BEEN GONE SUCH A LONG TIME AND I FEEL THE SAME
(r. illon blackstorm)

Cela faisait bien longtemps que je n’avais pas remis les pieds au Capitole. Et pour dire vrai, cela ne me manquait absolument pas. Ainsi, lorsque j’avais appris que le Président Snow souhaitait organiser une visite guidée du Capitole à quelques rares chanceux des districts, incluant des visites dans d’anciennes arènes, la panique m’avait gagnée. Je n’étais pas dupe, j’avais bien conscience que l’arène dans laquelle je m’étais battue durant des jours risquait d’être l’une des principales attractions de ces visites, jeux d’expiation oblige. Et ça n’avait pas loupé. La présence des vainqueurs était requise durant ces jours de fêtes où Capitole et districts se mélangeraient, et ça, je pouvais le supporter. Mais qu’on visite l’arène dans laquelle je me suis battue pour ma vie ? Je n’étais pas sûre de le supporter. Et lorsque j’avais appris que je devais être présente durant ces visites, j’avais manqué de m’effondrer. J’avais de l’affection pour le Capitole. J’aimais la richesse qui en ressortait, les traitements de faveurs dont je bénéficiais, ainsi que la modernité qui y régnait. Si m’y rendre n’était pas le problème, puisque désormais j’étais passée maître dans le domaine du sourire sur commande, le problème résidait dans le fait d’affronter une nouvelle fois les souvenirs de l’arène. Depuis bientôt trois ans, je tente d’oublier par tous les moyens. Mais rien n’y fait. Chaque nuit, je me réveille en hurlant. Je vois encore Zoé au coin de la rue. Je sens la présence de Catalina. J’entends la petite voix dans ma tête qui dicte ma conduite. Ils exposent les Jeux comme quelque chose de merveilleux qui changent la vie. On y gagne la richesse, la célébrité, les honneurs de toute une nation… mais à quel prix ? Si la célébrité gagnée à la suite des Jeux est éphémère, les séquelles, elles, ne le sont pas.

J’aimerais qu’ils m’oublient. Qu’ils se focalisent sur Gemma, ou Prudence. Elles ont gagné après moi, elles sont donc l’objet de toutes les convoitises. À ce que j’ai pu en voir, Gemma est une délicate poupée malléable comme le Capitole les aiment. Prudence est un peu plus rebelle, mais il en faut pour tous les goûts. Quant à moi ? Tu n’es plus rien, juste une folle qui entend des voix. Et bien, cela faisait longtemps. Pourtant, c’est la stricte vérité. Je n’ai pas la délicatesse d’une Gemma ni la classe d’une Prudence. Je suis détruite, usée, finie par les Jeux. Un déchet. Et pourtant, les déchets n’ont jamais été aussi populaires. J’aimerais qu’ils m’oublient ; mais c’est impossible. Ça n’est pas à l’ordre du jour. Autant s’y faire, donc. Pas question de faire la moindre critique, dans tel cas je me retrouverais probablement dans une fosse commune. Surtout ces derniers temps, marqué par une Rébellion enterrée au prix de nombreuses vies. On ne peut pas dire que la liberté d’expression existe à Panem. M’enfin, peut-être que la fosse est une bonne solution dans un monde comme Panem, après tout. Dans ton cas tout particulièrement. Je soupire, avant de sortir de ma chambre d’hôtel bien trop grande pour contenir ma seule présence. J’évite soigneusement les miroirs qui pourraient me renvoyer mon reflet. Inutile d’être malade avant les grandes festivités.

Ce soir, il n’y a pas de fête prévue. Du moins pas une qui nécessite ma présence puisqu’au Capitole, c’est tous les soirs la fête. Si quiconque comptait sur ma présence surprise, c’est raté. Je n’ai aucune envie de me montrer. Pas ce soir, alors que j’ai suffisamment à faire avec la panique de me retrouver une nouvelle fois dans l’arène. Pas de la même façon que la première fois, mais l’horreur est là : ils m’y renvoient. Peut-être que pour eux c’est sans importance. Peut-être qu’ils s’imaginent qu’on oublie tout une fois sorti de cet enfer. Que toutes les horreurs vécues s’effacent d’un claquement de doigt. Mais la réalité est tout autre. Ils voient une plage, je vois l’endroit où Zoé a poussé son dernier soupir. Ils voient un labyrinthe, je vois l’endroit où j’ai ôté la vie à quelqu’un pour toute la première fois. Ils voient un arbre, je vois celui contre lequel j’ai égorgé une gosse de douze ans. Ils voient une forêt, j’y vois les traces de mon combat contre Catalina durant lequel j’ai laissé un doigt. Ils voient la zone numéro trois, j’y vois l’endroit où j’ai laissé mon humanité.

