L’heure était déjà bien avancée et le soleil haut dans le ciel lorsque la belle ouvrit les yeux. Au premier coup d’œil, elle ne reconnut pas la chambre dans laquelle elle venait de passer la nuit, mais un simple regard par-dessus son épaule dénudée lui rappela la soirée de la veille. Ayant finalement reçu son affectation, Jubilee s’était empressée de prévenir Keyvan. Ce dernier lui avait proposé de sortir fêter sa nomination. La demoiselle accepta et célébra son nouvel emploi comme une reine, si bien que ne marchant plus vraiment droit, son ami prit la décision de la ramener chez lui. Certes la belle tête blonde n’avait pu possession de tous ses moyens, mais elle était encore maîtresse de certaines parties de son cerveau. Il y avait toujours eu cette relation ambigüe entre Keyvan et elle et cela, rien n’aurait pu le changer. Entre allusions et caresses furtives, ce n’était plus qu’une question de temps pour que l’un ou l’autre passe à l’offensive. Ce fût chose faite. Le léger drap blanc qui les recouvrait glissa lorsque Jubilee se leva. Une migraine lui enserra le front quand elle voulut se baisser afin de rattraper le tissu pour recouvrir son corps nu. Elle posa sa main froide sur son front et la pressa comme pour faire reculer le mal de tête violent qui venait de la saisir. Rien n’y fit. Elle s’enroula dans le drap et marcha sur la pointe des pieds jusqu’à la cuisine pour ne pas réveiller son ami. Ses sentiments étaient mitigés. D’un côté elle savait que ce n’était pas bien mais de l’autre, elle ne semblait pas voir où exactement était le mal dans ce qu’il s’était passé. Elle se servit un verre de jus d’orange, qui avait toujours eu un effet bénéfique sur ses migraines, et le bu d’une traite avant de contempler le Capitole qui s’étendait sous ses pieds. Keyvan avait cette chance de vivre encore plus haut dans les étages et donc d’avoir une vue encore plus impressionnante.

Elle sentit soudain des mains se refermer sur ses épaules et un souffle chaud dans sa nuque avant de recevoir un doux baiser derrière l’oreille. Jubilee ne put retenir un frisson ce qui fit sourire Keyvan. « Qu’est-ce que tu comptes faire aujourd’hui ? » demanda-t-il le plus naturellement du monde. « Je n’en ai aucune idée. La Moisson va bientôt commencer, mais je n’ai rien à préparer moi-même… » répondit-elle également sans la moindre gêne. Evidemment qu’ils se souvenaient tous les deux de la nuit passée, mais rien ne semblait perturber son ami alors Jubilee prit exemple sur lui et ne trouva pas cela compliqué, bien au contraire. « Ça n’a pas l’air d’aller en ce moment… Pourtant tu as tout Juby. Qu’est-ce qui te manque ? » lâcha-t-il soudainement. L’hôtesse fut prise de court par cette intrusion dans sa vie privée. Il la connaissait en tant que Jubilee Sheridan, fille de… et il la connaissait plutôt bien, mais elle ne pensait pas qu’ils s’étaient à ce point rapprochés en si peu de temps. Son premier réflexe fut d’ignorer la question, de se rhabiller puis de partir. Mais elle se ravisa très vite. Orel, son ami d’enfance, n’avait donné aucun signe de vie depuis plus d’un mois et cela l’inquiétait. Mais ce n’était pas tout. « Une famille… Il me manque une famille Keyvan. » dit-elle tout bas, comme si elle se révélait un secret à elle-même. Elle pouvait l’entendre se rapprocher, poser la tasse de café puis il la tourna pour lui faire face et la serra dans ses bras. Une larme coula le long de ses joues, une larme qu’elle s’empressa d’effacer d’un revers de main. « Tu sais, il y a un orphelinat en bas de chez moi. Si c’est vraiment ça qui te manque, non seulement tu y trouveras ton bonheur, mais tu feras un cadeau précieux à une autre personne. » dit-il le plus sérieusement du monde.

