Spader Oz Jodnar

❝ WHO AM I LIVING FOR? ❞

about games and relative.

➺ COMMENT VOIS-TU TA MORT ?

On a toujours dit à mon sujet que je pourrais mourir par négligence. Juste un accident, parce que j'aurais préféré regarder un oiseau plutôt que où je mettais les pieds. Ces personnes-là n'ont visiblement pas confiance en moi. Si je me donne un air décontracté, quand je suis en haut d'un arbre, je ne peux pas me rater. Mes parents me disaient souvent qu'un Peacekeeper finirait par perdre patience devant mon air débraillé et insolent, que je leur oppose parfois juste parce que je n'en ai rien à faire. Ce serait possible, au final, mourir parce que je n'ai pas envie de jouer à leur petit jeu de "oh, maman, j'ai peur". Enfin, ça aurait été possible. Plus maintenant. J'ai beaucoup changé, et je sais que tout ceci ne pourrait plus arriver parce que j'ai à présent de réelles responsabilités. Mourir n'est pas une option que j'envisage sereinement, alors qu'avant, cela ne m'aurait pas particulièrement posé de problèmes. J'aimerais que ma mort survienne le plus tard possible, et qu'elle me prenne au pied d'un arbre, dans le verger familial, au milieu de mes souvenirs. Que je sois en train de sourire, qu'il y ait quelqu'un à mes côtés ... Une belle utopie, pas vrai ? Je sais très bien que je ne partirai jamais comme ça. Ce sera sans doute dans une mare de sang, roué de coups. Par des Peacekeepers. Ou par un Stormer.

➺ POUR QUI/QUOI POURRAIS-TU MOURIR ?

Mourir pour des idées ... quelle noble perspective. Malheureusement, des idées, je dois avouer ne pas trop en avoir. Je n'ai pas l'élan patriotique qu'ont certains, peut-être parce que je n'ai pas été engrainé tôt dans ce sens. Ma famille s'est toujours tenue tranquille pour pouvoir prospérer, sans être une fervente partisane du Capitole, mais pourquoi se créer des problèmes ? Pourquoi mourir alors l'on peut vivre ? Alors non, je ne pense pas pouvoir mourir pour quelque chose. Pas à l'heure actuelle en tous cas, je n'ai pas ce feu sacré en moi. En revanche, j'ai toujours su que je pourrais mourir pour Althéa. Il suffit qu'un garçon pose les yeux sur elle pour que je devienne fou et que je perde ma superbe et ma façade de "je vais bien, tout va bien". Elle est mon souffle, ma lumière, ma moitié, et si quoi que ce soit devait lui arriverait, jamais je ne m'en remettrais. Pas très original, n'est-ce pas, le jumeau prêt à tout pour sa jumelle ? Ça n'en reste pas moins une réalité. Notre réalité. Mais à l'heure actuelle, je pense que si je venais à mourir, ce serait pour Keira. Keira, notre grande sœur qui a perdu la tête au moment où l'amour de sa vie s'est suicidé. Stormer contre Jodnar. C'était à prévoir. Alors je sais qu'un jour, l'un d'entre eux voudra s'en prendre à elle, plutôt que de blâmer leurs parents qui ont sans nul doute harcelé Jon jusqu'à le pousser à cet acte malheureux. Et ce jour-là, je serai prêt. Qu'ils essaient. Je les attends.

➺ APPRÉCIES-TU LE VISIONNAGE DES JEUX ?

Pas vraiment non. Enfin, il y a une part de soulagement : se dire qu'on est tranquillement à la maison alors qu'on aurait pu se retrouver à la place des participants provoque un vicieux sentiment de bien-être chez moi, ou en tous cas le provoquait quand j'étais encore éligible ... ainsi qu'Althéa. Non, je n'aime pas regarder des gens de mon âge, maintenant des plus jeunes se battre entre eux. Je ne ressens aucune fascination malsaine pour ce genre de spectacle, qui finit toujours par me rendre atrocement nerveux et me faire perdre ma bonne humeur et ma nonchalance légendaire. Mais que voulez-vous que je dise, que je fasse ? Que je hurle "à mort le Capitole" en pleine Moisson ? C'est un luxe que ni moi ni mes sœurs ne pouvons nous payer. Alors je regarde.

QUE PENSES-TU DE LA REVOLTE ET DES REBELLES ? CROIS-TU A LEUR EXISTENCE ?

