When it isn't like it should be (R)

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Les immenses baies vitrées du train ne laissaient aucune place au mystère. Chaque lieu que la jeune femme traversait s’étendait, nu, devant ses yeux tristes. Elle aurait préféré ne rien voir du tout, en un sens. Cette pauvreté la faisait énormément souffrir. Pourquoi avait-il fallu qu’elle grandisse dans un district riche et convoité ? Qu’elle ne manque de rien, qu’elle ne soit pas obligée de mettre sa vie en danger pour obtenir de la nourriture ? Bien que ce ne soit pas sa faute, Dahlia ne pouvait s’empêcher de se sentir… coupable. Coupable d’être bien née, et de ne rien pouvoir faire face à tous ces malheurs. Elle avait beau se battre avec le district treize, pour le moment des gens continuaient à mourir de faim ou d’épuisement dans les lieux les plus difficiles. Il y avait tant d’enjeux dans cette guerre à venir, tant de choses qu’ils devaient changer pour le bien-être de toute une population. Quand elle voyait cette misère depuis le siège bien confortable de son train, Dahlia ne pouvait que s’armer de davantage de courage et de volonté encore. Jamais elle ne se sentait aussi certaine d’être prête à mourir pour cette cause. Parce que tant de vies innocentes en dépendaient…

Un contrôleur passa dans le couloir et Dahlia serra un peu plus fort son sac contre sa poitrine. Celui-là était un nouveau. Pour autant, comme toujours, ces hommes se contentaient de vérifier les billets pour être sûrs que les voyageurs ne se soient pas trompés de destination. Seuls les plus riches prenaient le train : ils n’avaient aucune raison de s’en méfier en fouillant les éventuels bagages. Personne ne changeait de district pour aller vivre dans un autre, sauf les Pacificateurs. Généralement, ceux qui se rendaient ailleurs avaient une excellente raison, et ne le faisaient pas souvent. « Miss Evans, c’est bien ça ? » « Oui, Monsieur. » « J’ai vu vos exploits dans l’arène dix ans plus tôt. Vous avez vraiment été fabuleuse. Félicitations ! » « Merci beaucoup, » dit-elle sans se départir de son plus grand sourire. Et pourtant, dès qu’il fut parti, elle eut envie de hurler. Elle n’y avait rien au monde qu’elle détestait plus que recevoir des compliments pour les Jeux. On l’admirait pour avoir tué des enfants. Quelle horreur. Afin de ne pas s’énerver seule et risquer de s’attirer l’attention, elle calma ses nerfs en songeant au bonheur qu’elle aurait de revoir Lucas, sa visite du jour.

« Nous arrivons au district huit, » annonça une voix féminine dans les haut-parleurs. Dahlia se leva de son fauteuil en cuir et se dirigea vers les portes de sortie. Avant d’aller voir Lucas, elle devait honorer sa « couverture » et rendre visite au Maire. Cet homme ne lui inspirait pas vraiment de sympathie mais elle devait entretenir ses relations avec lui, car il lui servait d’excuse toute trouvée pour rejoindre un district qui n’était pas le sien. Ce jour, ils avaient prévu de déjeuner ensemble. Ces deux heures furent une véritable torture pour la jeune femme, qui n’arrivait pas à songer à autre chose que l’instant où elle pourrait serrer Lucas dans ses bras. Au fil du temps et malgré leur rencontre plutôt houleuse – mais comment lui en vouloir étant donné les circonstances ? – ils étaient devenus proches. Elle se considérait un peu comme son ange gardien et lui, la voyait comme sa confidente la plus précieuse. A chaque fois qu’elle venait ici, Dahlia avait beaucoup de mal à dissimuler son impatience. Ne serait-ce que pour avoir de ses nouvelles, savoir si tout allait bien. Cela l’inquiétait toujours quand elle n’était pas avec lui.

