Ma main tapotait nerveusement contre la paroi en métal du grand hangar. Je n'étais pas si nerveuse d'ordinaire quand je quittais les souterrains du treize ; j'aurais même dû être impatiente de partir, vu la destination. Mais cette fois-ci c'était différent. Je ne partais pas seule. Et même si j'avais l'habitude de monter dans cet hovercraft accompagnée, c'était le plus souvent accompagné de mon escouade habituelle, ou même parfois juste d'un ou deux soldats que m'imposait Coin. Mais aujourd'hui, j'y allais accompagnée d'un passager spécial. De mon passager spécial. Des bruits de pas se rapprochèrent dans le petit couloir est, et quelques instant plus tard il apparut dans son uniforme de soldat flambant neuf. Melisandre. Mon cœur se serra en le voyant affubler ainsi. Ses muscles avaient fondu lors de son séjour en prison, mais son charisme n'en avait pas pâtit ; il était toujours aussi éblouissant en uniforme. Et même si c'était la tenue difforme du treize et non celle qu'il avait l'habitude d'arborer au Quatre quelques années auparavant, il avait toujours cette étonnante prestance, celle des chefs de file, des leaders. Et depuis son retour, c'était peut être la première fois que je retrouvais le glorieux Mel que je connaissais.

Je m'approchais de lui alors qu'il arrivait au niveau de notre hovercraft. Je parvins à me retenir de le prendre dans mes bras ; après tout, ce voyage était pour m'excuser de ma conduite puérile de la dernière fois. De ce stupide baiser. Alors autant limiter les contacts physiques. “ Bonjour Mel ! ” lâchai-je en souriant, me contentant de poser ma main sur son épaule. “ Prêt pour le voyage ? ” J'essayais d'avoir l'air rassurante ; si l’événement était stressant pour moi, qui avait l'habitude, je n'imaginais même pas pour lui alors qu'il n'avait aucun souvenir ou presque du monde extérieur. Je rajustais nerveusement ma petite veste grise, m'assurant que chaque couteau est bien à sa place. Mes couteaux, c'était idiot mais dans un sens ils m’apaisaient, comme une peluche pouvait apaiser un enfant. Un peu plus dangereux et tranchant, mais tout aussi rassurant. Je vérifiais aussi que ma pilule de cyanure était bien à sa place, dans la petite poche de l'épaule ; depuis l'enlèvement de Mel, c'était devenue une obsession, cette pilule. Terrifiée par l'oubli, effrayé par la possibilité de finir comme mon fiancé, je prenais un soin maladif toujours en avoir une sur moi quand je sortais du Treize. Je balayais la salle du regard, cherchant le pilote pour savoir où en était le départ. “ On est bon Lorcan ? ” criais-je a l'intention de l'homme qui s’engouffrait dans le cockpit. Ledit Lorcan, un ancien du Quatre reconvertit en pilote après son arrivée au Treize, leva le pouce en l'air avant de répondre “ Tout est ok, montez les enfants ! ” Je souris automatiquement. Car outre la nervosité dont j'étais victime depuis les derniers jours -depuis que Coin nous avais autorisé à partir exactement- j'étais aussi incroyablement excité par ce voyage. Peut-être plus que Mel lui-même, après tout. Depuis le retour de mon fiancé, c'était une chose qui me tenais particulièrement à cœur, l'emmener dehors, l'aider d'abord à retrouver ses souvenirs, mais puisque c'était une cause perdue d'avance, l'aider au moins à retrouver une vie normale. Et aujourd'hui nous y étions, ensemble. Dans mon dos, Lorcan commença à s'impatienter. “ Allez, dépêchez-vous de grimpez là-dedans. Prochain arrêt : le district Quatre, la maison. ”

