Bambi Poezyn

❝ WHO AM I LIVING FOR? ❞

Elle ferme les yeux, approche lentement, presque suavement l'archet du violon. Tous ses gestes sont mesurés, posés. Calmes. Comme elle. La mélodie résonne peu à peu, se mêle au silence de la pièce, fait corps avec lui, le défie, le provoque dans un ballet infernal. Interminable. Ses cheveux bruns, avec ses reflets presque châtains, tombent sur ses frêles épaules avec la grâce d'une cascade, et sa peau pâle semble de satin, ondulant telle une vague sur des flots de velours. Ses yeux d'un bleu de cristal font écho à la petite améthyste gravée dans son cou, à même la peau. Une excentricité qui lui paraît presque inconnue, étrangère, tant elle a pour habitude d'être singulière, comme les autres, préférant se fondre dans la masse plutôt que de vouloir à tout prix en sortir, se rendre unique. Un instant, elle arrête la mélodie, et ce fut comme si d'un coup le temps s'était immobilisé, en une fraction de seconde, en un instant, si court soit-il. S'approchant de la fenêtre, Bambi Poezyn pose sa main sur la vitre gelée, à travers laquelle elle observe le Capitole, ville menaçante à deux pas des Rocheuses, dans laquelle elle a toujours vécu, dans laquelle elle est née, qui de sa main de fer règne sur un Etat désolé, amaigri par une dictature sans faille, sans défauts. Mais Bambi ne sait rien. Bambi n'a que dix-neuf ans. Son regard croise le portail de sa maison, en bois verni, d'un gris pâle avec une once de bleu, et elle serre les dents, avant de quitter subitement la fenêtre, incapable de faire face à la réalité. Comme d'habitude. Comme d'habitude, elle se montre peureuse, trop timide pour oser sortir et observer les immeubles, les rues, toutes les merveilles que comportent ce monde si différent de celui des Districts. Ce monde si parfait, dans les moindres détails. Ce monde dans lequel elle vit, avec ses parents. Ce monde qu'elle a tenté d'apprendre à connaître, sans succès, qu'elle a tenté de fuir, de refuser, mais qui l'a obligé à affronter la vérité. La réalité, toujours. Et ce monde qui l'a séparée de sa soeur jumelle, partie pour un District, y devenant chef des rebelles, bien décidée à se rebeller face au Capitole, chose que Bambi n'a jamais comprise.

about games and relative.

➺ COMMENT VOIS-TU TA MORT ?

J'ai peur. J'ai peur de mourir, de laisser échapper ce dernier, cet ultime soupir. J'ai peur d'avoir à faire un choix entre le paradis et l'enfer, de me retrouver dans un autre monde, encore trop inconnu. J'ai peur de l'inconnu, peur de mourir d'une façon atroce, sanglante, cruelle. J'ai peur de m'éteindre sans avoir pu dire adieu à ceux que j'aime et que je chéris. Mais je vis au Capitole. Et toute mon enfance, mes parents m'ont dit que la mort ne m'atteindrait pas. Que j'étais du bon côté des remparts. Alors, je leur fais confiance. Comme toujours.

➺ QUE PENSES-TU DES VAINQUEURS DES JEUX ?

Ils sont l'honneur. L'honneur de jeux cruels, perfides mais rendus amusants par le Capitole. Ils sont l'honneur de leur famille, ils sont les survivants d'une partie acharnée de lutte pour sa propre vie, à l'image nette, réelle des nouveaux Adam et Eve, de ce serpent qui siffle à leurs oreilles, doucement, lentement, leur glissant des mélodies funèbres. Ils sont des gagnants, le symbole d'une renaissance, d'une victoire. De leur victoire, sur tous les autres tributs. N'est-ce pas cela, le but des Hunger Games ? La victoire, à tout prix ?

➺ CROIS-TU AU BONHEUR ?

Je trouve le bonheur dans chaque instant. Dans chaque note de musique, il y a un amoncellement de particules de bonheur. Dans chaque sourire, il y a du bonheur, de la joie de vivre. Dans chaque famille, il y a du bonheur, même s'il peut parfois être caché, dissimulé pour ne pas blesser par la force de sa réalité. Dans chaque « pardon », chaque « adieu », chaque « je t'aime », il y a une grande partie de bonheur. Simplement, parfois, il arrive que le bonheur décide d'entamer une partie de cache-cache : alors, il faut se rendre à l'évidence. Même si le bonheur est omniprésent, il nous est bien plus supérieur. Et totalement, complètement indispensable.

➺ QUE PENSES-TU DE L'ORGANISATION DE PANEM (DISTRICTS/CAPITOLE) ?

C'est une bonne chose. Comment tout cela se serait-il passé, si tout le monde était réuni au même endroit ? Il n'existe pas d'endroit parfait -à part le Capitole. Il n'existe pas de havre de paix pour tous, de paradis, où le moindre péché commis se transforme en bénédiction totale. Il n'existe pas d'endroit où tout est accepté, toutes les différences. Ainsi, il est mieux que les choses soient séparées ; que le Capitole soit le centre, l'église d'un village composé de plusieurs Districts. C'est ce que m'ont dit mes parents, durant toute mon enfance. Et pourquoi auraient-ils menti à leur propre fille ?

➺ COMMENT TE SENS-TU QUAND LE TEMPS DE LA MOISSON ARRIVE ?