Ce n’était pas une décision à prendre à la légère. C’était la phrase qui tournait en boucle dans la tête de Jubilee, assise sur un banc devant le bâtiment rectiligne que lui avait désigné Keyvan. Elle se leva d’un bond, tira légèrement sur sa jupe et boutonna son blazer à motif marin. Ses talons claquaient sur le sol et résonnait dans la rue peu fréquentée. Lorsqu’elle poussa la porte, elle sut qu’elle prenait la bonne décision. Elle aimait son chien par-dessus tout, sa famille aussi, mais malheureusement ce n’était guère réciproque pour ses frères et ses parents. Elle posa son sac sur le meuble derrière lequel se tenait une jeune femme brune et s’éclaircit la gorge. « Bonjour. Vous êtes ici pour ? » demanda la femme sans relever la tête. Choquée par son attitude, Jubilee ne se laissa pourtant pas emporter. « Pour faire une adoption si cela ne vous ennuie pas trop. » répondit-elle calmement avec un sourire dont elle avait le secret. La réceptionniste daigna enfin lever la tête et se rendit compte de son comportement. Elle repoussa maladroitement ses cheveux derrière ses oreilles et appela une collègue qui arriva quelques secondes plus tard. Les présentations fut faites, le dossier fut monté et comme rien ne semblait entrer en ligne de compte pour un quelconque refus, la deuxième femme, plus âgée, emmena Jubilee dans la cour de l’orphelinat, là où semblait se réunir tous les enfants. La demoiselle fut prise d’un vertige lorsqu’elle se rendit compte de combien d’enfants devait vivre sans parent et trouva un banc dans un coin pour s’asseoir. La responsable prit place à côté d’elle et commença à lui détailler le comportement et l’histoire de certains enfants. Mais une petite tête blonde assise par terre avait déjà retenu l’attention de Jubilee.

Spoiler:

La responsable continuait de déblatérer un discours qu’elle avait certainement apprit par cœur et qu’elle n’avait de cesse de répéter lorsqu’une personne comme Jubilee présentait un intérêt pour l’un des enfants. Mais voilà, la demoiselle avait fait son choix, si l’on peut le dire, et elle n’attendait qu’une chose, qu’il la choisisse en retour. Elle connaissait la politique du Capitole quant aux adoptions. Si l’adoptant trouvait chaussure à son pied, la chaussure n’avait pas à protester. Selon les autorités, le simple fait que l’enfant trouve un foyer devrait le rendre plus heureux que jamais. Seulement, Jubilee savait ce que c’était de se retrouver seule du jour au lendemain et de se retrouver avec des gens qu’on préfèrerait ne pas voir et elle ne voulait pas faire vivre une seconde tragédie à cet enfant. Un jeune homme grand et brun entra dans la salle, vêtu d’un habit passe partout et plus particulièrement d’une veste sombre, classique qui est, comparée à celle de Jubilee, très sobre. Cette dernière s’avança vers lui, faisant se taire la responsable. « Vous permettez ? » dit-elle en montrant la veste du doigt. Il ôta sa veste et la tendit à la demoiselle qui l’enfila après avoir enlevé la sienne. Une fois la fermeture éclair fermée, Jubilee nageait littéralement dans cet habit mais au moins, elle passerait inaperçue auprès des autres enfants qui se diront très certainement qu’il s’agit d’une nouvelle employée. Elle rabattit la capuche sur ses cheveux blonds et poussa la porte contre les protestations de la femme en charge. Elle supposa que le jeune homme était de son côté lorsqu’elle entendit un déclic dans la serrure et la femme hurler de plus belle. Certaines têtes se retournèrent vers l’origine de ses bruits, mais ils reprirent bien vite leurs jeux.

Sa jupe ne se voyait plus. Seules restaient ses longues jambes couleur ivoire qui semblaient refléter le soleil comme un miroir. Jubilee marcha sur la pointe des pieds jusqu’au jeune garçon qui serrait sa peluche entre ses bras. Au début, elle resta debout à ses côtés. Enfin elle se décida à s’asseoir par terre, ramenant la veste sous ses fesses pour ne pas se salir. La jeune femme prit également soin de tirer sur le devant afin de ne pas être dans une position trop vulgaire en arrangeant ses jambes et les passants sur le côté opposé. Et pour finir, elle fit attention à ce que la capuche ne bouge pas, cachant ainsi son visage qui pourrait l’impressionner pour un enfant qui n’a certainement pas l’habitude de côtoyer la haute sphère du Capitole. Elle noua ses doigts et commença à s’interroger sur la véritable motivation qui la poussait à être ici. Etait-ce purement égoïste ? Ne pensait-elle qu’à son bonheur personnel ? Ou alors, éprouvait-elle un réel besoin de recueillir un enfant, de le chérir et de lui faire découvrir de nouvelles choses chaque jour qui se faisait ? Elle s’éclaircit la gorge et se redressa. « Comment… Comment il s’appelle ? » demanda-t-elle hésitante en se penchant vers la peluche. La jeune femme qu’elle était il y a cinq petites minutes à peine s’était évanouie. Jubilee avait de nouveau quinze ans, l’âge où elle comprit que peu importe ce qu’elle ferait de sa vie, elle devrait ne compter que sur elle. Tous ses frères étaient partis dans un camp d’entraînement et ses parents passaient tout leur temps au restaurant. Elle était élevée par une nourrice tyrannique qui la forçait à se tenir plus droite qu’une adolescente le devrait et à lui faire apprendre par cœur les lois de Panem depuis la Guerre. Son adolescence fut gâchée. Ce petit bout d’homme ne devrait pas vivre la même chose et si Jubilee avait le pouvoir de faire en sorte qu’il ait une vie la plus heureuse possible compte tenu des évènements qui l’avaient amené ici, alors elle ferait tout ce qui était possible.

