Il avait 8 ans ; Il regardait d’un air vide tous ceux qui passaient dans la cuisine de leur maison. Il s’était fait dire des centaines de fois que c’était un drame, et qu’ils étaient désolés. Foutaises. De haut de ses huit ans, il le savait bien : ils s’en fichaient tous. C’était simplement plus poli d’être là. C’était beaucoup plus facile de faire simple acte de présence en cet instant que d’être réellement là pour soutenir les Prescott. La plupart ne connaissaient même pas Camélia. La plupart étaient simplement là par que les nouvelles se répandaient vite dans le District. Sa sœur avait 15 ans quand elle est morte. Shane a eu énormément de difficulté à l’accepter. Pourquoi ne revenait-elle pas? Où était-elle? Pensait-elle à lui? Pourquoi était-elle partie? Toutes ces questions auxquelles ses parents tentaient désespérément de répondre sans trop choquer le jeune garçon. Les 59e Jeux l’avaient emportée. Elle y était morte d’une façon atroce, d’une façon absolument indigne d’elle et de toute la joie et la douceur qu’elle apportait à la famille. Elle avait tellement peu de chances de se faire tirer au sort… Et pourtant, c’était elle qui était partie. Ça a été un moment horrible dans la famille Prescott qui ne s’est jamais réellement remise de la mort de leur fille. Shane, lui, tout ce qu’il y comprenait, c’était qu’il n’y avait plus personne pour jouer avec lui désormais.

Il avait 10 ans ; Il pêchait silencieusement du poisson, comme on le lui avait appris. C’était long, un peu compliqué, mais les gestes répétitifs de la chose rendaient le tout beaucoup plus facile pour lui. Il se rappelait de la mort de sa sœur. Il se rappelait les 59e Hunger Games. Dans 2 ans, son nom pourrait également être tiré au sort. Si un jour il se retrouvait dans l’arène, il mourrait probablement comme sa sœur. Leur famille n’était pas du tout préparée à de tels Jeux. Ils travaillaient très forts, et ils espéraient simplement que leurs enfants n’aient pas à y aller, jamais. Surtout maintenant que Camélia était déjà morte, Monsieur et Madame Prescott ne se sentaient pas capables d’affronter la mort de leur dernier enfant. Alors qu’il ruminait du noir -eh oui, à 10 ans il était déjà bien pessimiste- une petite fille qui semblait de son âge s’approcha de lui. Sa jolie petite robe rouge qui semblait fabriquée à la main volait sous la douce brise de cette chaude journée. Elle vint s’asseoir silencieusement à côté de lui. Puis, elle enleva ses souliers et trempa ses pieds dans l’eau en lui souriant. Il ne dit rien. Elle non plus, du moins pour le moment. Ce n’est que plusieurs minutes qu’elle consentit à prendre la parole.

ELLIE « Pourquoi tu fais ça? »
SHANE « Beeh… C’est mon travail. »
ELLIE « Je saiiiis. Mais pourquoi tu penses à des tas de trucs qui te rendent triste? »

Shane releva brusquement la tête. Comment pouvait-elle avoir la moindre idée de ce qui se passait chez lui? Savait-elle que sa sœur était morte? Comment avait-elle deviné qu’il se sentait mal? Comment pouvait-elle savoir que tout ce qu’il voulait en cet instant, c’était quelqu’un qui le comprenne?

SHANE « Je… Bah… »
ELLIE « C’est pas grave hein. Moi j’ai perdu mon papa il y a trois ans. Il est mort à cause de son cœur. C’est ce que m’a dit maman. »

Il l’observait avec beaucoup d’intérêt. Cette petite qui semblait prendre la vie comme elle venait sans trop se soucier de ce qui allait lui arriver. Ses yeux bleus qui pétillaient joyeusement. Son sourire, si doux et si gentil.

ELLIE « Tu sais, dans 2 ans on pourra m’envoyer aux Hunger Games. Je veux pas y aller. Ils me font peur… »
SHANE « Moi aussi, c’est dans deux ans. Et je ne veux pas y aller non plus… Je ne veux pas mourir, » chuchota-t-il finalement.

Elle lui offrit le plus adorable des sourires, et c’est là qu’il comprit qu’il ne serait plus jamais seul.

