| Sujet: « Not today » ✝ Pepper-Swann & Aileen Ven 28 Juin - 9:51 | |
| There is only one god and his name is Death. And there is only one thing we say to Death: “Not today.” Perdre pied et se sentir dériver, sans espoir de jamais retrouver la terre ferme. Se perdre et se retrouver, s’embrouiller et se débrouiller, s’encoconner et s’envoler, pour découvrir que des ailes si frêles ne peuvent porter autant de rêves. Renoncer et apprendre à renoncer, perdre de l’altitude pour pouvoir remonter. Et survivre. Peut-être parce qu’il n’y a pas d’autre choix. Peut-être par peur de mourir. Aurais-tu peur du noir, Aileen Carter ?
Cette femme qui se tient devant moi, je ne la connais pas. Ses mouvements sont trop brusques, trop rapides. Sa voix aiguë déchire mes pensées comme du papier de soie. Roulée en boule, je cherche à comprendre ce qui m’arrive. Je ne reconnais pas les objets autour de moi, les murs que j’ai pourtant peint moi-même en jaune clair. Tout perd sa signification. Ces mots que j’ai utilisés toute ma vie m’échappent à présent. Une chaise, une table. Une tomate qui a roulé par terre et dont le jus rouge luit sur les dalles blanches. Un couteau. Le bout d’une botte qui s’enfonce violemment entre mes côtes. La douleur. La douleur n’a pas de nom. Elle n’en a pas besoin. Elle règne sur mon corps. Elle oblige mes muscles à se contracter, mes bras à se lever pour protéger mon visage, mes lèvres tuméfiées à s’ouvrir pour laisser échapper un cri. Je ne contrôle plus rien. Et je déteste ça. Je devrais détester ça. Mais tout ce que je parviens à éprouver, c’est de la confusion. Trop de choses se bousculent dans ma tête. Je reçois un coup au dos. Ma respiration est rauque, sifflante. J’ai vaguement conscience du sang qui coule du coin de ma bouche et de mon nez. Je suis cassée, brisée. Rouée de coups. Battue. Une plainte déchirante m’échappe. La femme rit. Je vois le bas de son pantalon. J’entends sa voix, l’ordre qu’elle me lance. Mais je ne comprends pas. Je ne comprends plus. Soudain, une idée émerge, d’une clarté fulgurante. Phoenix. Je me souviens de son nom. Son rire. Ce n’était qu’un homme. Un homme qui m’appartenait et à qui j’appartenais. Je revois ses yeux sombres. Je… l’aimais. Mon cerveau est fiévreux. J’ai perdu connaissance trop de fois, mais la douleur me réveille à chaque fois. La douleur et les coups qui pleuvent sur moi, sans discontinuer. Alors je m’accroche à cette pensée, la seule pensée qui me reste. Phoenix et voulez-vous m’épouser et oui je le veux et le bébé. « Phoenix est… mort. » Ce sont les premières paroles que je prononce depuis longtemps. Je crois avoir quelques dents déchaussées, peut-être cassées. Pourtant, je dois le dire. Je dois poursuivre. « Mais il y a… Dawn. » Je souris. Je souris, sur le sol couvert de mon propre sang. Je souris parce que ce nom me rend euphorique. « Ma petite fille. » Ils l’ont enlevée. Ils l’ont enlevée, les soldats qui sont venus la nuit. Ils ont enlevé ma fille mais ils ont tué mon mari. Six mois plus tard, je me demande toujours pourquoi je ne suis pas avec lui, ou avec elle. Pourquoi je suis toujours ici. Pourquoi ces Pacificateurs m’ont sauvée et n’ont pas pu sauver mon mari. Je commence à pleurer, même si je ne devrais pas, même si le sel irrite mes plaies. Je dois m’évanouir parce que lorsque je me réveille, je suis couchée sur le dos, alors que j’étais auparavant roulée en boule. Je lève les yeux. Ma tortionnaire me regarde. Ma meurtrière. Je sais que je vais mourir ; je sens les dommages internes que ses coups ont causés. Ce n’est qu’une question de temps. Je parviens à distinguer les traits de la femme à travers du brouillard qui m’environne. Son nom refait surface dans ma mémoire endommagée, dans mon esprit déchiré. « Pepper-Swann. » Je la regarde. Elle me regarde. « Je ne voulais pas les tuer. » C’est vrai. J’ai tué ses parents parce qu’on me l’a demandé. Pas parce que je le voulais. Mais je l’ai fait quand même. Irai-je en enfer ? Se souviendra-t-on de moi ? Penser est trop douloureux. Le néant est plus confortable. L’oubli si doux, pourquoi ne parviens-je pas à le retrouver ? Si je me laisse aller, peut-être atteindrai-je les rivages de la mort, où le passeur attend dans sa barque noire. Suis-je prête à embarquer ? Cela fait longtemps que j’ai baissé les bras. Longtemps que j’ai cessé de m’évader, de riposter, de me protéger. Longtemps que je me laisse traîner dans la boue par Snow, que je réponds à ses appels avec l’empressement d’un chien affamé. N’ai-je pas cessé de résister depuis le jour où j’ai pour la première fois tué au nom du gouvernement ? N’ai-je pas cessé de mener ma propre existence pour devenir une chose ? Qui suis-je encore ? Dawn, ma chérie, je suis désolée. Je n’en peux plus. Je n’arrive plus à m’accrocher, même pour toi. Qui sait, peut-être seras-tu heureuse au District 13 ? Tu n’es qu’un bébé. Personne ne te fera du mal. Je te protègerai toujours, je te le jure. Je serai là dans un petit coin de tes pensées, dans une main amicale qui te tapote l’épaule, dans la danse légère du soleil sur ta chevelure. Je serai là et je te dirai de rester libre. Libre de penser, d’aimer, de vivre. Libre d’être heureuse.
Perdre pied n’est pas facile. C’est lâcher ses espoirs et ses rêves dans le torrent du monde. C’est accepter. Se réconcilier avec la vie avant de lui dire au revoir. Faire ses valises puis décider de ne rien emmener. Nue et vulnérable devant l’inconnu. Quelque part, un corps m’appelle. Quelque part, quelqu’un me parle. Quelque part, le monde continue à tourner, les enfants naissent et meurent, les hommes tuent d’autres hommes, les amants se retrouvent et se séparent. Mais je suis déjà partie.
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