Le petit garçon ne répondit pas de suite et Jubilee se demanda si elle employait vraiment la bonne stratégie. Elle le sentit se braquer légèrement et serrer sa peluche encore plus fort contre lui, certainement de peur qu’elle ne la lui prenne. Elle le sentit également prêt à bondir pour retourner à l’abri dans sa chambre. Puis il se décida à lui répondre et Jubilee sentit un poids la quitter. Un sourire étira ses lèvres fines et rosées par le maquillage presque malgré elle. « C'est le mien et il s'appelle Skinny. Il aime que moi et n'écoute que moi. » La jeune femme rit discrètement. Elle se souvenait de quand elle avait elle aussi un animal en peluche qui la suivait partout. C’était une espèce de kangourou qu’elle avait baptisé Reggy et qui doit encore être quelque part dans son appartement. D’une main, elle fit glisser la capuche sur ses cheveux blonds qu’elle arrangea ensuite pour ne pas être trop décoiffée. Elle tourna ensuite son visage vers le jeune garçon et sentit sa joue droite exposée au soleil, son rubis reflétant ainsi les rayons. Contrairement à d’autres personnalités du Capitole, Jubilee n’était pas dans l’extravagance. Elle voulait se démarquer, c’est sûr, mais par son talent plutôt que par son physique. Elle tira un peu plus sur les manches de la veste jusqu’à en cacher ses mains. On aurait dit une adolescente de quinze ans, essayant de faire bonne impression. « Je m’appelle Jubilee. Et toi ? » Elle ne se souvenait pas vraiment de ce qu’avait pu lui raconter la responsable sur l’enfant. Elle doutait même lui en avoir laissé le temps. Mais elle préférait mille fois le découvrir par elle-même, avec ce qu’il lui laisserait comprendre, plutôt que d’avoir à faire à un caractère stéréotypé sur papier qu’on leur aurait imposé afin de se faire adopter au plus vite. Son regard se posa sur la cour et sur les autres enfants qui couraient dans tous les sens, faisant revivre des scènes d’anthologie des Hunger Games et puis il y avait ce garçon à côté de qui elle était assise. Cette singularité l’avait de suite attirée, presque malgré elle. Car même si elle avait pris la décision de procéder à l’adoption, même si son dossier était validé et qu’elle pouvait repartir avec un enfant le jour même, Jubilee n’était à cent pour cent sûre d’elle lorsqu’elle se trouvait encore derrière cette vitre. Et puis il est entré. La peine qui émanait de cet enfant avait touché l’hôtesse qui n’avait plus qu’une idée en tête : le faire sourire. « Pourquoi tu ne veux pas aller jouer avec eux ? » demanda-t-elle, véritablement curieux. Parce que même un l’enfant le plus discret et le plus introverti à au fond de lui cette envie de rire aux éclats et de jouer avec d’autres enfants. Surtout lorsqu’ils sont tous dans le même endroit tous les jours, que des amitiés se créent et qu’ils savent que personne ne viendra les chercher une fois le soir venu. C’était dur à dire, mais la vérité était là. Soit ils avaient été abandonnés soit leurs parents étaient décédés et dans les deux cas, ils se retrouvaient confrontés à une solitude pesante uniquement contrebalancée par la fait qu’ils soient des dizaines dans cette même situation. Alors autant essayer de prendre le bon côté des choses et de le rendre plus important. Mais voilà, lui, il ne jouait pas et Jubilee en était intriguée au plus haut point. C’était l’un de ses défauts principal. Elle était bien trop curieuse pour une fille de son rang et même si elle essayait de se contrôler, la plupart du temps ce trait de caractère revenait au galop dès qu’il sentait une porte s’entrouvrir.