Pourquoi ne croirais-je pas à l'existence des Rebelles ? Les derniers événements prouvent qu'ils existent bel et bien et qu'ils ne sont pas prêts de s'éteindre. Ce que j'en pense ? Je ne sais pas. Je crois que je les admire, si je veux être totalement honnête. Il est évident que certaines choses ne vont pas et que le système est injuste, et que certains aient la force de vouloir faire changer les choses est admirable. Après, pour l'instant, je ne sais pas si tout cela peut aboutir. Evidemment que cette utopie de vie simple ou du moins moins compliquée me fait rêver. Mais pour l'instant je ne peux pas. Je fais quoi, je largue Keira et Althéa quelque part, je les cache pour ne pas qu'on s'en prenne à elle et je m'en vais jouer les héros ? Je ne suis pas un héros. Je ne suis qu'un jeune gars ordinaire qui essaye de faire ce qu'il peut. Alors chapeau bas. Mais pour l'instant il n'y a que ma famille et sa survie qui m'importent.

➺ COMMENT QUALIFIERAIS-TU TA VIE DANS TON DISTRICT ? EN ES-TU SATISFAIT ?

La vie dans le district 11 pourrait être tellement belle. Quelque part entre le ciel et la terre, un paradis de verdure, de quoi manger, de l'herbe où s'allonger, bienvenue au Paradis. Si seulement. En s'aveuglant, quand comme moi on fait partie d'une famille d'agriculteurs bien implantée qui a toujours eu de quoi subsister, on pourrait presque y croire. L’exploitation familiale tournait bien, alors au final, oui, on travaillait, mais en famille, avec des gens qu'on connaissait depuis des années. J'avais un petit cocon, je savais qu'ailleurs, ce n'était pas pareil. Combien cumulaient quatre emplois pour essayer de se nourrir ? Combien tombaient d’inanition quand le soleil tapait trop fort ? Maintenant, je suis l'un d'entre eux. Mieux nourri, certes, mais on commence à tirer le diable par la queue, depuis que nous sommes livrés à nous-mêmes. Alors ma vie, ma vie d'avant, elle m'allait. Mais ce n'était pas la vraie vie. La vraie vie est une chienne. Et je la déteste. Faite d'heures à travailler, de peu de reconnaissance et de rétribution, de regards en coin, les cals sur les mains, la peau qui se burine de plus en plus rapidement ... Les jardins d'Eden ? Oubliez-les. Bienvenue en Enfer.

➺ QUEL EST TON OPINION SUR LES PACIFICATEURS, LEUR ROLE, LEUR COMPORTEMENT ?

On ne s'aime pas trop, eux et moi, pour ne rien vous cacher. Je crois qu'ils m'ont toujours trouvé un peu trop insolent, et il faut dire qu'il m'arrivait de mettre quelques fruits de côté. Alors j'ai déjà eu quelques soucis avec eux. Des hommes ? Des brutes. Je suis loin d'être le plus à plaindre, après tout, je le cherchais, mais voir certains enfants se faire frapper, certains comportements ... Ce n'est pas possible. Alors oui, je les hais. Je les hais beaucoup plus que les habitants du Capitole, qui, après tout, ne nous ont rien fait. Ce sont eux, la gangrène de ce pays. Je sais qu'il prenne bien leurs ordres de quelque part, mais ça devient un peu trop complexe pour moi. Disons que si un jour je devais me battre, ce serait contre eux et plutôt deux fois qu'une. Mais je ne l'ai jamais fait. Avant, pour l'honneur de ma famille, après tout, entacher le nom de Jodnar n'était dans l'intérêt de personne. Maintenant, parce qu'il s'agirait de ne surtout pas se faire remarquer. Keira n'est certainement pas en état de travailler et je n'ai pas vraiment envie qu'un Pacificateur la surprenne nue dans le jardin. Qui sait ce qui pourrait arriver ... et qui sait ce dont je serais capable si jamais le pire arrivait ? Profil bas devant ses chiens de garde auxquels je rêverait pourtant de flanquer de grands coups de pieds dans la truffe.

➺ CROIS-TU AU BONHEUR ?

