Allé Ayden, encore quelques mètres. Tu y es presque, ne t'arrête pas. Fait attention avec tes pieds, prend garde à ne pas trébucher. Serre bien le couteau entre tes doigts, on ne sait jamais. Tient, tu saignes, là, regarde, tu t'es entaillée les genoux. C'est sûrement à cause de ta chute, celle de tout à l'heure. Allé, t'y es presque. Courage.

La jeune fille se répétait ces mots depuis une bonne heure. Encore une fois, elle avait prit le chemin pour le district Trois, sans grandes raisons particulières. Elle savait seulement qu'elle y trouverait Snake, et cette pensée lui faisait plaisir. Il était l'un de ces rares adultes à qui elle accordait toute sa confiance. Et puis, sa maison dans le district des vainqueurs était au fil du temps devenu un peu son refuge. Le plus dur, était de s'y glisser sans attirer l'attention des pacificateurs. Elle était venue plusieurs fois, et pour le moment, ne s'était pas faite pincée. Pourvue que ça dure. En attendant, le ciel se tintait d'une couleur menaçante, un de ces gris très sombres qui annoncent l'orage. Ou autres catastrophes naturelles, d'ailleurs.
La jeune fille pressa le pas, resserrant ses bras contre sa poitrine. Elle sentait les lanières de son sac battre le dos de ses jambes au fil de ses pas, laissant de longues marques rougeâtres. Ses pieds meurtris lui faisaient serrer les dents au contact du sol et la faim lui faisait regretter la miche de pain qu'elle avait terminé quelques heures plus tôt, aux alentours du district Onze. Avec un peu de chance, Snake aurait encore un de ces feuilletés à la cerise qu'il lui avait servit le jour de leur rencontre. Rien qu'à y penser, elle sentait son ventre s'agiter.
Allé. Bientôt, bientôt. A une dizaine de mètres se dessinaient les fils brillants de la clôture électrique. Avec l'habitude, elle avait apprit à passer outre la barrière sans se blesser, et en quelques minutes seulement, elle fut de l'autre côté, sans avoir subie aucune électrocution.

Un sourire de fierté se dessina sur ses lèvres, et elle se posa un instant. Elle ne reconnaissait pas vraiment l'endroit, ce n'était pas celui où elle arrivait d'habitude. Elle balaya l'endroit des yeux. Malgré la brume épaisse, elle vit se dessiner les rives d'un lac. Super, elle pourrait sûrement s'y baigner. Avant de repartir, elle ajusta son sac à dos, pour gagner en confort.
Elle eut rapidement les pieds dans l'eau, et tressaillis à son contact. Elle était gelée. D'une main rapide, elle se débarbouilla le visage et essuya légèrement ses jambes maculées de terre. Elle trembla un instant lorsque le vent souffla, et commença à regarder de droite à gauche, pour s'assurer de sa complète solitude. Au loin, se distinguait quelques personnes, mais c'est tout... Ah que, non ! A quelques mètres d'elle seulement se trouvait un garçon, mais il ne semblait pas l'avoir remarquée. Tant mieux. Rapidement, elle rassembla ses affaires et se remit en route. Elle ne connaissait pas bien le district, aussi faillit-elle se perdre de nombreuses fois parmi les chemins. Une pluie fine s'était mise à tomber, aussi froide que l'eau du lac. Elle ruisselait sur ses joues, et imbibait ses vêtements déjà humides. Quelle saison....

Soudain, au détour d'un arbre, elle se retrouva face à un jeune garçon d'environ son âge. Elle se figea, et le reconnu. C'était celui du lac. Elle plongea la main dans sa poche, et serra ses doigts autour de son couteau, prête à attaquer en cas de besoin. Avec un peu de chance il la prendrait pour une habitante... Et s'il appelait un pacificateur ? Elle avait croisé son reflet sur l'eau, et savait bien que ses vêtements usés, ses membres sales et son sac de voyage ne ressemblait en rien à ce qu'un habitant du Trois pouvait porter.

