Le moment des adieux était arrivé. Un moment lourd et redouté. Lily se tenait au milieu de l’étroit bureau dans lequel on l’avait enfermée, songeant douloureusement à tout ce qui venait de se passer et à tout ce qui allait se passer dans un futur proche. Pour elle, c’était certain : c’était la dernière fois. Sa famille, son district... Bientôt, elle les quitterait tout deux à jamais. La peine était grande, la rage aussi ; mais Lily, même seule, s’interdisait la moindre larme. Tout ce qui pouvait retranscrire sont état d’esprit était proscrit. Il ne fallait pas craquer. Parce que c’était se faire du mal et parce que ce n’était pas une solution. Dans les prochaines minutes, il allait falloir être forte.

« Entrez. Cinq minutes, pas plus. »

Lily ravala sa salive et se redressa en inspirant profondément. La porte s’ouvrit, dévoilant sa famille entière. Tout le monde semblait brisé, tout comme le cœur de la jeune fille lorsqu’elle aperçu cette horrible expression sur tous les visages. Les plus petits se jetèrent sur leurs sœurs en pleurant. Lily, qui tomba doucement genoux, leur ouvrit les bras et les serra tous aussi fort qu’elle le pouvait. C’était la première fois que cela arrivait, ce genre d’élan de tendresse. Maintenant, Lily regrettait de n’y avoir jamais songé. Tous les enfants criaient en même temps, pariant leurs vies sur la victoire de leur sœur pour se rassurer en vain. Tout n’était que mensonge, mais à quoi pouvaient t-ils bien se raccrocher ? Lily leur avait déjà tout expliqué : les pièges de l’arène, les carrières, les rares vainqueurs du huit… En un sens, tous savaient déjà qu'elle était condamnée. Ils ne voulaient juste pas se l’avouer.

Après quelques secondes, Lily se défit de l’étreinte de ses frères et sœurs. Sa mère et ses deux aînées vinrent à leur tour l’enlacer, mais cette fois sans un mot. Cela se voyait dans leurs yeux : c’était trop difficile d’émettre la moindre phrase. Le barratin habituel, le sort, la chance... Rien n’avait de valeur. La chaleur d’une dernière étreinte avait bien plus de sens.

« Vos cinqs minutes sont écoulées. »

Madame Ayling se sépara de sa fille à regret, mais sans pour le moins résister. Tous sortirent rapidement de la pièce, sauf le petit Matt qui se jeta une dernière fois dans les bras de sa sœur en glissant quelque chose dans sa poche.

« Qu’est ce que c’est ? » Demanda Lily en tâtant sa veste.
« Le bracelet tressé de papa, pour te porter chance. »
« Garde cette chance pour les prochaines moissons Matt. Tu sais très bien que je ne reviendrais pas… »
« Il m’en refera un ! Et je te le montrerais quand tu reviendras ! Parce que tu dois revenir Lily ! Sinon je ne te le pardonnerais jamais ! »

Les larmes de Matt s’écoulèrent d’un coup, et dans son dernier hurlement, les Pacificateurs exaspérés le traînèrent hors de la pièce. Les portes se referment derrière lui si brusquement... C’était la dernière fois, assurément. De nouveau à genoux, Lily glissa sa main dans sa poche et déposa le bracelet tressé au creux de sa paume. Ce n’était que quelques bouts de tissus entremêlés sans grand soin, mais c’était d’une valeur inestimable. Liant rapidement le bracelet autour de son poignet, elle pensa à la manière dont il était arrivé là. Matt avait du courir jusqu’à la maison pour le lui rapporter… Par conséquent, son père devait être au courant qu’il ne la rêverait jamais... Jamais...

« Entrez, vous avez cinq minutes. »

Encore les Pacificateurs. Lily se redressa vivement. Qui était-ce ? Son père avait t-il fait l’ultime effort de venir la voir ? Impossible. Lorsque la porte s’ouvrit, ce n’est pas monsieur Ayling qui apparût mais la petite Lacie Cooke.

« Toi ici… Pourquoi ? »

La sincérité de Lacie, bien entendu. Lorsque la couturière avoua être venue simplement pour lui souhaiter bonne chance, Lily regretta de l’avoir accueillie aussi froidement. Il était vrai que la jeune fille et son extrême gratitude l’avaient souvent exaspérée, mais elle n’avait absolument rien à lui reprocher. Elle était connue dans tout le district pour sa gentillesse, et le futur tribut était bien forcé d’admettre que rien en elle n’était digne d’injures. Elle était là pour elle, c’était un fait. Certes, elle pleurait et voulait lui souhaiter bonne chance ( tout ce qu'elle détestait), mais c’était sans arrière pensée, sans intention de la rassurer... De la franchise, c’était ce que c’était. Elle ne pouvait pas lui en vouloir. Elle devait lui répondre. Mais avant même qu’elle ait le temps de le faire, la jeune couturière se jeta maladroitement dans ses bras en lui indiquant qu’elle avait intérêt à gagner. C’était à se demander qui vivait la situation le plus mal. Attendrie et peinée de ne pouvoir répondre aux attentes de Lacie, Lily la serra quelques instants en caressant ses cheveux, comme elle l’avait fait avec sa petite sœur quelques minutes plus tôt.