Bien sûr que je crois au bonheur. J'en ai eu un bref aperçu. Je ne sais plus s'il s'agissait d'un rêve ou de la réalité, mais ça avait un goût incroyable. De nectarine. Je veux croire qu'un jour je ne me casserai plus les reins au travail. Que Keira retrouvera la santé, qu'Althéa épousera un homme bien et pourra avoir des enfants sans avoir peur pour eux. Et moi, je voudrais couler des jours heureux à l'ombre d'un arbre, à sentir le vent dans mes cheveux. On en est loin, à l'heure actuelle. Mais je ne sais pas. Ca semble pourtant à portée de main. Je ne sais pas ce qu'il faut faire pour l'obtenir, s'il faut fermer les yeux sur le reste pour construire son foyer et son histoire comme mes parents l'ont fait, ou s'il faut au contraire prendre les armes pour tout révolutionner et espérer réellement respirer un jour. Je n'en sais rien. Mais le bonheur existe, il doit être quelque part. Je veux y croire. Parce que sinon, on n'aurait plus qu'à pendre trois cordes aux poutres. Et faire le grand saut.

JE VIENS D'UN MILIEU plutôt favorisé, mais j'en ai été renié, AINSI, POUR MOI, LA NOURRITURE est à gagner chaque jour à la sueur de mon front. DU COUP, MON NOM A 0 CHANCES/RISQUES D'ÊTRE TIRE AU SORT. J'EXERCE LE MÉTIER DE cueilleur grimpeur / acrobate du verger, comme vous voulez ET POUR TOUT VOUS DIRE, J'aime ça, mais j'apprécierais de ne pas cumuler six emplois.. JE SUIS DANS LE 11ÈME DISTRICT. AYANT 22 ans JE ne peux plus PARTICIPER AUX HUNGER GAMES ET je me moque donc de la prochaine Moisson. ENFIN, J'ATTESTE QU'EN CRÉANT CE PERSONNAGE, J'ACCEPTE DE LE LIVRER À LA BARBARIE DES JEUX S'IL EST TIRÉ AU SORT.

reality is here.

tell us your story.

Spader était fourbu par cette nouvelle journée à enchaîner les heures de travail dans trois exploitations différentes. Le jour déclinait et il délaissait enfin les vergers pour rentrer chez lui, à la maison, ce foyer qu'ils avaient construit à trois (ou plutôt deux et demi, au vu de la participation active de Keira), qui n'était pas grand chose comparé à leur ancienne existence, mais qui restait "chez eux". Un havre au milieu de toute cette folie. Ses épaules lui faisaient un mal de chien, sa peau était tirée par l'exposition continuelle au soleil, en clair, il n'en pouvait plus. Et pourtant, quand il se posa sur le banc, à côté de Keira, dans la pièce principale, il sourit. Parce que rentrer auprès de ses deux soeurs, savoir qu'elles allaient pouvoir manger le soir-même et le lendemain était le plus beau cadeau dont il pouvait rêver à l'heure actuelle. Le baiser qu'Althéa déposa sur sa joue suffit à le détendre un peu plus et il l'observa, alors qu'elle prenait place non loin de lui : Alors mes belles, la journée s'est bien passée pour vous deux ? Il ne laissait jamais leur aînée en-dehors de la conversation, malgré le fait qu'elle ne dise pas un mot. Des progrès notables pour la future entreprise Jodnar ? Il s'étira lentement, faisant craquer ses articulations. Il se força à ne pas grimacer, surtout lorsqu'Althéa poussa son assiette devant lui. Il s'arrêta quelques instant, pour fermer les yeux et humer les volutes émanant du plat. Il savait que ce n'était pas grand chose et en avait honte, il aurait aimé leur offrir tellement plus mais pour l'instant, c'était ce que leurs maigres moyens leur permettaient d'avoir. Silence religieux donc avant de rouvrir les yeux et de planter sa fourchette dans un légume. Il allait prendre son temps pour manger, comme tous les soirs, lui qui avant engloutissait les repas sans même y prendre garde. Parce qu'aujourd'hui, tout prenait un sens différent. Et l'annonce heureuse de sa sœur coïncida avec sa première bouchée, n'ajoutant que plus de goût à la pitance du soir : Je crois que j'ai réussi à croiser une orange avec une fraise... Le goût est doux, sucré. Il faut que tu goûtes. C'est vrai ? C'est excellent ! Enfin je veux dire ça doit l'être, il faudra que tu me fasses goûter ! Il laissa tomber sa fourchette et son repas pour caresser la joue de sa jumelle avec un air fier : J'ai confiance. Je sais qu'un jour tu trouveras LA combinaison parfaite. Elle avait un talent pour ça. C'était long et difficile, il fallait faire des greffes, attendre que cela pousse, mais cela prendrait le temps que cela prendrait. En attendant, il travaillait pour subvenir à leurs besoins.