Je souris tendrement à Mel, lui attrapant la main malgré moi pour le mener jusqu'à l'entrée de l'hovercraft. Je sautais dans l'engin avant d'aider mon fiancé à grimper à son tour, le conduisant sans lâcher sa main vers les sièges improvisés, adossés au mur. Je savais que je devais lâcher sa main. Je le savais, mais bizarrement je n'en avais pas envie. Je lui jetais un regard pour le rassurer, lui souriant tendrement. “ Ça va, pas trop peur ? ” Après tout, c'était aussi nouveau pour lui, les voyages en hovercraft. Je me rappelais encore de ma première fois, en rigolant aujourd'hui, beaucoup moins à l'époque. La peur m'avait littéralement tétanisé à l'époque, impossible de bouger pendant toute la durée du voyage. Je n'avais jamais réellement eu la phobie de quelque chose ; je m'étais prouvé le contraire cette fois-là. Aujourd'hui, je ne suis plus aussi terrorisé à l'idée de monter dans ces monstres de fer, mais ce n'était pas quelque chose qui me réjouissait, et ce malgré toute la confiance que j'avais en Lorcan et en son matériel, je restais quand même assez tendu dès que l'hovercraft décollait. Assis en face de moi, Altaïr. Le visage renfermé comme d'habitude, lui était habitué et plutôt serein. Altaïr, ou Rixon comme il aimait se faire appeler au Treize, était en quelque sorte mon garde du corps. Un de mes meilleurs hommes, et sûrement le plus fidèle. Toujours derrière moi, toujours prêt à aider, c'était la personne en qui j'avais le plus confiance, peut-être même plus que Posy. C'était le roc auquel je pouvais m’accrocher, auquel j'avais ou m'accrocher surtout quand j'étais au plus mal. Et aujourd'hui, pour le voyage, il était là bien sûr. Il dû comprendre à mon regard que la panique commençait à faire surface, et me sourit doucement, de ce sourire qui pouvait me rassurer dans n'importe quelle situation. Je souris en retour, me rappelant soudain que je tenais toujours la main de mon fiancé. Je n'arrivai pas à la lâcher, et malgré toute ma bonne volonté, je ne pus me résigner. Mon regard dériva vers Mel, les yeux dans le vague. Dans moins d'une heure, il serait chez lui. Chez nous. Sur notre plage, les pieds dans le sable, bercés par les vagues. Enfin, après tout ce qui nous étais arrivé, comme je l'avais toujours rêvé. Je souris malgré moi en pensant à ce qui nous attendait. “ Prêt à rentrer à la maison ? ” demandai-je doucement à Mel en serrant sa main dans la mienne.

Ensemble, en route pour le Quatre, pour fouler le sol que nous n'avions plus connu depuis près de deux ans maintenant. J'en avais souvent rêvé, je l'avais souhaité tellement fort lors de son absence. Et malgré les dommages collatéraux de son séjour en prison, malgré le fait que sa mémoire est été complètement effacée, je ne pouvais m'empêcher de trouver ce moment parfait. D'une perfection si agréable, qui vous berçait dans son bonheur, qui occultait tous les mauvais moments. La main de mon fiancé dans la mienne, je fixai la carlingue en métal de l'hovercraft alors que les moteurs commençaient à vrombir. Lorcan s'agitait aux commandes, parlant à son petit poste radio que le grésillement rendait insupportable. “ Impatient. ” déclara Melisandre, un sourire crispé accroché au visage, l'air nerveux même s'il m'avait affirmé le contraire quelque instants auparavant. Je lui souris tendrement, même si je ne pouvais m'empêcher de redouter le décollage. L'hovercraft commença à avancer sur la piste. Il n'y avait pas de fenêtre assez proche de là où nous étions assis pour percevoir le paysage ; je m'accrochais alors à la main de Mel en tentant de cacher ma peur, tentant de paraître habitué à ce genre de chose. Même si je ne pourrais jamais m'habituer à une telle chose, jamais, c'était bien trop effrayant. “ Est-ce qu'on ira revoir notre maison ? ” demanda mon fiancé après quelques secondes de silence, alors que l'engin continuais à avancer, intensifiant sa vitesse. Mon visage s'alluma. Notre maison. J'avais essayé de bannir ce souvenir de ma mémoire pendant un temps, pensant en vain qu'oublier m'aiderait à faire face. Mais la vérité était que la maison ne m'avais jamais autant manqué. Notre petite boutique de pêche, celle de ses parents que nous avions récupérés, notre petite maison adjacente. Le salon, tout le temps en bazar, détestant autant faire le ménage que Mel, la chambre, la petite cours au fond du jardin. Tous ces lieux que je n'avais jamais revisités après mon départ pour le Treize. J'étais souvent retourné au Quatre, mais jamais chez nous. Mon cœur se serra à l'idée qu'il ne reconnaîtrait sûrement jamais ce chez, que tous nos souvenirs dans ce lieu si cher avait disparu avec le reste. Mais il n'était pas trop tard ; après tout je pouvais encore créer de nouveaux souvenirs, tout n'étais pas perdu. Il était là. Il avait même employé « notre » maison, ce qui me fit sourire tout naturellement. J’acquiesçai doucement, le couvant d'un regard tendre. “ Bien sûr, on fera un saut. ” lâchai-je doucement. “ Ça sera sûrement un peu poussiéreux, après tout, je pense pas que Posy est eu le temps de faire le ménage ces derniers temps ! ” dis-je en riant doucement.

