tell us your story.

« Nos bonnes actions sont souvent plus troubles que nos péchés.  »

Que te restes-t-il aujourd'hui ? Rien. Tes parents sont morts, Elizabeth est morte. Et Alexiane ? Peux-tu réellement dire qu'elle est vivante ? Tu sais pertinemment qu'elle n'est plus que l'ombre d'elle-même. Que la petite sœur que tu as connu n'existe plus. Qu'elle a été changée. Qu'elle est devenue quelque chose de profondément noir, et que tu ne peux rien faire pour la ramener. Le Capitole t'a prit tout ce qui comptait pour toi. Désormais, il ne te reste plus rien. Rien, excepté ton désir ardent de te venger. De voir ce gouvernement partir dans les flammes. Brûler jusqu'à ce que même les cendres disparaissent. Jusqu'à ce qu'il ne reste plus rien. Ni les Jeux, ni le Président, ni la laideur de ce monde.

Tu as toujours ressenti de la haine pour les dirigeants. Pour leurs méthodes barbares. Et tu as toujours détesté ceux qui les soutiennent, ceux qui vivent sous leur protection. Les pacificateurs, les carrières, les habitants du Capitole. Tous vivent grâce aux ressources que vous, pauvres habitants des derniers districts, leur donnez. Vous avez les champs, les mines. Vous pourriez vivre aisément, si le centre n'absorbait pas toutes les ressources que vous produisez. Et aujourd'hui, tu as enfin les moyens de te venger. Pendant longtemps, tu es resté muet. Pour ta famille. Aujourd'hui, elle a disparu. Tu as crié dans l'ombre. Tu as aidé les rebelles. Mais tu ne t'es jamais montré au grand jour. Malgré tout ce qu'ils ont fait.

« Tes patrons. Ils ont tué ma sœur, ils ont tué mon père. Ils ont tué des amis. »

Tu regardes l'homme assit devant toi. Vous n'êtes que tous les deux, et personne ne pointera son nez ici. Pour la première fois de ta vie, tu ressens une terrible excitation. Celle qui a motivé Alexiane, celle qui motive les rebelles. Pour la première fois de ta vie, tu tiens la vie de quelqu'un entre tes mains. Pour la première fois, tu peux t'attaquer au Capitole, et à ses représentants. Tu plantes l'arme sur le tympa de ta future victime. Un Pacificateur. Il tente de parler. Peut-être de hurler. Il ressent enfin ce que tu as vécu pendant des années. La peur. La résignation. La mort.

Même s'il ne t'a pas écouté, tu as enfin fini de lui raconter ta vie. Celle dont il a participé à la destruction. Il a bien tenté de remuer, de crier. De supplier pour sa vie. Mais tu sais que supplier ne sert à rien. Tu as supplié pour que tes soeurs ne te soient pas arrachées. Tu as supplié pour que ton père ne soit pas exécuté. Pour, qu'enfin, la peur ne soit plus ton quotidien. Et tout ça n'a servi à rien. Elizabeth est morte, ton père est mort, Alexiane est détruite. Alors tu prends l'une des décisions les plus importantes de ta vie. Tu appuies sur la détente. Et tu regardes le corps sans vie se contracter une dernière fois, puis se détendre totalement. Cet homme ne connaîtra pas la fin de la dictature. La fin de la terreur. La dernière chose qu'il aura connu, c'est la monstruosité de son employeur. Et l'implacabilité des révolutionnaires.