Il se repencha sur son assiette en silence, faisant honneur au repas comme il se devait en même temps qu'elle. Il surveillait toujours du coin de l’œil ce qu'elle avait dans son assiette, non pas pour réclamer les restes, bien au contraire, mais pour s'assurer qu'elle ne s'était pas privée pour gonfler sa part, ce qui arrivait plus souvent que l'on ne pourrait le penser. Il ne resta bientôt plus rien du reste de ragout et il nota qu'il devait absolument travailler un peu plus le lendemain pour essayer d'avoir un morceau de viande pour la fin de la semaine. Les fruits qu'elle avait préparés lui arrachèrent un gémissement de contentement et il les savoura. Il ne savait pas si ça serait suffisant mais en tous les cas, pour le dessert, c'était parfait. Il en grattait un nouveau pour enlever la peau quand la voix d'Althéa le fit émerger du paradis culinaire dans lequel il s'était enfermé. Je m'en souviens comme si c'était hier... Tu sais, de la façon dont tout ça a commencé. Il eut un léger rire amer et secoua la tête, avant de laisser échapper un soupir. Moi aussi... Il laissa le fruit de côté et releva les yeux vers sa sœur. Il écarta les mains : Je suppose qu'on devait s'y attendre. Keira et Jon devenaient de moins en moins discrets, ça devait bien revenir aux oreilles des parents un jour. Même si je n'aurais jamais pensé qu'il ... Qu'il se tue. Qu'il ne se pende et mette fin à ses jours pour une histoire que tout le monde avait oublié. Il sursauta quand Althéa se leva et tourna son regard soudain affolé vers Keira. Mais leur aînée n'avait pas bougé. Elle fixait le mur avec cette constance effarante, comme chaque jour depuis qu'elle avait appris que l'amour de sa vie avait quitté ce monde. Il ouvrit la bouche pour s'excuser, mais sa jumelle l'entraînait déjà dans l'autre pièce, où ils dormaient tous les trois. Se passant les mains sur le visage, le jeune homme expira un grand coup. Finalement les choses n'avaient pas tellement changé, il n'était qu'un sale con inconséquent. Il resta prostré jusqu'à ce qu'elle revienne et qu'il relève les yeux vers elle, se mordillant la lèvre, désemparé. Mais elle ne l'accabla pas, elle enchaîna comme si rien ne s'était passé : Moi non plus... C'est tellement de gâchis. Mais je crois que là où j'ai compris que ça ne serait plus jamais comme avant, c'est lorsque tu es rentré, que les parents t'ont dit ce qu'il s'était passé, et que, d'une façon ou d'une autre, tu as annoncé que tu partais. Un rire amer le secoua à ce souvenir. Il se souvenait très bien de cette journée. Il rentrait avec un panier de nectarines, il avait fait la "fermeture" en disant à tous les travailleurs de rentrer chez eux quand il avait entendu les cris dans la maison. Il s'était précipité, abandonnant les précieux fruits sur le pas de la porte pour voir une Keira amorphe et des parents en train de s'acharner sur elle. Disant qu'elle devait quitter la maison. Qu'elle n'était plus leur fille. Pas d'une façon ou d'une autre ... je leur ai dit que s'ils se comportaient ainsi, alors je ne voulais plus être leur fils. Il secoua la tête et posa ses index sur ses tempes. Ca avait été tellement irréel. Ca ne me ressemble pas. Je n'avais jamais élevé la voix. Je n'en avais jamais eu rien à foutre de rien. Mais ... pas ça. Ils n'avaient pas le droit de l'abandonner à une mort certaine parce qu'elle était amoureuse de quelqu'un qui ne leur plaisait pas !