Une poignée de main fut serrée et le Maire retourna à ses occupations. Dahlia traversa les rues tête baissée, priant pour que personne ne la reconnaisse. Elle n’avait pas envie d’attirer l’attention, mais il fallait s’y attendre quand, quelques années plus tôt, vous étiez passée à la télévision dans tout Panem, du sang sur les mains. Les gens avaient toutefois vu ce qu’elle avait fait pour son compagnon de district – et ami d’enfance. Ils avaient aussi compris qu’elle n’avait commencé à tuer qu’une fois que pas mal de tributs s’étaient déjà entretués. Mais ces considérations ne comptaient pas quand l’arène vous avait pris votre enfant. Après tout, elle était bien placée pour le savoir. Rapidement toutefois, Dahlia arriva auprès d’une maison délabrée – comme toutes celles de ce district ou presque – qu’elle reconnut comme étant celle de Lucas. Elle se dirigea vers son petit atelier personnel, un coin qu’il utilisait pour bricoler ce qu’il planifiait de revendre. Dahlia ne fut pas surprise de le trouver là, concentré sur un truc en métal dont elle n’arrivait pas à identifier la nature. En le voyant enfin, tout près, un immense sourire éclaira naturellement son visage. « Salut, toi ! Ca faisait un petit moment ! » s’exclama-t-elle, joyeuse. Elle l’était rarement pourtant, depuis sa participation aux Jeux, mais aussi depuis la mort de son frère. Lucas faisait partie de ces rares personnes qui, sans rien faire d’exceptionnel et parce qu’elle les aimait, étaient capable de la rendre heureuse à nouveau, l’espace d’un court instant.

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Après une matinée tranquille à l'école, Lucas avait été appelé pour une petite intervention en usine, juste avant le déjeuner. Rien de bien difficile, l'affaire fut réglée en peu de temps et sans incident. Il était rentré à l'heure pour manger avec ses parents.

Depuis environ un an, Lucas passait de plus en plus de temps à l'école, et s'il continuait de travailler en usine, c'était surtout pour payer un minimum de soins à sa mère, même s'ils se révélaient souvent chers et pas assez efficaces selon lui. Cette amélioration, il la devait entièrement à Dahlia, qui leur apportait régulièrement son aide. Ainsi, Lucas pouvait suivre les cours sans craindre de devoir prendre des tesserae par la suite. Pour cela, il lui en serait certainement éternellement reconnaissant.

Pourtant, leur première rencontre n'avait pas été des meilleures. Lucas lui avait fait toutes les reproches du monde à propos de la mort de son ami d'enfance en la reconnaissant. Mais depuis, ils avaient appris à se connaître, et lorsque Lucas avait compris combien Dahlia détestait tout cela autant que lui, si ce n'était plus pour l'avoir vraiment vécu, il s'en était voulu. Il avait compris qu'au delà de la gloire et de la richesse que cela lui avait apporté, elle était également hantée par de terribles cauchemars qui ne s'en iraient probablement jamais. Quoi qu'il en soit, Lucas l'appréciait désormais énormément, et la moindre de ses visites affichait un large sourire sur son visage. Il était désormais prêt à tout pour la protéger et en faisait sa plus proche confidente.

Après avoir échangé les deux trois nouvelles du District avec ses parents au court du repas, Lucas prévit de passer le plus clair de son après-midi à bricoler pendant que ses parents travaillaient. Il avait déjà repéré une vieille machine à coudre dont il connaissait le circuit par coeur à force d'en voir dans les usines. Il devrait bien pouvoir en tirer quelque chose de réutilisable. Depuis peu, il envisageait de s'attaquer à un niveau un peu plus élevé, peut-être une miniature d'hovercraft téléguidé, mais il ignorait s'il disposerait de suffisamment de pièces. Il serait certainement contraint de récupérer des objets bien spécifiques dans les usines pour que cela aboutisse. Tant pis, le projet était trop alléchant pour l'ignorer, et Lucas se mit au travail sur le champ.

Il décida de faire tout d'abord un inventaire de ce qu'il possédait déjà et qui pourrait lui être probablement utile. Après un moment, il dénicha une large tôle de métal dont lui-même ignorait l'origine. Quoi qu'il en soit, il en disposait en assez grande quantité pour l'utiliser comme carapace de sa future miniature. Mais avant de se lancer dans la véritable découpe, il envisagea de lui faire subir quelques tests... Alors qu'il s'occupait autour d'un morceau de tôle tordu, découpé et troué parfois, ses réflexions furent soudainement interrompues par une voix qu'il ne reconnaissait que trop bien. Aussitôt, la tôle perdit tout son intérêt et Lucas se redressa d'un bond en s'exclamant :

"- Dahlia !" Il ne mit pas longtemps à se remettre de sa surprise, et se jeta dans ses bras en riant. Il lui sembla que cela faisait une éternité qu'ils ne s'étaient pas vus tant sa joie fut immense à son contact. Quelle surprise ! Voilà que sa petite journée tranquille venait de se transformer en un de ces moments où plus rien ne comptait, sinon l'instant présent. "Comment est ce que tu vas ?" lui demanda t-il d'un air inquiet. Bien qu'elle affiche un sourire radieux, Lucas se faisait toujours un million de soucis à propos d'elle. Après tout, il la voyait si peu souvent. Beaucoup trop peu à son goût. Aussi pouvait-on lire l'excitation et le ravissement de cette visite surprise dans ses yeux, et il ne tiendrait bientôt plus en place, ayant un million de choses à lui raconter, et tout autant à lui demander.