Il avait 12 ans ; Pour la première fois de sa vie, il pourrait être pigé pour aller dans l’arène. Le stress qui l’envahissait était insupportable. C’était affreux à quel point un évènement pouvait bouleverser une vie à ce point-là. S’il était nommé… Soit il mourrait, soit il revenait chez lui en héros. Puis il avait peur pour Ellie aussi. Ils ne se quittèrent pas du regard pendant toute la cérémonie qui devait annoncer les pauvres qui deviendront des tributs. Son cœur battait la chamade, autant pour l’annonce des filles que celui des garçons. Ce fut une fille qu’il ne connaissait pas qui dû aller sur le podium. Il la voyait trembler de là où il était. Elle tentait de garder la tête haute, mais sa tentative était vaine : elle était terrifiée. Shane se sentit atrocement coupable d’être soulagé. Ellie ne mourrait pas cette année. Le rythme de son cœur s’accéléra lorsque ce fut au tour des garçons, mais son nom ne fut heureusement pas tiré. Il sourit timidement à Ellie lorsque tout fut terminé. Ils pourraient encore passer une année ensemble.

Il avait 17 ans ; C’était les 68e Hunger Games. Il n’avait jamais été nommé auparavant, et comme il lui restait seulement deux ans, il pensait qu’il avait des chances de s’en sortir. C’était pareil pour Ellie, qui se tenait de l’autre côté de la foule, un peu à l’écart. Elle regardait avec appréhension le podium, alors que lui, c’était elle qu’il regardait. Il ne le supporterait pas si elle devait partir. Cette année-ci, la cérémonie semblait absolument interminable. Shane ne comprenait pas trop pourquoi il avait cette impression. À mesure qu’approchait le temps de nommer les élus, le rythme de son cœur s’accélérait. Il battait tellement fort qu’il lui faisait mal. Il resserra ses bras autour de lui, tentant de retrouver son calme et son souffle. Il ne voulait pas être nommé. Il ne voulait pas qu’Ellie soit nommée. Et pourtant…

PRÉSENTATEUR « […] ELLIE SARAH STANFIELD ! »

Ce fut comme s’il recevait un énorme coup dans le ventre. Son cœur semblait être sur le point d’exploser dans sa poitrine. Il avança en titubant vers le podium, puis il se figea alors qu’il regardait Ellie monter sur ce dernier. Elle semblait effrayée, mais déterminée. L’expression qui s’étalait sur son visage lui faisait atrocement peur. C’était l’expression qu’avait un condamné à mort qui savait exactement ce qui l’attendait, mais qui était prêt. Non… Elle ne pouvait pas partir, c’était impossible. Il avait besoin d’elle. Il savait qu’il aurait dû agir un peu plus, faire quelque chose, crier son nom, lui dire qu’il l’aimait et qu’il ne voulait pas qu’il la quitte. Il sait qu’il aurait dû dire quelque chose, mais les mots restaient coincés dans sa gorge. Il était figé par la peur, par ce sentiment qui lui comprimait les entrailles. La solitude. Le sentiment d’abandon. Ce n’était pas la faute de la jeune fille, cependant. Elle lui avait souvent répété : elle ne voulait pas y aller. Mais là… Là, c’était impossible qu’elle parte. Il avait besoin d’elle. Il ne remarqua même pas que la cérémonie était terminée. C’est sa mère qui, gentiment, le tira à la maison.

MÈRE « On va aller la voir avant qu’elle parte. C’est promis. »

Elle connaissait l’attachement de Shane pour la demoiselle. De toute façon, si elle ne l’avait pas su, c’était désormais assez clair. Il ne pouvait pas comprendre que ce qu’il redoutait tant était arrivé. C’était très loin de son champ de conscience. Ce fut lorsqu’il alla la voir avant son départ pour le Capitole que toute l’horreur de la chose lui rebondit à la figure. Néanmoins, le calme d’Ellie le surprit.

ELLIE « Je dois y aller, Shane. Prends soin de toi, de tes parents et de ceux que tu aimes. Fais-le pour moi, s’il te plaît. »
SHANE « Non… murmura-t-il, dévasté. Je ne peux pas, Ellie. C’est toi que j’aime! »

L’aveu sembla les surprendre tous les deux. Ils ne s’étaient jamais dit qu’ils s’aimaient. Surtout dans ce sens-là. Seulement, à la veille du départ d’Ellie, il le remarqua. Il était amoureux d’elle, et ce depuis de longues années. La jeune fille lui sourit tristement et déposa un léger baiser sur ses lèvres avant d’être amenée loin de lui par un Pacificateur. Shane la regarda partir, le sentiment de solitude qu’il avait ressenti lorsque son nom avait été nommé s’accentuant à mesure que les minutes sans elle passaient.