Il faillit taper du poing sur la table mais Althéa prit sa main à temps et il lui lança un long regard reconnaissant, entrelaçant ses doigts aux siens. Ils étaient tous les deux dans cette galère. Elle n'avait pas hésité un seul instant à le suivre et parfois, il s'en voulait. Il savait qu'elle ne l'aurait jamais laissé partir sans elle, alors en hurlant sur leurs parents, il avait choisi pour elle. Il ne se le pardonnerait sans doute jamais, de lui avoir forcé la main de cette façon. Voyant les larmes dans ses yeux, ce qu'il n'avait jamais supporté, il se leva pour aller prendre place sur la chaise à côté d'elle, l'attirant à lui. Il ne voulait pas qu'elle soit triste ... mais ce n'était pourtant pas comme s'il avait le choix de la voir heureuse, comme ça, en un claquement de doigts. J'étais près de Keira, et chaque fois que j'ouvrais la bouche, Papa hurlait plus fort encore. Je pensais que... Peut-être, Maman accepterait de comprendre, qu'elle ferait un effort, qu'elle convaincrait, mais elle était tout aussi horrible avec Keira. Et puis tu es arrivé, tu as hurlé, et je me souviens juste que nous sommes partis, tous les trois. Keira était complètement perdue, je pleurais, et toi, tu étais furieux, mais tu t'arrêtais de temps en temps, tu me consolais un peu, tu vérifiais que Keira n'avait pas perdu son sac ou une chaussure, et nous repartions. Il hocha doucement la tête, posant son menton sur le haut de son crâne et fermant les yeux alors que les images lui revenaient avec une précision effarante. Il n'avait pas compris ou plutôt si, il avait très bien compris du premier coup d’œil ce qui se passait. Keira n'était plus la même, elle se laissait dériver, et ses parents n'y avaient vu que la honte pour leur famille et une paire de mains en moins pour travailler, et non une, pardon, deux vies brisées par cette haine ancestrale qui n'avait pas le moindre sens. Et c'était sans doute le fait que sa mère élève la voix contre Althéa qui l'avait décidé à les attraper. A envoyer sa jumelle rassembler ses affaires pendant qu'il défiait leur père de la voix et du regard. A prendre cette décision irrévocable. Et à partir avec ses deux sœurs. On formait un superbe trio, il n'y a pas à dire ... Il tentait un trait d'humour foireux pour essayer d'alléger la situation. Mais ça n'avait rien de drôle. Ils n'avaient pas pu tout emporter et il s'était fait la promesse d'y retourner de nuit, quitte à risquer que ses parents appellent les Pacificateurs, pour récupérer des plants, des vêtements ... de quoi survivre au moins. Et on a atterrit ici, en un seul morceau. Il caressait tendrement ses cheveux. Mettre des mots sur ce qu'ils avaient vécu n'aidait pas vraiment, mais soit. La vieille remise de Grand Pa' Trent. Une ruine dont ils se foutaient. Et heureusement pour eux, sinon, ils se seraient tout bonnement retrouvés à la rue. Mais ce lopin de terre, à l'écart du reste, ils n'en avaient jamais voulu, alors sans doute avaient-ils toléré leur présence sur cette partie de leurs terres. Ce n'était que provisoire, se répétait-il, quand ils auraient assez de moyens, il les ferait déménager ailleurs. Dans un endroit entièrement à eux.

Je me souviens les nuits après qu'on soit arrivés ici... On allait chez papa et maman, et on prenait ce qu'il nous fallait dans la remise. Et le chien nous regardait passer sans même aboyer, comme s'il avait compris quelque chose. On a planté nos arbres, nos plants, et on a retapé la maison. On était juste tous les trois, et Keira nous regardait faire. Réconforté par le rire qu'il était arrivé à arracher à sa soeur, Spade se détendait petit à petit. Son corps entier luttait quand ils revenaient à parler de ces événements et au final, cela se produisait plutôt souvent. Ils avaient été arrachés si violemment à leurs ancienne vie qu'il fallait croire qu'ils avaient besoin de ça pour rester à flots, pour comprendre l'enchaînement qui les avait amenés jusqu'ici, pour ne pas qu'ils perdent pied et maudissent cette existence qui ne ressemblait à rien de connu. La misère, ils en avaient toujours été exemptés par la chance de voir le jour dans une famille réputée, jusqu'à ce que tout bascule. Alors peut-être était-ce malsain, mais ils avaient besoin de faire ces fash-backs, de repeser chaque parole, chaque geste, chaque attitude qui avaient mené à "ça". J'me suis jamais senti mal d'aller leur reprendre tous ça. Ils s'en foutent, ils sont vieux et ils n'ont plus de bouches à nourrir. D'ailleurs, je pense qu'ils doivent se sentir coupable quelque part, sinon ils nous auraient dénoncé aux Pacificateurs. Spécialement pour les arbres et les fruits. Mais il leur fallait quelque chose pour démarrer, il fallait de la matière pour les expérimentations d'Althéa et un minimum pour se nourrir, vendre quelques fruits au marché. Alors non, il n'avait pas eu honte de voler ses propres parents. Et si c'était à refaire, il prendrait même beaucoup plus, n'ayant plus une once du respect pour eux qui l'avait retenu. Il poussa un profond soupir et l'embrassa sur le front en concluant : Et nous voilà ... Les enfants reniés des Jodnar. L'histoire avait sans doute fait le tour du district.