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Ce rendez-vous – sous la forme d’un copieux déjeuner – avait réellement épuisé la brunette. Le maire et elle se trouvaient à une table couverte de mets, dont la moitié avait sans aucun doute fini au fond d’une poubelle. Comment rester stoïque face à cela ? Alors qu’une poignée de mètres plus loin, des familles entières étaient incapables de se nourrir correctement ? Alors que des enfants risquaient encore plus le tirage du sort des Jeux, pour récupérer un simple morceau de pain, ou un peu de céréales ? Dahlia s’était sentie mal tout le long du repas mais s’était forcée pour que son interlocuteur ne remarque rien. Après tout, elle lui dissimulait sa véritable nature. Aux yeux de beaucoup de gens aujourd’hui, la gagnante des soixante-cinquièmes Jeux n’était qu’une gosse de riches, elle-même avec un compte en banque bien fourni, qui jouissait d’une position relativement intéressante et dont les idéaux étaient en parfaite harmonie avec ceux du Capitole. Seule une poignée de personnes savaient que tout ceci ne constituait que mensonges. Pour mieux servir le district treize et ses rebelles. Ainsi, durant le déjeuner, Dahlia et le Maire avaient parlé de la prochaine Moisson qui arrivait à grands pas, et s’étaient également penchés sur le sujet de la politique. Evidemment, Dahlia avait acquiescé à la moindre remarque de cet homme, jouant à la perfection son rôle d’amie et alliée.

Elle haïssait cela, pourtant. De nombreuses années durant, elle n’avait plus été Dahlia Evans, mais simplement… une ombre de son ancienne personnalité, toujours souriante, généreuse et pleine d’espoir. Elle s’était perdue et ne devait sa renaissance qu’à deux choses : son combat contre le Capitole, et les quelques proches qu’elle avait encore. Ces derniers se comptaient par ailleurs sur les doigts d’une seule main. Loyale et dévouée, Dahlia ferait n’importe quoi pour eux. Comme entretenir une relation avec un homme qu’elle méprisait, juste pour avoir une excuse qui lui permettait de rejoindre un district sans élever le moindre soupçon. Lucas était dans toutes ses pensées, surtout pendant le déjeuner, et cela lui avait permis de tenir le coup. Finalement, parler des Jeux comme d’un divertissement, rire de la mort d’enfants… C’était insoutenable, mais ces mensonges avaient une récompense digne de ce nom à la clef : la possibilité de passer un peu de temps avec son protégé. De lui demander des nouvelles. De le voir rire, d’entendre sa voix pleine de chaleur. A cet instant précis, et seulement là, Dahlia redevenait elle-même, la gosse innocente et heureuse de vivre que les Jeux n’avaient pas encore eu l’occasion de briser.

Ainsi, un vrai sourire, un sourire qu’elle ne destinait qu’à Lucas, se dessina sur son visage lorsqu’il la salua. Elle vit ses yeux briller et fut heureuse de constater qu’il attendait sa visite avec une si grande impatience. Lorsqu’il se jeta dans ses bras, elle en profita pour le serrer fort contre elle – qui sait quand elle pourrait revenir ? Au moment où ils se séparèrent, la brunette ouvrit son sac à main et sans perdre de temps, en sortit un énorme sac empli de provisions. « Je vais très bien, puisque j’ai enfin l’occasion de te voir, et de t’apporter… ça ! » s’exclama-t-elle en lui tendant le tout. Depuis leur rencontre, Dahlia avait décidé de lui fournir toute la nourriture qu’elle pouvait, en la passant incognito dans un énorme sac à main. Finalement, le luxe des riches avait aussi ses avantages : elle pouvait le remplir à ras bord sans que personne n’en soit étonné, puisque c’était apparemment tendance de se promener avec toutes ses affaires chez les femmes du Capitole. « Et toi alors, raconte un peu. Comment ça va ? Et ta mère ? » Dahlia savait que la mère de Lucas n’était pas en très grande forme – et encore il s’agissait d’un euphémisme. A chaque fois, cela lui brisait le cœur. Lucas était tellement exceptionnel, toujours là pour ses proches… Il prenait soin de tout le monde sans jamais se plaindre. Il vivait dans la pauvreté, avait une existence des plus difficiles et pourtant ! Il était le premier à sourire. Bien souvent, il était un véritable rayon de soleil pour Dahlia alors que cela aurait du être l’inverse… Que ferait-elle sans lui ?

Et soudain, quelque chose la frappa alors que cette idée se formait dans son esprit. La frappa de plein fouet. Bientôt, ce serait la moisson. Bientôt, un nom serait tiré au sort et le garçon sélectionné rejoindrait l’arène, pour combattre. Et très probablement mourir. Comment avait-elle fait pour ne pas y penser avant ? Avait-elle inconsciemment supprimé cette éventualité, pour ne pas en souffrir ? Mais là, alors que Lucas se trouvait en face d’elle, Dahlia ne pouvait plus faire semblant… Le sang quitta son visage et elle devint blanche. Elle n’avait pas envie de gâcher cet instant avec Lucas, toutefois cette question lui brûlait les lèvres et il était hors de question qu’elle reparte sans savoir. L’air plus sérieux que jamais, elle plongea son regard dans celui de son ami et lui demanda, doucement, presque imperceptiblement. « Lucas, dis-moi… Combien as-tu de tesserae ? » Il en avait forcément, elle ne l’avait pas aidé toute sa vie et puis, même ce qu’elle apportait en plus de ce qu’il gagnait pouvait ne pas être suffisant…

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A ses mots, la jeune femme lui assura qu'elle allait très bien, et profita de l'occasion pour lui remettre un énorme sac. Émerveillé par autant de nourriture, Lucas le prit avec précaution. Il savait ce qu'il contenait, car depuis longtemps maintenant, Dahlia avait pris l'habitude d'apporter autant de provisions que possible à la famille de Lucas à chacune de ses visites. Comme toujours, il ne pouvait trouver les mots tant il lui était reconnaissant de prendre autant de risques pour eux. Aussi articula t-il avec peine un "Merci..." d'une voix emplie d'une gratitude infinie. Il songea à la joie que ses parents auraient en trouvant toute cette nourriture à leur retour de l'usine et un sourire encore plus large fendit son visage. Finalement, Dahlia lui retourna sa question, demandant de ses nouvelles, ainsi que celles de sa mère, qu'elle savait malade.

- Et bien, je vais très bien aussi ! S'exclama t-il d'un air joyeux. Rien ne pouvait aller mal le jour d'une visite de Dahlia. Grâce à toi, je peux retourner à l'école sans grand problème d'approvisionnement, alors les journées sont moins dures. Expliqua t-il en souriant. Tout cela avait été rendu possible uniquement par la jeune femme, qui prenait de gros risques en les approvisionnant secrètement. Lucas avait beau savoir qu'elle entretenait une couverture "d'amie du Capitole", si elle se faisait prendre, elle perdrait toute crédibilité....Voir bien plus... En fait, si je continue de travailler un peu à l'usine, c'est uniquement pour pouvoir payer les médicaments de maman... Sa mère... A sa mention, son regard se fit un peu plus triste. Il haussa les épaules, comme pour chasser de mauvais songes qui n'étaient, après tout, fondés que sur son propre avis, et non sur celui d'un médecin qualifié. Elle tient le coup. Elle ne veux pas arrêter de travailler, ni même réduire ses heures pour se ménager. "On se bat tous ensemble" comme elle dit... Mais elle a beau essayer de nous faire croire que ses médicaments sont un traitement miracle, tu sais... ça empire... A ses mots, Lucas sentit sa voix se briser, et il poussa un grand soupire pour empêcher le nœud qui lui serrait les entrailles de lui arracher quelques larmes. Car personne ne se faisait d'illusions : le peu de médicaments que sa mère prenait retardait peut-être sa chute, mais il ne l'empêcherait pas. Lucas chassa ces funèbres pensées de son esprit et esquissa un rapide sourire maladroit. Il ne voulait certainement pas discuter de cela avec Dahlia après tout le chemin qu'elle avait fait ! De toute façon, il ne voulait même pas y penser... Enfin, pour le moment ça va. Ajouta t-il donc dans un petit sourire afin de la rassurer comme pour se rassurer lui-même.

Lucas entreprit alors de ranger rapidement les outils qui l'occupaient avant l'arrivée de Dahlia lorsque celle-ci blêmit à vu d'oeil. Mais ce ne fut que lorsque la jeune femme le questionna à propos du nombre de tesserae qu'il avait que Lucas s'arrêta net dans ses ambitions de rangement. Il se tourna à nouveau vers Dahlia et constata qu'elle avait pâlit en un instant. Elle ne pouvait pas avoir l'air plus inquiète, s'en rendant l'air presque malade. Lucas avait beau connaître la réponse, il mit un instant avant de lui répondre, comme tétanisé par la question.

- Quinze... Souffla t-il aussi imperceptiblement qu'elle en se décidant enfin à répondre. Il savait désormais ce qui tracassait autant Dahlia, et malgré la peur qui lui rongeait l'estomac à l'évocation des Hunger Games, il se révolta contre lui-même. Hors de question de laisser la jeune femme penser à de telles choses après ce qu'elle avait enduré : sa propre participation aux Jeux, la mort de son petit frère... Aussi haussa t-il les épaules en prenant l'air le plus rassurant possible. Mais tu sais, ce n'est pas énorme dans ce district. Une lueur de tristesse passa dans son regard. Après tout, ce n'était pas faux. Mais au fond de lui, il savait que cela ne suffirait pas à empêcher Dahlia de se faire du soucis à propos de la prochaine moisson. Dahlia... Ça ira, tu n'as pas besoin de te faire de soucis pour ça. Mais que dire d'autre ? La moisson était de toute façon inévitable... A moins que.. Et si ça deviens trop dangereux... Je.. Je m’enfuirai. Déclara t-il d'un air déterminé, sans mentionner les rebelles, mais en y faisant largement allusion. Néanmoins, il avait dit ça sur un coup de tête, sans penser à ce que cela impliquerai avec ses parents. Viendrait-ils ? Les laisseraient-ils derrière lui ? Il en serait probablement incapable. Mais où fuir sinon ? Panem entier appartenait au Capitole, il serait traqué n'importe où... N'importe où, sauf au district 13. Après tout, le chef des rebelles a été très clair dans son message pirate pendant la dernière moisson. Ils existent, et ils sont déterminés. Peut-être que je pourrai les aider à construire des choses plus utiles qu'ici. Ajouta t-il en désignant l'atelier d'un mouvement de tête. En s'emballant dans cette idée, il s'imagina la vie là-bas : enfin libre, et en marche contre le Capitole. Que pouvait-il faire de mieux ? Néanmoins, une ombre vint troubler son tableau, et il perdit son regard sûr et plein d'ambition pour afficher seulement de l’inquiétude mêlée à la tristesse. Mais on ne pourra plus se voir... La réalité l'avait soudainement rattrapé, lui assénant un coup terrible. Pire qu'une douche froide, cette simple déduction mettait un terme à tout ses plans. Il était hors de question de couper les ponts avec Dahlia et de l'abandonner au milieu de tout ces gens répugnants qui la félicitaient pour sa victoire aux Jeux, seulement pour échapper au Capitole et à ses stupides règles barbares. Une fois de plus, il ne pouvait que bouillir de rage en restant impuissant face à ces dictateurs sans pitié ni conscience.

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Le courage était une notion que tout le monde connaissait, mais aussi et surtout une valeur que peu de gens possédaient réellement. Le vrai courage était comme une force tranquille, complètement désintéressé de tout gain personnel qui découlerait de son utilisation. Comment dire d’une personne qu’elle est vaillante, si elle sauve une vie pour les honneurs et les remerciements ? Non, le courage comme le voyait la brunette était une denrée tellement rare en ces jours sombres, et pourtant… le jeune homme qui se tenait devant elle était indéniablement le plus courageux de tous. Il se battait chaque jour pour survivre, et comme si cela ne suffisait pas déjà, il devait faire preuve d’une grande force afin de soutenir sa mère dans la maladie. Il travaillait d’arrache-pied, sans jamais rien dire et avec si peu de repos pour une simple dose de céréales quand, au même moment, les gens du Capitole se goinfraient à s’en faire vomir après avoir passé la journée à faire du lèche-vitrine. Dahlia se dégoûtait de son propre district de riches quand elle pensait à ce genre de choses. De toute façon, venir ici lui faisait irrémédiablement penser à l’écart immense des richesses dans Panem. Comment rester insensible à un gosse maigrelet parce qu’il ne mange pas à sa faim ? A une femme qui crache du sang mais qui ne s’arrête pas de travailler pour autant car elle seule peut rapporter de la nourriture à ses deux enfants en bas âge ? Voilà ce que Dahlia voyait quand elle marchait dans les rues du district huit, en route pour rejoindre la maison de son ami. Elle aimerait tellement pouvoir emmener assez de vivres pour tout le monde… Elle en rêvait, parfois. Mais c’était impossible.