*

« Nécessairement, le hasard a beaucoup de pouvoir sur nous, puisque c'est par hasard que nous vivons.  »

Déjà deux ans que tu ne peux plus être tiré au sort. Mais la situation n'a pas changé. Tu te traînes toujours sur la place, la boule au ventre. Avec un boulet accroché à la cheville. Tu n'es plus éligible, mais tes soeurs le sont. C'est la dernière année pour Elizabeth. Plus qu'une, et elle aussi sera hors de danger. Pourtant, tu te sens beaucoup plus nerveux que d'habitude. Comme si tu sais déjà quel sera le résultat de ce tirage au sort. Au fond de toi, tu sais que c'est trop beau; deux enfants d'une même famille épargnés par les Jeux ? Non, c'est beaucoup trop beau. Elizabeth et Alexiane sont avec les autres filles de leur âge. Toi, tu te tiens à l'écart, avec tes parents. Tu sens la pression que ta mère inflige à ton bras. Elle le sert aussi fort qu'elle le peut, comme si te couper la circulation sanguine empêcherait tes soeurs d'être tirées. Mais tu aurais bien volontiers échangé ton bras contre la vie de ta sœur.

La vidéo de présentation des Jeux se termine. L'histoire de Panem, tout le monde la connaît. Personne ne s'y intéresse réellement. Et pourtant, elle continue d'être diffusée. Comme pour retarder l'échéance. Pour qu'ils puissent se délecter de cette tension prête à achever des familles entières. Les noms vont être tirés. Les filles d'abord, les garçons ensuite. Tu regardes la présentatrice tirer le morceau de papier. Et tu ne cesses de supplier. De supplier que le nom sur ce bout de papier ne soit pas celui de l'une de tes soeurs. Pitié. Pitié.

« Elizabeth Hawthorne ! »

Ton cœur loupe un battement. C'était trop beau. Tu le savais. Tout à coup, tout bascule. Tu sens ta mère perdre pied. Ton père reste silencieux. Toi aussi. Alors que tu as envie de hurler, d'évacuer toute la rage accumulée. Ils ne peuvent pas faire ça. Ils ne peuvent pas t'enlever ta sœur. Elle qui n'a rien fait contre le Capitole, elle qui n'a jamais tenté quoi que ce soit. Ton regard ne le lâche pas, alors qu'elle monte sur l'estrade. Tu ne fais même pas attention au garçon qui est tiré au sort. Tu te contentes de fixer ta sœur. Car ce sera l'une des dernières fois que tu la verra.

Quelques minutes. Le temps est chronométré, précis. Une fois achevé, il n'y aura plus aucun moyen de lui parler. De la voir une dernière fois. Tu sais pertinemment qu'elle ne survivra pas. Qu'elle n'a aucune chance. Sans même regarder, tu sais que ta mère fond en larmes. Que ton père reste dans son mutisme. Toi, tu te contentes de lui tenir la main. Sentir une dernière fois son contact. Elle essaie de rassurer vos parents, de leur dire qu'il leur reste encore deux enfants. Elle sait elle aussi qu'elle n'y survivra pas. Tu  tentes toi aussi de te rassurer; elle n'aura plus à vivre dans la misère, dans la peur.

« Je t'aime. »

C'est les derniers mots que tu lui aura adressé, alors que tu es conduit hors de la pièce. Elle décédera quelques jours plus tard, tuée par un garçon allié aux carrières.

*

« Les lâches meurent plusieurs fois avant leur mort ; Le brave ne goûte jamais la mort qu'une fois.  »

Les plus pragmatiques vous auraient dit que sa mort n'a pas été totalement inutile. Une bouche en moins à nourrir, c'est mieux que rien. Mais une victoire vous aurait permit de vivre plus confortablement. D'être à l'abri du besoin. Et c'est ce que le District voit. Un nouvel échec aux Jeux, une année de plus à vivre dans la misère. Personne ne semble se souvenir que tu as perdu ta sœur. Qu'une bouche en moins ou en plus ne change rien à la vie que tu mènes. Au silence que tu t'imposes. Aux vols que ton père commet pour pouvoir vous nourrir, pour éviter à Alexiane de rajouter des feuilles à son nom dans l'urne. Pour lui éviter de se tuer, elle aussi, aux Jeux.