Il finit par embrasser sa soeur dans les cheveux et se lever, non sans prendre la vaisselle sale, la déposer pour s'en occuper un peu plus tard et partit vers le jardin. Après ce genre de discussion il avait besoin de s'isoler, juste d'aller se planter sous un arbre, regarder le soleil se coucher en respirant le parfum des fruits alentour. Une combinaison qui finissait toujours par l'apaiser et lui permettre de rentrer dormir en paix, ou tout du moins aussi en paix qu'il le pouvait. Il y avait quelques détails que sa jumelle ignorait, et c'était sans doute pour le mieux. Il grimaça en s'asseyant, reposant son dos contre le tronc et bataillant quelques instants pour trouver une position confortable ou en tous cas la moins inconfortable possible. Les gens n'avaient pas forcément eu très envie d'embaucher le fils Jodnar, connu pour être léger et absolument ni sérieux, ni fiable, ni responsable. Il avait dû batailler ferme pour obtenir son premier emploi, bosser plus dur que n'importe qui pour se défaire de cette image de glandeur de première, sans rien dire, sans l'ouvrir une seule fois jusqu'à ce qu'on le prenne au sérieux. Puis un deuxième emploi était venu, un troisième ... maintenant, il était un ouvrier prisé. Mais il avait dû se battre bec et ongles pour se faire sa place, qui n'était pas des plus reluisantes. Pour qu'on lui fasse confiance et qu'on voit autre chose en lui que ce gamin qu'on surprenait avec une fille au milieu de la réserve en train de ... personne n'a besoin d'un dessin. Avec les filles aussi, c'était devenu plus compliqué. Déjà parce qu'il n'était plus un Jodnar mais bien le seul Spade qu'il avait toujours été. Parce qu'il travaillait trop pour avoir le temps de penser à ça. Parce qu'il dormait dans la même pièce que ses deux soeurs. Et parce que si quelqu'un s'était taillé une part dans ses songes, ce n'était absolument pas une de ces sublimes métisses aux jambes fermes qu'on l'avait toujours vu fréquenter.

Il avait quinze ans quand il avait chamboulé sa vision des choses pour la première fois. Leurs pères étaient en train de s'engueuler, comme à leur habitude et il s'était approché, curieux. Il n'avait jamais rien compris à leurs querelles alors il espérait un mot, quelque chose qui lui mette la puce à l'oreille. A la place, son attention avait été attirée par un chuintement léger, celui de dents s'enfonçant dans la chair tendre d'une nectarine. Son regard était tombé sur des lèvres charnues épousant la forme du fruit, et des yeux, auxquels ont accédait par un chemin de taches de rousseur avant de se laisser capturer par leur éclat. La bouche soudain sèche, il était revenu sur celle de l'aîné des Stormer, et au sillon de jus qui coulait le long de son menton. Il fallut que son père le tire par la manche pour le déconnecter de cette vision, qui avait fait naître quelque chose d'inédit en lui. Quelque chose d'indescriptible, qu'il avait essayé de faire taire en testant les hommes. Sans y parvenir. Pourtant ce n'était pas faute d'en choisir des athlétiques. Musclés. Masculins. Mais ils n'étaient pas lui. Plus vieux, désiré, inaccessible, il l'envoyait donc se faire foutre dès qu'il se retrouvait en sa présence. Il n'était qu'un gamin Jodnar, un indésirable sur sa route et il l'avait bien compris. Il n'y avait rien à espérer, il n'avait qu'à crever de désir à chaque fois qu'il le croisait, à tendre l'oreille à chaque fois qu'une fille soupirait son nom ... Jaeden ... dans un soupir d'extase. Sa plus grande tentation, sa plus grande frustration. Son idole. Son bourreau. Et ce soir-là ... quelque chose d'autre s'était noué. Pour mieux se briser.