Chaque parcelle de cette arène me renverra à des souvenirs que je m’évertue à oublier. Sans les oublier, j’étais parvenue à les atténuer. Ils n’étaient plus que des souvenirs vaguement dessinés dans mon esprit. Mais ils redeviendront réels à la minute où je poserais le pied dans cette foutue arène. La tâche bleue azure à laquelle j’ai rêvé durant si longtemps redeviendra la mer où Zoé m’a supplié de l’emmener alors qu’elle était mourante. La chaleur sous mes pieds redeviendra le sable tâché du sang de Zoé alors que j’enfonçais mon couteau dans son abdomen. Tout. Absolument tout me renverra à un souvenir douloureux, les ravivant de la pire des manières, en me renvoyant dans mon enfer.

J’étouffe. Je suis à l’extérieur, mais je manque d’air. Ma main sur ma poitrine, je sens ma respiration saccadée, mon cœur manquant des battements. Je sens les gouttes de sueurs perler sur mon front, je sens mes jambes prêtes à s’effondrer à tout moment. Je me sens partir, je me sens divaguer. Je me rattrape à l’un des murs à ma portée. Je suis en pleine rue. Ils me dévisagent. Ils me reconnaissent. Ils me rappellent tout ce que je veux oublier. J’ai besoin de partir d’ici, j’ai besoin de m’enfuir, j’ai besoin de disparaître. Lentement, je longe le mur à ma portée, tente de reprendre mon souffle alors que mes poumons semblent réfractaires à l’idée de fonctionner. Je me glisse à travers la foule, tente de me frayer un passage. J’ai l’impression qu’ils hurlent, qu’ils me suivent, qu’ils m’aveuglent avec toutes leurs excentricités. Qu’on me sorte de là, putain. Qu’on me sorte de l’arène. Mais t’es plus dans l’arène, Alex, t’es dans la vraie vie désormais. Ton enfer personnel. Je vais jamais réussir à sortir de ses rues. Ma vision devient floue, mais finalement, j’arrive à atteindre une ruelle sans issue, là où personne ne se rend jamais. Je me laisse tomber au sol, et j’attends. J’attends de me réveiller de ce cauchemars qu’est l’après Jeux, j’attends qu’on vienne me dire que je n’ai pas ce sang sur les mains, ni ses morts sur la conscience. J’attends, mais personne ne vient. J’ai envie d’hurler. Je crois que je hurle. Ils font tellement de bruits que mes cris de douleurs sont cachés par leurs cris de joies. Je perds la notion du temps, je ne sais pas combien de temps est passé depuis que je me suis effondrée. Je me relève après de longues minutes, peut-être des dizaines voire une heure. Sans pour autant faire face à la rue piétonne, j’aperçois une silhouette derrière moi lorsque je me relève. Peut-être que cette personne m’a suivie. Ça ne m’étonnerait pas. Ils vivent ainsi ici ; à travers la douleur des autres. « Partez. S’il vous plait, partez. » Allez vaquer à vos occupations qui consistent à parier sur l’agonie des autres, faites-vous plaisir, plus de septante éditions n’attendent qu’à être revisionnées ! La silhouette ne semble pourtant pas être décidée à partir. Je l’ai peut-être imaginée. Comme j’imagine les voix dans ma tête, qui m’assurent être réelles. La perte de ses facultés mentales, le bonheur si vous devenez complètement fou, une prison si vous avez encore un pied dans la réalité. « S’il te plait. » Une supplication. Qui que tu sois. Silhouette réelle ou imaginaire de mon esprit torturé. Disparais. Laisse-moi croupir au fond de cette rue, ce sera toujours mieux que de retourner dans cette arène.