« Vous vous êtes rendu coupable de vol. Pour cette infraction, nous vous condamnons à la peine capitale. »

La mort. Encore. Depuis la disparition d'Elizabeth, elle ne semble pas vouloir vous quitter. Ton père vient d'être condamné à mort. Pour une pomme, une simple pomme. Et vous y assistez. Impuissants. De nouveau, tu sens tout le poids de ta maternelle sur ton bras. Elle s'effondre. Vous n'êtes que deux à être assez forts pour supporter ça. Quoique, tu ne sais pas si Alexiane a tourné le regard. Tout ce que tu sais, c'est que tu as maintenu ton regard sur ton père. Tout en ruminant, encore et encore. Peut-être aurais-tu pu éviter tout cela en te levant ouvertement contre le Capitole. Ou peut-être aurais-tu tout simplement accéléré les choses.

*

« Je vais chasser un peu, je reviens vite. Je vous aime. »

Un an déjà que ton paternel a rendu l'âme. Assassiné par le Capitole. Un an que vous vivez dans la plus grande des misères. Ta mère va chasser, tu récupères comme tu peux de quoi vous nourrir. Dans le risque d'être tué à ton tour. Mais tu préfères prendre ce risque, plutôt que de voir ta sœur rajouter un nom dans l'urne. Tout, pourvu qu'elle ne soit pas tirée au sort. Mais est-ce réellement mieux ? Que se passerait-il si tu venais à mourir ? Si ta mère venait à mourir ? Alexiane serait seul. Et les Jeux seraient beaucoup mieux qu'une vie solitaire. La vois-tu survivre seule, affamée ? Non. Et pourtant, c'est bien ce qu'elle aura été à deux doigts de vivre.

Tu ne te souviens pas exactement de ce que tu faisais ce jour-là. Tu n'avais pas eu de nouvelles de ta maternelle depuis plusieurs jours, et tu imaginais déjà le pire. Elle s'était faite attrapée, ou tuée. Tu le sais, en réalité. Vous n'êtes désormais que deux. Alexiane et toi. Et tu devra t'occuper d'elle. Arrêter tes conneries de jeune. Devenir réellement un adulte. Trouver un travail. Mais tu attends d'en être sûr. De savoir qu'elle est morte. Et ce cette nouvelle qui t'es arrivé dans la journée. Elle a été retrouvée morte. Tu n'as pas plus de détails. La seule question qui t'importe alors est de savoir ce qu'il adviendra d'Alexiane. Tu ne veux pas être séparé d'elle. Tu ne veux voir ta seule famille te quitter. Et, finalement, tu obtiendra sa garde. A condition de trouver un travail. De t'épuiser chaque jour un peu plus pour la nourrir.

*

« La solitude est un enfer pour ceux qui tentent d'en sortir ; elle est aussi le bonheur pour les ermites qui se cachent. »

Plus que deux ans. Deux ans d'attente insupportables. Deux ans avant qu'Alexiane soit hors de danger. Deux ans avant que l'ombre des Jeux ne cesse de planer sur elle. Tu es tiré d'affaire. Mais elle, non. Pas encore. Et tu dois encore te rendre sur la place publique, la boule au ventre, pour la voir rejoindre les jeunes filles de son âge. Elle comme toutes les autres peut être tirée au sort et finir tuée dans l'arène. Pour le bon plaisir du Capitole, de ses dirigeants. Ces hommes et femmes que tu détestes, que tu veux voir mourir.

« Comme d'habitude, les dames d'abord. Nous tirerons ensuite les garçons. Si vous désirez vous porter volontaire pour les Jeux, vous devrez vous déclarer une fois le tirage de votre sexe effectué. »

Évidemment, personne ne se portera volontaire. Vous n'êtes pas des carrières dans le District 11. Vous n'êtes que des paysans. Vous vous contentez de subir les Jeux, année après année, morts après morts. Et il n'y a aucun raison que cet état des faits change cette année. Personne ne s'est porté volontaire pour sauver Elizabeth. Et, si elle venait à être tirée, personne ne se bougera le petit doigt pour...