Il était parti en ville pour chercher du travail, immédiatement pour ne pas risquer de s'enliser dans le découragement. Et leurs chemins s'étaient croisés. Il se rappelait encore relever la tête en mordant dans cette nectarine qu'il avait volée à son père, croiser son regard, sentir une palpitation ... et se prendre un mur. Dans tous les sens du terme. Il l'avait rapidement attiré à l'écart et l'avait projeté dans la ruelle comme un malpropre. Regard fermé, il ne le regardait même pas. Ou si. Mais avec un faisceau odieux brûlant de haine. Le coup qui suivit sonna Spade, qui sentit son crâne bourdonner de douleur et son arcade sourcilière exploser. Cherchant à reprendre son souffle, il se rendit compte qu'il n'y parvenait pas. Il resta là, la tête posée contre ce mur de briques, à le regarder. C'était tout ? Etait-ce tout ce qu'il avait pour lui ? Jon s'était suicidé, d'accord. Mais il n'y était pour rien. Keira avait quitté ce monde à sa façon, il venait de tout perdre et il fallait en pus que lui lui démontre à quel point il le détestait. Il pensait que ce n'était qu'un jeu, entre eux, cette fausse haine. Que peut-être lui aussi frémissait quand il le voyait. Mais sans doute s'était-il bercé d'illusions. Là, épinglé, il laissait enfin la douleur l'envahir. Il ne recula pas lorsqu'il empoigna et, quand le timbre déformé par la rage du jeune homme lui explosa le tympan, il ne tenta même pas de se dérober : POURQUOI ? C'était une excellente question. Il n'était qu'une poupée de chiffons complètement amorphe et ne parvenait pas à y trouver de réponse. Rien de tout cela n'avait de sens. Sa tête vibrait bien trop, et le sang cascadait le long de son œil droit, sur sa joue, sur son menton ... comme le jus de la nectarine. Il baissa les yeux pour voir le fruit à leurs pieds. Vestige d'un autre temps. Celui où il pouvait encore rêver et être inconséquent. Mais tout ceci était du passé.

Continue ... Sa voix était rauque et il finit par relever le regard pour le plonger dans celui de son bourreau. Peut-être que c'était la solution. Si ça le faisait se sentir mieux, si au final ce n'était que ça qui unissaient leurs deux clans ... Si Jon et Keira, dont l'histoire était si belle, si pure, n'y étaient pas arrivés ... alors ça ne valait pas le coup de se battre. Il serra les mâchoires, prêt à recevoir la pluie de coups qui allait l'achever. Comment allait-il se relever, une fois qu'il lui aurait fait mordre la poussière de la ruelle ? Il fallait qu'il aille chercher du travail. Mais tant de haine, de colère gratuites le tuaient. Il attendit. Longtemps. Rien ne se passa. Il fut relâché et ses jambes se dérobèrent, l'envoyant embrasser le sol. Va au diable Jodnar ... Il ne releva pas la tête. Il n'avait pas envie de le voir s'éloigner, de le voir l'insulter du regard. Il voulait juste ... il ne savait pas. De toutes les manières ... J'y suis déjà ... Il avait fini par se relever, essuyer toute trace de sang avant de se remettre en route, pour éviter que les Pacificateurs posent des questions. Il avait trouvé son premier emploi. Etait rentré. Avait menti à sa soeur en disant qu'il était tombé. Et s'était refermé. Il avait décidé d'ignorer ce qui s'était passé, de l'occulter, parce qu'il ne savait pas comment le gérer. Être un paria, un être indésirable, était-ce vraiment là le goût que cela avait ? Il avait tenté de s'en remettre. En vain. Il n'avait plus touché aucune fille, clamant haut et fort qu'il n'avait pas le temps pour ça. C'était vrai. En partie.