« J’espère qu’elle saura se ménager, quand même, » grimaça la brunette, évoquant la mère de Lucas et son état de santé. « Je n’ai pas pu pour cette fois mais la prochaine, j’essaierai de ramener quelques médicaments aussi. » Elle avait prononcé cette phrase faiblement. Après tout, peu importe le nombre de boîtes de cachets qu’elle donnerait à Lucas, sa mère n’irait pas mieux pour autant et ils en étaient parfaitement conscients. Elle n’avait pas contracté quelque chose de facile à soigner, bien au contraire. Semaine après semaine elle irait de plus en plus mal et finalement… Mais Dahlia ne voulait pas y penser. Cela ne leur ferait que davantage de mal à tous les deux, autant se concentrer sur le présent et, lorsqu’arriverait le moment où Lucas se retrouverait sans sa mère, son amie saurait se montrer présente et à l’écoute. C’était là le rôle d’un ange gardien, non ?

Et alors que Lucas rangeait ses outils pour faire un peu de place, Dahlia se mit à penser aux Jeux. Bientôt, la moisson aurait lieu et on entrainerait les tributs choisis, avant de les lâcher dans une arène où ils s’entretueraient sauvagement. La jeune libraire ne connaissait que trop bien ces fameux Jeux de la Faim. Elle en était une gagnante autant qu’une victime. On ne se remet déjà jamais d’avoir du assassiner des gosses pour survivre, mais quand on voit son propre petit frère mourir sur un écran de télévision… Dahlia n’était pas prête à cela avec Lucas, et elle ne le serait jamais. L’espace d’un court instant, elle maudit le moment où il l’avait abordée, prémices d’une dispute qui se transformerait ensuite en une grande et forte amitié. Elle s’était pourtant jurée de ne jamais s’attacher à quiconque, de ne jamais ouvrir son cœur à nouveau. De cette façon, il ne pourrait plus saigner. Sauf qu’on ne résiste pas à un sourire et à une gentillesse comme ceux de Lucas. Et sans vraiment le vouloir, Dahlia s’était surprise à le prendre sous son aile, à se sentir vivante quand il lui racontait des histoires, un peu comme s’il était désormais la seule énergie capable de la garder un tant soit peu humaine.

Mais ce sentiment ne dura pas. Tout au fond, Dahlia savait que même si quelque chose devait arriver à Lucas, elle ne pourrait regretter sa rencontre avec lui. Il lui avait tant appris… Il avait su lui montrer que l’on pouvait avoir une vie des plus difficiles, et rester plein d’espoir malgré tout. Contre toute attente, un adolescent de dix-sept ans qui n’avait pas le quart de son expérience de la vie, avait fait grandir Dahlia. Et pour cela, elle ne le remercierait jamais assez. « Quinze… » souffla-t-elle, toujours blême, égoïstement inconsciente de la peur que cette question avait aussi éveillée en Lucas. Il la rassura aussitôt – elle n’était décidément pas douée pour cacher ses émotions – en lui disant que ce nombre ne représentait rien du tout dans son district. Evidemment, les autres avaient du en prendre bien plus pour nourrir leur famille, sacrifice qu’il n’avait pas eu à faire autant qu’eux grâce à elle. Malgré cela, quinze lui faisait peur. Très peur. Mais aurait-elle été plus rassurée s’il n’en avait eu que cinq ? Le hasard pouvait frapper quand on s’y attendait le moins, elle était bien placée pour le savoir, alors non, cela n’aurait rien changé.

Et alors qu’elle assimilait cette information, murée dans son silence, les mots que prononça ensuite Lucas lui firent relever la tête. Elle haussa un sourcil inquisiteur et plongea son regard dans le sien, le sondant jusqu’au plus profond de son âme, cherchant à savoir s’il disait vrai ou non. S’enfuirait-il vraiment s’il venait à être choisi pour participer aux prochains Jeux, et que personne ne se portait volontaire à sa place ? Irait-il au district treize, désormais bien réel dans l’esprit des habitants de Panem après le message pirate ? D’abord anxieuse, Dahlia ressentit soudain un immense soulagement. Oui ! Mais bien sûr ! C’était ça, l’idée ! Lucas n’aurait pas à se battre, car s’il était désigné par le sort, alors il partirait aussi vite que possible, il irait se cacher là où personne ne pourrait le retrouver ! Ainsi, lorsque le visage sombre de Lucas indiqua qu’ils ne se verraient plus, Dahlia ne prit même pas le temps de réfléchir. Le moment était venu. Il devait savoir, elle avait confiance en lui comme en personne d’autre. « Peut-être que si… » lâcha-t-elle d’abord, l’air mi-espiègle, mi-songeur. Evidemment, ce fut au tour de son interlocuteur de la regarder comme s’il ne comprenait rien. Plus méfiante, la brunette jeta un rapide coup d’œil aux alentours et prit Lucas par le bras, l’emmenant tout à l’intérieur de l’atelier. Et, sur le ton de la confidence, aussi bas que possible, elle ajouta. « Si tu es sérieux Lucas, si tu l’es vraiment, je peux t’aider. Promets-moi que dans le cas où tu serais tiré au sort, toi et ta famille vous rejoindrez le treize. » Sa voix se brisa presque quand elle conclut. « Je ne supporterais pas de perdre encore quelqu’un. Et surtout pas toi. » Elle avait l’impression de revenir des années en arrière, sauf que cette fois, au lieu de s’adresser à Lucas, elle parlait à Zane.