Ils étaient seuls sur le chemin, et la pluie se fit plus vive, plus violente. Leurs regards se croisèrent, elle s’apprêta à courir lorsqu'un chien sauvage sorti d'un fourré et se jeta sur elle. Elle hurla en sentant la mâchoire puissante de l'animal enfoncer ses dents dans son mollet. Le sang gicla, et elle lâcha son sac. Elle se débâtit, mais le chien ne démordit pas, au contraire. Ils étaient au sol et ses bras battait la poussière. Elle cria au garçon de l'aider, choquée de le voir rester immobile.

"Mais aide moi bon sang !"

Les dents de l'animal ne la lâchaient pas. Elles s'enfonçaient dans sa chair, provoquant une vive douleur. Le sang dégoulinait, visqueux, brûlant, goûtant sur le sol et tachant sa peau blanche. Ses bras frappaient au hasard, la poussière lui brouillait la vue. Son cœur battait la chamade.

"Lâche moi bordel !" lança t-elle avec colère et une peur non dissimulée.

Elle sentait les pattes du chien griffer ses mollets, mais n'arrivait pas bien à le discerner. Mais que faisait l'autre ? Il était là, debout, immobile face à elle, ne pouvait-il donc pas réagir ? Frapper l'animal pour l'aider à se dégager ? Etait-ce si compliqué que ça ? Bon sang ! Ses mains tentèrent de repousser la gueule du chien, sans y arriver. Au bout d'un moment qui paru durer une éternité, elle sentit la poigne de l'animal se relâcher, et en profita pour retirer sa jambe avec précipitation. Elle recula vivement, s'éraflant les poignets au passage. La bête roula sur le côté, et elle vit sa grosse tête brune tâchée de rouge. Elle le regarda un instant, sous le choc, puis son regard tomba sur sa jambe. Elle retint un cri. La blessure s'étalait sur une dizaine de centimètres, profonde, écarlate. La peau était rongée à certains endroits, la chair était à vif, le sang se mêlait à la bave et à l'eau de pluie, et des petits morceaux de terre. La douleur était atroce. C'était comme si quelqu'un s'était amusé à racler la chair avec un couteau.

Le garçon vint vers elle, elle le regarda, choquée. Il attrapa ses mains et tenta de l'aider à se relever. Elle s'appuya sur sa jambe gauche, s'accrocha aux épaules de l'autre. Elle retomba, serra les dents, et étouffa un gémissement de douleur. La pluie n'avait pas cessé, elle tombait toujours, et les grosses gouttes dégoulinaient sur ses joues. A la deuxième tentatives, après de gros efforts, elle arriva à se mettre debout. Elle boita, sans le lâcher, et il la mena vers un arbre, auquel elle s'accouda.
Elle laissa sa tête reposer contre le tronc. A quelques mètres, retentissaient les râles puissants du chien.

"Ca va aller ?" lança t-il soudain.

Elle leva les yeux vers lui, tremblante.

"C'est quoi ton nom ?" murmura t-elle.

Elle devait le remercier. Après tout, il lui avait sauvé la vie. D'un oeil inquiet, elle vérifia la présence du chien. Il n'avait pas bougé, et continuait à agoniser dans la boue. Elle passa la main sur son visage, le maculant de sang.

"Me... Merci."

Elle tenta de sourire, mais n'y parvient pas. La souffrance avait figé son visage. Ses vêtements trempés semblaient peser une tonne. Elle baissa la tête. Elle ne pourrait aller nul part avec ça. On la remarquerait trop vite. Elle avait à traverser le district pour rejoindre la maison de Snake. Impossible. Et rentrer chez elle ? pas avant la cicatrisation de sa blessure.

"Il faut que tu m'aides. Je ne peux pas rester comme ça... Je n'ai nulle part où aller..."

Elle planta son regard dans le sien. Les larmes aux yeux. Elle se sentait prise au piège, trop loin, trop près, trop à découvert. Trop vulnérable. Trop faible. Ce n'était pas une sensation qu'elle avait l'habitude de ressentir, elle détestait ça.