L'hovercraft choisis ce moment précis pour décoller. Je me stoppai net et mon sourire s'effaça. Je fermai les yeux un moment, compressant littéralement la main de Melisandre, tâchant de penser au voyage qui nous attendait pour m'apaiser. Je respirai profondément, ouvrant les yeux après plusieurs secondes, relâchant quelque peu la pression sur la main de mon fiancé. Je soufflai profondément et relevai le regard vers lui, gênée. “ Je suis désolée. Je ne suis pas particulièrement fan des voyages en hovercraft. Enfin, surtout du décollage. ” Je remettrai une mèche rebelle derrière mon oreille en essayant de me remettre sans avoir l'air complètement effrayée. “ Qu'est-ce que je disais ? Oui, notre maison. Tu vas adorer j'en suis sure. Tu l'aimais avant, tu l'aimais beaucoup. Tu disais souvent que ce n'étais peut être pas la plus grande, ou la plus belle des maisons, mais qu'elle était parfaite. Tu verras la boutique aussi. Je ne sais pas si Posy l'ouvre toujours -ça m'étonnerais même- mais ça aussi ça va te plaire. ” lâchai-je d'une traite en souriant beaucoup, plongée dans des souvenirs lointain. “ Et puis on ira voir la plage aussi, en premier, on devra passer par là pour entrer dans le district. Je peux te jurer que ça va te couper le souffle. C'est tellement beau. Il faudra qu'on y repasse en fin de soirée, pour le couché de soleil. C'est une des choses que je préfère, dans tous les domaines confondu. ” dis-je en plongeant mon regard dans le sien. La chose que je préférais bien sûr, la première chose, tout en haut de ma liste, c'était lui. Mais je n'allais pas gâcher un moment comme celui-là avec une déclaration pareille, c'était idiot. “ Je suis vraiment contente de faire ça avec toi Mel, c'est vraiment génial. ” C'était peut être la première fois depuis très longtemps que je déclarai à voix haute être heureuse. Mais le plus fou, pensais-je en serrant à main dans la mienne, c'était que je le pensais vraiment.

+++

Le voyage passa vite, trop vite. Nous passâmes beaucoup de temps à discuter avec Melisandre, de la maison surtout, mais pas seulement. C'était la première fois que notre conversation semblait naturelle, loin de celle des séances de thérapies, loin de nos courtes discussions gênées lors de nos rencontres hasardeuses dans les couloirs du Treize. C'était vraiment agréable. Et outre le fait que ce n'étais pas exactement le Melisandre que j'avais quitté deux ans auparavant, je retrouvais vraiment mon fiancé alors que nous parlions. Mon sourire ne m’avait pas quitté du voyage, si bien que Rixon en face de moi n'en croyait pas ses yeux. Si bien que l'heure et demi de trajet défila d'un coup. Au bout d'un moment, Lorcan se manifesta et nous invita à avancer vers le cockpit. Je conduis mon fiancé vers l'avant de l'engin sans un mot, sachant très bien pourquoi il nous faisait alors que nous étions encore en vol. Sans lâcher sa main, je le laissai découvrir le paysage à travers la vitre de l'hovercraft. La mer, à perte de vue. Au loin, les côtes du district Quatre se dessinaient, nous offrant une vue à couper le souffle. “ Bienvenue chez nous, Mel. ” dis-je doucement en levant le regard vers lui, à l’affût de sa réaction.

Spoiler: