❝ CALL ME STRANGER ❞

Les bois étaient devenus ma nouvelle maison. Ils l'ont toujours été pour tout dire. Aussi loin que je puisse me souvenir, la forêt a toujours eu une grande place dans ma vie, que ce soit pour le travail ou pour un moment d'isolement, elle était constamment présente. Elle ne pouvait me décevoir. Contrairement à l'être humain... Je n'avais que trois ans et déjà je m'aventurais entre les arbres qui bordaient mon district natal, déjà je trouvais du réconfort dans ce décor éphémère. À l'âge de seize ans, ces bois sont devenus mon gagne-pain alors que j'étais engagé à la scierie du district. Tout homme assez âgé et assez fort pour soulever des billots plus grand que soi se devait de porter main-forte à l'industrie du sept. Je m'en faisais un point d'honneur et je me sentais à ma place. Et lorsque la Rébellion devint ma seule et unique raison de vivre et de respirer, elle ne m'a toujours pas laisser tomber. Elle était là pour me réfugier lorsque les Pacificateurs devenaient trop insistants, là pour me nourrir, pour me guider. Et la voilà qui m'aidait de nouveau. Où pouvais-je me rendre maintenant que je n'avais plus de maison? Qui aurait le courage de m'accueillir alors que je n'apportais visiblement que des ennuies? Là où j'étais, je ne pouvais créer aucun dommage... J'avais presque trouvé ma liberté, ce que je prônais depuis toutes ces années. Et pourtant, ma nostalgie était toujours présente, toujours aussi puissante.

Je n'avais pas osé compter les jours depuis mon départ, je refusais de le faire. Mon exil fut soudain, brutal, et je parvenais avec peine d'accepter ma solitude. Et d'un autre côté... Elle était nécessaire. Tant de choses se sont passées cette dernière année et je pensais être responsable de tous ces malheurs. Par ma simple existence, des gens que j'aimais ont souffert entre les mains de l'ennemi. Tout d'abord, les soeurs Sweenage qui sont déjà victimes d'une vie tragique. Ma présence n'a qu'empirer leur situation, j'en suis plus que conscient... Avalon qui a été kidnappé par des Pacificateurs, car autour d'elle, des rebelles contraient le régime de Panem. Elle n'avait rien à voir avec toute cette histoire... Rumer se battait nuit et jour pour l'éloigner de cette guerre et elle fut tout de même prise entre les deux camps. De plus, elles ont été obligées de quitter leur demeure, leur district natal, pour se réfugier dans la base souterraine du treize. Beaucoup de choses étaient prises en compte, mais je me sentais fortement responsable de cet exil. Rumer s'était battue contre le danger afin d'amener un peu de confort à sa demeure, afin de pouvoir vivre dans son district. Mais la situation à Panem l'avait éloigner de sa maison. Je ne pouvais m'empêcher de me sentir coupable de cet éloignement, car j'avais le sentiment d'avoir accéléré le processus de départ. Peut-être que si je ne m'étais pas attaché de cette manière à la jeune rebelle, peut-être ne serait-elle pas prisonnière de ces souterrains... Sans ma présence, peut-être vivrait-elle beaucoup mieux aujourd'hui. Et puis, Clay... Mon frère jumeau, ma chair et mon sang. Il a probablement été celui qui a le plus souffert des dommages que j'ai implanté. Il vivait paisiblement au sept, aidant les habitants par ses talents de guérisseur. Toutefois, ma dévotion pour la Rébellion le mena entre les mains de l'ennemi. Par ma faute, il était la proie d'un Pacificateur sadique, par ma faute, il était aujourd'hui prisonnier du Capitole. L'envie d'aller à sa rescousse était insoutenable... Mais je craignais de le détruire davantage. Peut-être tous ces gens se portaient-ils mieux sans ma présence.

Mes pas me menaient dans un endroit calme et solitaire. Je bougeais constamment afin qu'aucun vagabond ne me trouve. Jusqu'à maintenant, je n'avais croisé aucune âme qui vive, mis à part les animaux que je traquais pour satisfaire mon estomac douloureux. Enfin, j'aurais cru pouvoir vivre des mois incognito, mais il s'avérait pratiquement impossible d'y parvenir. Je croyais au départ qu'il s'agissait du propre craquement de mes bottes sur les feuilles et les branches, mais je ralentis soudainement le pas, constatant que je n'étais pas seul... Les sens aux aguets, je m'immobilisai afin de mieux cerner les alentours. Il y avait définitivement un humain qui déambulait dans ces lieux. Je me retirai légèrement, me camouflant derrière la verdure, tout juste avant qu'une silhouette fine et gracieuse apparaisse devant moi. De ma position, je ne pouvais affirmer avec certitude s'il s'agissait d'un homme ou d'une femme, mais je ne pouvais prendre aucune précaution. Je laissai l'inconnu me précéder alors que ma main atteignait mon pistolet accroché à ma ceinture. Dans un silence calculé, je dégainai mon arme et attendu le moment propice. Et je m'élançai. Je me positionnai rapidement contre son manteau, l'arme tendu devant moi, et j'accotai le canon dans son dos, effectuant une légère pression. « T'as perdu ton chemin? » dis-je, suivi d'un déclic lorsque j'enlevai le cran de sécurité du pistolet.