En vérité plus le temps passait, plus il lui était difficile de penser à quoi que ce soit d'autre que : travailler, s'occuper de ses soeurs et travailler encore. Rectification. Il y avait une autre chose qui occupait ses pensées : trouver la vérité. A propos de cette histoire Stormer/Jodnar. Et cela n'avait rien avoir avec Jaeden. Mais cela avait tout à voir avec Keira. Et Wilson. Wilson, la petite dernière des Stormer, que Spade embêtait depuis des années. Seule fille de la fratrie, la petite chérie de son papa avait gobé toutes ces histoires de haine et partait au quart de tour quand il était dans les parages. Gamin, il s'était follement amusé de la situation. De quatre ans son aîné, cela ne l'empêchait pas de souvent traîner autour d'elle juste pour la voir piquer une colère quand il lui déclarait l'aimer en public, ou qu'il lui laissait des bouquets de fleurs un peu partout. Il devait bien avouer la trouver attendrissante et, en prenant de l'âge, plutôt sexy dans son genre quand elle s'énervait. Mais, avec le suicide de Jon, les choses avaient pris un tour différent. S'il s'était soigneusement abstenu de toute remarque depuis l'incident de la ruelle, elle en revanche était devenue au-delà de virulente, l'insultant copieusement à chaque rencontre. Il laissait couler, comme il l'avait fait avec son frère, préférant encore les brimades de la "charmante petite princesse" aux coups sans âme de son aîné. Jusqu'à ce qu'elle s'en prenne à Keira. C'était sa faute, il l'avait laissée sans surveillance et elle était sortie (heureusement vêtue ce jour-là). Et elle était tombée sur Wilson qui avait commencé à lui taper dessus. Spade n'avait pas mis longtemps à les retrouver et voir sa soeur prostrée se faire tabasser l'avait retourné. Il avait maîtrisé l'assaillante avant que les Pacificateurs ne s'en mêlent, gardant la diarrhée verbale qui avait menacé de surgir et était rentré. Ca n'était pas possible. Pas elle. Voir punir sa soeur, une fois de plus simplement parce qu'elle n'était pas "tombée amoureuse du bon" l'avait tué et il s'était promis d'arrêter ça une fois pour toutes. De faire éclater la vérité, en fouillant dans es registres. Et de découvrir ce qui avait réellement poussé Jon au suicide. Les parents qui l'avaient lynché ? Sa soeur elle-même ? D'autres habitants ? Il trouverait. Mais ça ne pouvait plus durer.

Rien de tout cela ne pouvait durer, en réalité. Spade contemplait cette "maison" qu'ils s'étaient fait en se disant qu'il fallait vraiment qu'ils déménagent avant que leurs parents ne décident de finalement faire quelque chose de cet endroit et ne les jettent dehors comme des malpropres. Mais il ne pouvait pas chercher ailleurs, pour l'instant, ils n'avaient pas les fonds suffisants pour ça. Il travaillait d'arrache-pied toute la journée, offrant à son corps un court répit en fin de journée en repassant au lavoir où il redorait un peu son ego sous le regard de quelques demoiselles du coin et pourtant il ne parvenait à rien. Bien sûr, il y avait bien une solution ... une solution qu'il avait entraperçue quand il avait vu Camden Stormer se glisser subrepticement hors de la chambre de la femme du boulanger. Il n'avait pas eu besoin de croiser son regard pour comprendre ce qu'il faisait. Ils s'étaient jaugés quelques instants avant qu'il ne se décide à lui attraper la manche pour le retenir. Et lui ... poser certaines questions avant de le laisser fuir dans la nuit. Alors oui, il avait cette possibilité. Mais tout en lui la rejetait de toutes ses forces. Que dirait Althéa ? Keira ne dirait rien, comme d'habitude mais elle .. et lui ? Pourrait-il seulement ... ? Plaire avait toujours été facile, mais de là à faire ce genre de choses ... Non. Il ne pouvait s'y résoudre. Tant pis. Ils resteraient pauvres leur situation resterait précaire mais il garderait sa dignité. Même si elle ne valait sans doute plus grand chose.

Soupirant, Spade se releva. Faire la vaisselle. Aller se coucher. Espérer ne pas rêver de lui. Et retourner travailler, le lendemain. Voilà ce qu'était sa vie à présent.

Chienne de vie.

Merchi à tous

Et tant mieux si c'est encore un asile, les murs blancs qui rebondissent et les pyjamas de grand couturier qui se ferment dans le dos, je connais rien de mieux

Merchi à vous

Althéa : C'est toi la plus belle ma robinette des bois

Aspen : Viii Tyler, coup de coeur, je l'avais jamais joué et il allait bien pour le type de perso que je voulais

ça avance, ça avance, il manque l'histoire et on s'approchera du but !