© Smashedwings
AFTER THE 68TH HUNGER GAMES

Il a 24 ans ; Il a 24 ans, maintenant. Il y a de cela 7 ans, la demoiselle qui ensoleillait ses journées est morte pendant les 68e Hunger Games. Elle est morte comme une merde, si je puis me permettre. Elle est morte comme pion du Capitole, elle est morte pour montrer à tous que le Capitole est le plus puissant. Elle est morte et maintenant, Shane n’avait plus de raison de vivre. Même s’il a survécu à toutes ses Moissons, il ne peut pas s’empêcher de se demander comment est-ce que ça se serait passé s’il avait été nommé aux 69e Hunger Games. Peut-être aurait-il rejoint celle qui hante désormais ses pensées? En tout cas, tous on essayé de lui remonter le moral, de le faire sourire, de le faire rire même. Personne n’y est arrivé. D’ailleurs, tous les amis qu’il avait pu se faire grâce à la merveilleuse influence d’Ellie étaient tous convaincu que c’était un cas désespéré. On le pensait un peu fou sur les bords, même. Pourquoi n’arrivait-il pas à l’oublier? Pourquoi était-il tellement différent? Après tout, elle n’était qu’un amour de jeunesse. Ça lui passerait, affirmait-on. Bientôt, le District 4 retrouverait le Shane Prescott qu’il avait toujours connu : jovial, amical et serviable. Eh non. Le jeune homme s’est mit un point d’honneur à démentir cette théorie, s’enfonçant chaque jour un peu plus dans son chagrin. Il refusait de laisser le souvenir d’Ellie mourir en lui. Elle était morte, oui. Elle n’était plus là, mais son amour pour elle était toujours bien présent. S’il avait choisi, il aurait probablement voulu être capable de l’oublier et de refaire sa vie avec une autre demoiselle. Simplement… Il n’y arrivait pas. Le visage angélique d’Ellie hantait toujours ses nuits et ses pensées. Il revoyait sans cesse sa mort dans ses cauchemars. Parce que oui, il avait été obligé de la regarder mourir. Ça a été le pire moment de toute sa vie. Assister à la mort de celle qu’il aimait sans pouvoir rien faire… Ça avait été absolument insoutenable. Il n’en pouvait plus à la fin. La voir mourir, devant ses yeux, un simple écran les séparant, voir que personne n’essayait de l’aider. Que personne n’était venu la pleurer. Il se souvenait bien des éditions antérieures où des tributs en pleuraient d’autres parce qu’ils s’étaient attachés finalement. Juste penser qu’elle était morte seule sans quelqu’un pour lui tenir la main et l’accompagner dans son dernier souffle, ça le rendait fou de rage. Il aurait dû être là. Pour la protéger, pour l’aimer, pour lui permettre de vivre. Et pourtant, lui était là, derrière son écran, à maudire l’autre tribut du 4 de l’avoir rien fait pour la sauver. Ce petit con était probablement heureux que quelqu’un d’autre la tue à sa place. L’imbécile.

Shane s’est tellement renfermé sur lui-même qu’il accepte rarement la présence des autres. Il faudrait tout un miracle pour le sortir de sa torpeur et de son mutisme. Certes, il parle parfois, souvent pour sortir des répliques cinglantes et cyniques qui découragent quiconque tentant de lui parler de continuer. Ceux qui se sont essayés peuvent l’affirmer : c’est un cas désespéré. Jamais il ne redeviendra comme avant. Jamais. Il avait trop perdu pour se trouver une façon de s’en sortir, de revenir à la surface. Il détestait tellement sa vie qu’on pensait même qu’il avait des tendances suicidaires. Ce n’était pas le cas, bien évidemment. Tout semblait l’énerver. Il ne supportait plus personne, à part quelques exceptions. Il avait affreusement peur de s’attacher, de peur de revivre exactement la même chose qu’avant. Il avait peur d’aimer, peur de se confier, peur d’être lui-même. Alors, il devenait cet autre être, celui qui était désagréable et renfermé, pour s’enfoncer encore plus dans sa solitude et son désespoir.