Nostalgique. Je repense aux tributs de l'année passée, qui se sont battus fièrement pour porter leurs couleurs, pour tenter de montrer à leur famille qu'ils sont capables de dépasser la moyenne. De se dépasser eux-mêmes, pour ne pas trépasser dans l'arène. J'ai tout de même hâte de découvrir les nouveaux tributs, les combattants. Le Capitole ne veut que leur bonheur. Tout cela, ces jeux, cette façon de séparer les Districts du Capitole, c'est entièrement pour leur bien. N'est-ce pas ?

Elle fit un pas, sentit son cœur tambouriner à travers sa poitrine, sentit son pouls accélérer peu à peu. Deuxième pas. Le vent vint caresser son cou, lécher doucement sa peau pâle, lui extirpant quelques frissons. « Encore quelques pas, Bambi. » Elle hocha la tête, fit un autre pas, tentant de repousser les tremblements de son corps si frêle, si fragile. Elle avait peur. A cet instant, elle était plus que jamais effrayée, terrorisée comme elle ne l'avait jamais été. Pourtant, ce n'était pas si difficile. Il suffisait de faire ce qu'elle n'avait jamais réussi auparavant, ce qu'elle avait toujours refusé, ce qu'elle avait fui toute son enfance. Ce dont elle avait peur plus que tout : l'extérieur. Avant il lui suffisait d'observer, cachée derrière la fenêtre, séparée de cet autre monde par l'opaque vitre, mais il était temps, pour reprendre les paroles de son père. Il était temps qu'elle découvre la réalité, le ciel bleu, les flocons de neige. La vie, en somme. Il était plus que temps qu'elle apprenne à vivre, qu'elle se montre Capitolienne, comme elle était destinée à le devenir, depuis sa naissance. A la différence de sa sœur. Bien décidée à rendre le monde plus juste, à se battre pour une autre cause que celle du Capitole, elle était partie lors de sa quatorzième année, déjà très mature pour son âge, prête à tout abandonner pour devenir rebelle. Elle n'avait laissé à sa sœur qu'une bague, gravée de ses initiales, et Bambi n'avait plus jamais ôté le bijou de son doigt.
Elle ne sut pas réellement ce qui s'était passé, avant qu'elle ne se retrouve dans cette ruelle, à la merci de l'homme en noir qui lui faisait face. Peut-être ne voulait-elle simplement pas comprendre, muée par une peur sans nom, par une stupeur féroce, indomptable. Elle ne comptait plus les larmes qui coulaient sur ses joues, tandis qu'il la frappait, la jetait sur le sol, se montrant violent, plus violent que tout. Bambi ferma les yeux lorsqu'il l'embrassa, de force, usant ses dernières forces, la rendant plus soumise qu'elle ne l'avait jamais été. Elle pleura, encore et encore, espérant peut-être qu'il finirait par avoir pitié d'elle, espérant peut-être qu'il allait la laisser partir, indemne -si toutefois elle pouvait encore l'être- au beau milieu du Capitole. Elle voulut se frapper elle-même. Qu'avait-elle fait pour mériter cela ? Toute sa vie, elle avait eu peur de ne pas être à la hauteur des espérances du monde. De ses parents, entre autres. Et à peine sortie de son cocon, elle était blessée, attaquée, agressée ? Elle sentit ses forces la quitter peu à peu, elle sentit le dernier souffle approcher, cet ultime soupir, avant de quitter définitivement ce monde.
Elle sentit son dernier souffle, et attendit patiemment sa mort, ironique à l'idée qu'elle allait mourir le jour où elle découvrait l'extérieur.
« Vous êtes blessée, sûrement plusieurs fractures et de graves hémorragies, il faut absolument vous emmener à l'hôpital. » Elle crut avoir mal entendu, et toussa, crachant du sang, gémissant tant la douleur lui était insupportable. « Vous avez de la chance, vous êtes tombée sur un médecin. » Elle crut être arrivée au paradis, elle crut être morte sous les coups, elle crut n'avoir été qu'une vulgaire poupée, une poupée affamée par les années, une poupée laissée dévastée, après le passage d'un typhon des plus mortels. Renaissance. Elle ne le connaissait pas, elle ne savait ni comment, ni pourquoi il l'avait sauvée, mais ce qui était fait l'était. Il avait disparu. Du jour au lendemain, la laissant sur son lit d'hôpital, seule et encore blessée. Elle ne se rappelait de lui que sa voix, ce timbre si particulier qu'il avait, cette façon dont il avait tenté de la rassurer, alors que le sang coulait par tous les pores de sa peau, alors qu'elle était plus fragile que jamais. Les larmes avaient séché sur ses joues, à mesure que le temps passait, et qu'elle se rendait compte qu'elle avait failli mourir. Qu'elle avait failli disparaître, pour toujours. Alors que toute son enfance, ses parents lui répétaient qu'elle ne pouvait pas mourir ; que le Capitole était un endroit sûr. Sans doute avaient-ils voulu la protéger. C'est ce qu'elle se disait, tout le temps. Elle faisait comme à son habitude, après tout : elle préférait s'imaginer une réalité dénuée de sens plutôt que d'affronter la vérité en face. Comme d'habitude. Cela faisait trois ans. Trois ans, tout juste le jour de son anniversaire, un jour pluvieux de décembre. Un cinq, un treize. Quelle importance, après tout ? Et depuis trois ans, elle suivait toutes les règles du Capitole à la lettre, muée par la peur. Elle trouvait toujours une raison à toutes leurs barbaries, était toujours de leur avis. Un splendide pion. Un pion qui avait simplement peur.