« Alexiane Hawthorne ! »

Tes épaules s'affaissent. Comme si un poids de plusieurs tonnes venait de s'effondrer sur toi. Ils ont osé. Ils ont osé t'enlever ta seule famille. Tu regardes la place où se tiennent les jeunes. Personne n'esquisse le moindre mouvement. Ou plutôt, tout le monde s'écarte d'Alexiane. Personne ne se portera volontaire pour sauver ta petite sœur. Personne n'est assez fou pour se sacrifier de la sorte. Car ici, comme partout ailleurs, il ne faut pas penser aux autres. Penses à toi-même, à ta sœur. Mais à personne d'autre.

Tes yeux restent bloqués sur ta sœur, tandis qu'elle disparaît dans l’entrebâillement de la porte. Bientôt, tu la verra pour la toute dernière fois. Car tu sais pertinemment qu'elle n'a quasiment aucune chance de survivre à ces Jeux. Comme chaque année, les carrières sont favoris. Le D11, lui, ne sert qu'à faire de la figuration. Il ne sert qu'à montrer la force des carrières. La force du Capitole. Et que ces quelques minutes d'adieu seront les dernières que tu passera avec ta sœur. Avec ta dernière famille.

*

Tu ne veux plus subir. Tu ne veux plus rester silencieux. Tu te taisais pour ta famille; pour tes parents, ta sœur. Aujourd'hui, il ne te reste plus rien. Tes parents sont morts, Elizabeth a été tuée, Alexiane suivra le même chemin. Désormais, tu n'as plus rien à perdre. Plus personne qui ne prendra de risques à cause de tes actions. Tu peux désormais hurler toute ta rage, agir contre le Capitole. Intégrer la révolution en marche. Le Capitole est en train de briser ta sœur, de la broyer. Désormais, tu n'as plus qu'une seule envie; la vengeance. Celle de tes soeurs, de tes parents. Celle de tous ceux qui ont été détruits par leurs Jeux.

*

« La vie, c'est des étapes; la plus douce c'est l'amour, la plus dure c'est la séparation… La plus pénible c’est les adieux, la plus belle c’est les retrouvailles. »

Les Jeux sont bientôt terminés. Ta sœur survit. Elle survit. Personne n'a encore pu la tuer. Personne n'a été à la hauteur. Tu ne sais pas quoi penser. Comment a-t-elle pu s'habituer aussi rapidement ? Comment a-t-elle pu s'entraîner aussi efficacement en aussi peu de temps ? S'était-elle préparée avant les Jeux ? Non, tu l'aurais vu. Vraiment ? N'étais-tu pas aveuglé par ta peur de la voir partir ? De ne jamais revenir ? Hanté par la mort d'Elizabeth. Tu n'as jamais été capable de voir qu'Alexiane est plus forte. Et qu'elle est sur le point de gagner la soixante-quinzième édition des Hunger Games. Un dernier coup de canon, et les Jeux se terminent. Aujourd'hui, une fille a gagné.Aujourd'hui, le District 11 vient de gagner.

« Et le vainqueur de cette soixante-quinzième édition des Hunger Games est Alexiane Hawthorne, District 11 ! »

Tu ne t'en rends pas immédiatement compte. Ta sœur a survécu. Ta sœur a gagné. Elle n'aura plus à vivre dans la misère. Elle sera gâtée par le Capitole. Le District tout entier vivra dans le confort pendant toute une année. Ta sœur sera traitée comme un héros. Mais rien ne se passe comme prévu, n'est-ce-pas ?

Bête froide, brisée. Coquille vidée de toute son essence. Carcasse vivante broyée. Ta sœur n'a plus rien de ta sœur. Ces Jeux l'ont changée, brisée. Elle n'est plus la même. Isolée, torturée. Comment a-t-elle pu devenir comme ça ? Elle n'était peut-être pas plus forte que ta sœur. Seulement plus chanceuse. Seulement plus sauvage. Survivre n'était peut-être pas son meilleur destin. Car tu le vois très bien, au final, ta sœur a été tuée durant ces Jeux. Mais elle se tient là, comme pour te rappeler la cruauté du Capitole.