« Tu sais comme moi que j’ai peu de chance de m’en sortir… Et que quoi qu’il arrive, nous ne pourrons pas nous en sortir tout les deux. » Elle parla doucement malgré la dureté de ses mots. Même si Lacie pleurait, elle ne voulait pas lui mentir en lui assurant qu’elle reviendrait. Elle se battrait de toutes ses forces bien sûr, mais elle savait qu’il y avait peu de chances qu’elle en réchappe vivante. « Tu devrais aller voir Lucas maintenant. »

Sans la rejeter, Lily s’éloigna doucement de Lacie. Elle esquissa ensuite un léger mouvement de tête en direction de la porte. Les pacificateurs approchaient déjà.

« Merci d’être venue Lacie. Vraiment. »

Et elle la regarda partir, tentant une sorte de sourire afin de la rassurer. C'était tout ce qu'elle pouvait faire à présent. La porte se referma à nouveau. Quelqu'un allait t-il encore venir où viendrait t-on bientôt la chercher pour le départ ? Lily ne se posait pas la question. À la place, elle pensait à sa famille, à Lacie, mais aussi à Lucas. Elle se demandait comment cela se passait pour lui, si les adieux avaient étés aussi déchirants... Avait t-il pleuré ? C'est sur ces songes que la porte s'ouvrit à nouveau.

Lorsque Lily découvrit Frost Bleeder, le fils du maire, son visage se tordit. « Pourquoi ? » C’était le seul mot qui lui vint à l’esprit. Elle pensa d’abord à la vengeance. Après ce qu’elle lui avait fait, il pouvait bien se permettre de se réjouir de son triste sort. Mais il n’en fit rien. À la place, il s’excusa. De quoi ? Lily se le demanda longuement. N’étais-ce pas à elle de se faire pardonner ? Elle était la personne à blâmer. Elle savait qu’elle avait réagit trop durement. Tout cela ne résultait que d’un violent excès de colère après tout. Frost avait surement ses raisons... ces raisons qu’elle ne connaitrait sans doute jamais. Mais cela n’avait plus vraiment d’importance à présent. En le voyant ainsi, elle ne percevait plus le jeune homme de la même façon. Il paraissait profondément gentil, soucieux des autres… Des choses qu’elle n’avait jamais vues en lui après l’incident de l’usine. Un sentiment de honte mêlé à de nombreux regrets : voilà ce qu’elle ressentait. Elle l’avait haït tout ce temps pour se rendre compte de son erreur aux frontières de la mort… Elle se trouvait vraiment stupide.

Elle écouta Frost jusqu’au bout, allant de mal en mal tout au long de son discours. Après avoir demandé son pardon, il jura se veiller sur sa famille. S’en était presque trop. Il n’avait pas à faire ça, pas après ce qu’elle lui avait fait endurer. Elle se mordit les lèvres, envahie d’un horrible sentiment de culpabilité. Frost était au bord des larmes, mais Lily restait interdite. Comment lui dire tout ce qu’elle avait sur le cœur en si peu de temps ? Il ne leur restait guère qu’une minute. Décidée cependant, elle fit deux pas vers Frost et inspira à fond avant de lui répondre.

« C’est à moi de m’excuser. J’ai agi sans réfléchir à l’usine. J’étais tellement énervée de voir quelqu’un comme toi voler que mon sang n’a fait qu’un tour et je… » Elle soupira, gênée. « J’ai conscience que tu avais surement tes raisons… J’aurais du prendre le temps de te les demander… Je suis vraiment désolée… désolée d’avoir fait ça et désolée de t’avoir détesté jusqu’à aujourd’hui. J’ai fait une erreur de jugement. Je le regrette vraiment... »

Elle espérait vraiment qu’il la pardonnerait. C’était sa dernière chance après tout. Elle en était quasiment persuadée : elle ne reviendrait pas. Elle ne pouvait partir avec une dette de plus.

« Merci de te soucier de ma famille… et surtout, fait leur savoir que j’étais celle qui avait tord à propos de toi… » Elle baissa et leva les yeux successivement, derrière le jeune homme, la porte du bureau s’ouvrait. Le temps était écoulé et les pacificateurs s’avançaient déjà vers le fils du maire. Elle lâcha donc ses derniers mots en toutes hâte de peur des les oublier ou qu’ils se perdent à jamais : « Pardonne-moi s’il te plaît. Je ne veux pas partir avec des dettes. Là où je vais-je n’en aurais pas besoin… »

Frost s’éloignait déjà, escorté par les forces de l’ordre.

« Merci d’être venu. Merci beaucoup. »

Et de nouveau, le bureau fut sous clé. Lily s’enfonça dans un coin et se laissa glisser contre le mur, son visage enfouit dans ses mains. Elle ne pleurait pas, mais elle était à bout de force. La moisson, les adieux… C’était épuisant moralement. Plus que les épreuves à venir. Des pas résonnaient dans le couloir, précipitamment et en nombre. Pendant de longues minutes, Lily écouta les allées et venues qu’elle pouvait percevoir. Puis plus rien. Elle compta une dizaine de seconde, et une clé tourna dans la poignée. Deux Pacificateurs, différents de ceux qui avaient monté la garde durant les adieux, entrèrent dans la pièce et la saisirent avec force. C’était sans doute le moment. Le train devait les attendre à la gare.

Après les adieux aux proches. Les adieux au District.