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Alors que Lucas venait d'exposer la situation de sa mère à Dahlia, celle-ci prit note de ramener des médicaments aussi la prochaine fois qu'elle viendrait. Lucas afficha un petit sourire à ces dires, mais sans pouvoir cacher une lueur de tristesse au fond de son regard. Dahlia s'efforçait tellement de prendre soin d'eux qu'elle prenait des risques inconsidérés. A chaque fois qu'elle leur rendait visite, elle voulait toujours leur apporter plus, et bien que sa condition de vainqueur des jeux lui permette d'user de subterfuges pour détourner l'attention des hauts-gradés, Lucas redoutait le jour où elle se ferait prendre.. Elle subirait alors sans doute bien plus de châtiments qu'un simple habitant de Panem, pour avoir usé de ses immenses privilèges si généreusement offerts par le Capitole... Aussi Lucas ne put s'empêcher de pousser un petit soupir pour chasser ses angoisses.

- "Tu ne devrais pas prendre autant de risques..." Souffla t-il d'un air anxieux, bien qu'il sache d'avance que la jeune femme ne prêterait pas grande attention à sa remarque. "Ne t'inquiète pas, on se débrouille pas mal, et tu en fais déjà beaucoup trop pour nous." Continua t-il en croisant son regard d'un air attendrit. Elle leur offrait tellement en prenant de si gros risques par rapport à ce qu'ils pouvaient lui donner en retour.. Jamais il n'avait connu autant de gentillesse et de bonté dans une personne. Il l'appréciait, la considérait, l'admirait, l'adorait et l'aimait tellement qu'il s'en voudrait à jamais s'il lui arrivait quoi que ce soit. Il était clair que Lucas serait prêt à n'importe quoi si jamais Dahlia avait des ennuis avec le Capitole, il était désormais prêt à la protéger comme sa propre sœur, et ne connaissait personne de plus important qu'elle pour lui en dehors de sa famille.

De plus, la première fois qu'ils s'étaient rencontrés, il n'avait pas fait attention à elle et lui avait uniquement reproché la mort des autres enfants, surtout celle de son ami de toujours. Mais depuis, elle lui avait ouvert les yeux, et il avait compris combien elle avait été détruite par ces Jeux. Non seulement elle avait vécu l'enfer en étant moissonnée, mais en plus elle avait vu son petit frère y mourir. Et en apprenant à la connaître, il avait décidé de tout faire pour l'aider à se reconstruire. Elle ne méritait pas de subir les blessures que lui avait infligé le Capitole pour le restant de sa vie. Aussi, lorsqu'il comprit l'inquiétude de Dahlia vis-à-vis de la prochaine moisson qui le menaçait, il mit tout en œuvre pour tenter de la rassurer.

Après tout, le 13 avait nettement fait comprendre à tout Panem qu'il existait, et qu'il fallait se battre. Alors certes, cela serait sans doute difficile, mais pourquoi ne pas le rejoindre ? Après tout ce temps de silence, les rebelles du district 13 étaient certainement prêts à se battre à nouveau, et Panem tout entier devait être avec lui à cet instant. Aucun doute, Lucas en serait. Et alors que le jeune garçon exposait son idée de fuite à la jeune femme, celle-ci semblait songeuse. Enfin, lorsqu'il conclut avec tristesse que cela mettrait fin à leur relation, Dahlia le contredit avec un air mystérieux. Cherchant à savoir ce qu'elle avait en tête, il lui jeta un regard interrogateur tendis qu'elle le prenait par le bras pour l'éloigner de la porte, après s'être assurée que personne ne les épiait. Enfin, elle lui affirma en chuchotant qu'elle pourrait l'aider à s'enfuir. Lucas aurait d'abord entreprit de protester, les aider à rejoindre le district 13 aurait été bien trop dangereux pour elle, mais cette façon de parler, cet air méfiant, et sa demande de lui promettre de rejoindre le district 13 éveilla sa curiosité. Qu'est ce que tout cela voulait-il dire ? Viendrait-elle avec eux ? A cette idée, le cœur de Lucas s'accéléra. Ils pourraient rester ensemble ! Mais sa famille ? N'avait-elle pas d'autres amis qu'elle laisserai derrière elle en partant elle aussi pour le 13 ? Était-elle vraiment prête à faire une croix sur tout cela ? Et puis lorsqu'il sentit le sanglot la prendre à la gorge alors qu'elle lui avouait qu'elle ne supporterait pas de voir Lucas partir pour les Jeux, ce fut comme si on lui arrachait le cœur.

