait de salon et de salle à manger où les plateaux étaient sans cesse remplis. Je fis un grand sourire hypocrite à Thunder qui était – encore ? – là et me vautrai dans un sofa tout en prenant un verre de... ce qui était le plus proche. Puis je vis la demoiselle qui avait enfin décidé de se montrer. «J'ai fouillé dans l'armoire, ça ne pose pas de problème j'espère ?» Oulala, si, les pacificateurs viendraient nous chercher dès notre arrivée au Capitole pour nous arrêter ! J'avais envie de lui lancer une petite pique mesquine mais je remarquai que son visage ne portait aucune marque. J'étais devenue professionnelle pour reconnaître ceux qui étaient partis pleurer dans leur coin. Mais chez elle c'était différent. Elle commençait à m'intriguer. Pourtant, il ne fallait absolument pas que je le montre si je voulais avoir la paix. Alors, sans prêter attention à ses paroles, je finis par sortir : « Que nous vaut l'honneur de ta présence, Abbie ? » Quoi ? C'est April ? Oh, tant pis. C'était pas bien grave. Et si elle prenait la mouche pour si peu, je sentais qu'on allait bien s'amuser ces quelques jours.

C'était dans ces moments-là qu'être le dernier vainqueur en date était la pire chose au monde. Faire la causette à des gamins sans avenir... Ce n'était pas que je m'en fichais, mais au bout de quelques années à la voir mourir chacun à leur tour, on devenait vite blasé. Et je préférais être blasée que déprimée de la vie comme d'autres mentors. On me prenait peut-être pour une sans-cœur, mais pendant ce temps-là j'étais bien plus heureuse que la moyenne. Alors je m'occupais comme je pouvais dans ces longs voyages vers le Capitole, en taquinant mes tributs dès la première occasion. Cette fois-ci c'était la jeune fille qui allait supporter mes sous-entendus sur son absence que j'avais pris pour de la faiblesse, sûrement à tort. « Euh Avril» Oui oui, c'était bien possible mais bon. Dans un mois elle ne serait plus là alors quel intérêt ? Je n'avais jamais été doué pour retenir les prénoms de toute façon. « Ce n'est pas en restant chacun dans son coin que notre district aura la chance d'avoir un vainqueur cette année. » Et bien, c'est qu'elle allait finir par me plaire celle-là. Même si je ne voyais pas un énorme potentiel au premier coup d'oeil, je devais avouer que les deux avaient l'air assez motivés. Le voyage n'allait peut-être pas être si navrant tout compte fait. Je la fixais en essayant de voir si c'était un petit rôle qu'elle me jouait ou non – parce que oui, les tributs courageux sont banals mais la plupart pleure comme des bébé dès l'entrée dans l'arène – mais rien n'y faisait. Alors, je la laissais échanger deux trois banalités avec son co-tribut, qui par ô je-ne-sais quel miracle n'était pas son amoureux, mais là aussi ce n'était pas très intéressant. Enfin si, Avril n'aimait pas les robes. Ça pouvait sembler peu comme ça, mais j'étais tellement soulagée de ne pas avoir une pimbêche dans l'équipe. En fait, cette Moisson n'était peut-être pas si mal.

Je sentais que le silence pesait sur les tributs alors que je m'en fichais. S'ils n'avaient rien à me dire, tant mieux, j'allais pouvoir partir dès la première occasion. A ce niveau-là, c'était compliqué de donner de vrais conseils. Je ne connaissais pas leurs aptitudes, leur comportement face à une foule de capitoliens prêts à dépenser une fortune pour les garder en vie... Il y avait tellement de facteurs qui entraient en compte. Mais la jeune fille sembla vouloir rattraper son retard. « Alors la moisson est bonne cette année ? » Très bonne question. On ne pouvait vraiment y répondre qu'une fois les jeux lancés, mais il était vrai qu'un aperçu était parfois suffisant. De mon côté, j'étais assez mitigée. Ils n'avaient pas l'air mauvais, mais les autres districts n'étaient pas si mal non plus alors... difficile à dire. « Disons que c'est prometteur. J'ai vu mieux, j'ai vu pire. Mais il y a tellement de choses à prendre en compte. Il suffit de voir d'autres vainqueurs qui ont gagné à douze ans sans rien faire dans l'arène... » Ceux-là me faisaient bien rire... Comment on pouvait se dire vainqueur quand on avait juste attendu la fin en croisant les doigts dans une grotte ? C'était n'importe quoi. Heureusement que je n'avais jamais eu de tribut dans le genre. « J'attends d'en voir plus pour me positionner alors vous avez intérêt à ne pas me décevoir. Ni les Capitoliens d'ailleurs. » J'étais directe dans mes paroles mais c'était la vérité. S'ils rataient leur entrée au Capitole, c'était quasiment foutu pour eux. Et pas forcément pour moi, mais pour les habitants qui ne mettraient pas un centime sur leurs têtes.