Il serra la jeune femme contre lui, en lui murmurant d'un air rassurant :
- "Je te le promet. Tout ira bien, quoi qu'il arrive." A son tour, il sentit que l'émotion le gagnait, et il serra Dahlia un peu plus fort. En vérité, il ignorait ce qu'il ferait s'il était moissonné. Les tributs étaient si bien surveillés, qu'il lui serait certainement impossible de s'enfuir une fois les dés jetés. Cette idée lui serra le cœur. Comment réagirait Dahlia en le voyant sur l'estrade à son tour ? De plus, si Lucas devait vraiment finir dans l'arène, il aurait peu de chance de s'en tirer vivant face aux carrières. Aussi, dans un geste de prévention, Lucas brisa leur étreinte et plongea un regard déterminé dans celui de son amie.

- "Je ferai tout mon possible.....mais au cas où j'échoue, tu ne dois pas te laisser abattre." Déclara t-il d'un air presque solennel. "Promet le moi.." Ajouta t-il d'un air presque suppliant cette fois. "Et ne fais pas de bêtises, rien qui puisse te mettre en danger." A nouveau, Lucas sentit la peine et la peur lui tordre les entrailles. Cette conversation sonnait presque comme un adieu, et il se rendit compte avec horreur qu'il était en train de dresser mentalement une liste des choses à dire à Dahlia avant de la quitter. Un éclair de terreur passa alors dans son regard. A cet instant précis il réalisa alors ce qui se passerait si son nom était tiré dans peu de temps... Alors d'un air inquiet, il balaya la pièce du regard, à la recherche de la petite boîte. Il l'avait mise dans un coin bien particulier pour la garder à l'abri... Sans explication, il fouilla un instant dans les étagères de la pièce avant de mettre enfin la main dessus.

Il la sortit avec fierté et l'ouvrit avec précaution, en retirant un petit bracelet de métal couleur d'argent pas plus large qu'un pouce, orné d'une magnifique pierre bleue turquoise. Jusque là, un bijou qui semblerait ordinaire au district 1. "Donne moi ton bras." Dit-il d'une voix douce avant d'attacher l'objet au poignet de Dahlia. Une fois en place, il le contempla un instant en silence d'un air satisfait avant d'appuyer sur un tout petit bouton discret situé sur le bracelet. Soudainement, un petit hologramme s'afficha au-dessus de la petite pierre, projetant les deux amis en train de rire tranquillement ensemble. Lucas ne put retenir un petit rire satisfait et ému en se remémorant la scène. Il avait réussi à la prendre discrètement avec une vieille caméra rafistolée et avait prévu de lui remettre l'objet pour son anniversaire. Néanmoins, il supposa que la jeune fille avait plus besoin de cela maintenant, et il voulait être sûr de le lui remettre en main propre.

Ainsi, s'il venait à lui arriver quelque chose, il espérait que le souvenir de ses moments où elle avait retrouvé un rire aussi paisible l'apaiserait et lui rappellerait qu'elle ne devrait jamais se laisser abattre, quoi qu'il arrive.

- "Joyeux anniversaire... en avance !" S'exclama alors Lucas, les yeux pétillants. Il était tellement heureux que ce petit bijou fonctionne. Il faut dire qu'il avait eu beaucoup de mal à mettre la main sur tout ce dont il avait besoin pour reconstruire un hologramme. Il avait eu énormément de chance de tomber sur un tel dispositif, et c'était certainement la seule et unique fois qu'il avait pu en manipuler un. Sa nouvelle fonction était parfaite. "Je voulais être sûr que tu n'oublies pas de rire s'il arrive un malheur." Expliqua t-il d'un air à la fois émerveillé par la technologie et mélancolique par ces paroles. Il pressa à nouveau le bouton pour arrêter l'hologramme et plongea à nouveau son regard dans celui de Dahlia. "Tu ne seras jamais seule." En prononçant ces paroles, Lucas espérait bien que quelqu'un d'autre veillerait sur elle au détriment de sa propre vie si jamais il venait à disparaître. Voilà une pensée qui l'angoissait presque plus que l'idée même de sa propre mort. Il y songerait le moment venu.

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