tomorrow will be kinder

Tout était calme. Le soleil se couchait cependant qu'un vol de geais moqueurs obscurcissait le ciel. Le temps semblait s'être figé un instant, à l'instar des pensées d'Ezea. Les volatiles reprenaient en chœur une mélodie complexe qu'on pouvait sans doute entendre par delà les champs. C'était une jolie mélodie, plutôt mélancolique. Une mélodie qui allait de pair avec l'humeur du jeune homme qui, sur les galets, dardait un regard neutre sur l'horizon. Les secondes s'étiraient, rythmées par le chant des geais. Soudain, un aboiement vint briser ce court moment de quiétude. C'était Reed, le chien qu'Ezea avait un jour trouvé là, quelque part, près du fleuve. L'animal, à cette époque, n'était qu'un chiot. Quand le blond l'avait découvert, ce n'était qu'une boule de poils rousse tapie dans une forêt de roseaux. Ezea lui avait d'ailleurs donné le nom de ce végétal, comme pour lui rappeler d'où il venait. Car Reed n'était pas de la ville, ce chanceux. Il était un être de la nature, libre, énergique et insouciant. Une insouciance que les pacificateurs ôtaient à tous ceux qui étaient issus de la ville. Ezea ne le savait que trop bien.
Quoiqu'il en soit, Reed était un compagnon amusant que le jeune homme retrouvait chaque fois qu'il venait ici. Au fur et à mesure des mois, il s'était attaché à lui, ramenant parfois quelques carcasses que la bête s'empressait de grignoter. En échange, le chien jappait avec frénésie. Ezea trouvait qu'il avait un bon caractère et une bonne tête. C'était un épagneul, lui semblait-il. Un de ces animaux fidèles qui ne demandent pas grand chose en échange de leur affection. Ça tombait bien, car le jeune homme n'avait pas grand chose non plus à lui offrir - sinon son amitié.
Cependant, aujourd'hui, quelque chose contrariait Ezea. Reed l'avait remarqué. Assis près de l'humain, le canidé couinait parfois pour lui réclamer un peu d'attention. Mais le concerné ne répondait jamais, et préférait observer d'un air pensif l'eau qui s'écoulait inlassablement à ses pieds. C'est comme si son esprit n'était pas vraiment là, perdu dans la contemplation morne du fleuve.

Aujourd'hui, ç'avait été la dernière étape de la tournée de la Victoire. Celle où le vainqueur retrouve enfin le district duquel il est natif. Celle qui a vu Alexiane revenir au Onze. Tard ce matin-là, les autorités avaient obligé chacun des habitants du district à rejoindre la place publique. Là, après quelques minutes d'attente, Alexiane était parue, entourée de pacificateurs vigilants. Ezea avait vu sa silhouette diaphane s'avancer sur l'estrade comme s'il s'agissait d'une chimère. Il avait longtemps pensé qu'il ne la reverrait jamais. Certes, il avait toujours eu confiance en elle, mais les tributs de cette édition d'Expiation s'étaient tous montrés plus féroces les uns que les autres. Le fait que la jeune fille du Onze perde n'aurait donc rien eu d'étonnant... Ezea s'en voulait d'ailleurs d'avoir douté d'elle, lui qui était l'un de ses soutiens les plus inébranlables. Mais voilà, voir son amie souffrir dans l'arène, sous l'œil des caméras, l'avait vraiment attristé. Elle, cette fille qu'il avait vue grandir, se retrouvait sous le feu des projecteurs, et était forcée de combattre à mort. Le jeune homme aurait voulu être là avec elle pour la soutenir. Se tenir à ses côtés, la serrer dans ses bras, lui adresser quelques mots. Au moins ça. Mais il n'avait rien pu faire. Il avait attendu le moment de sa mort avec abattement, sans oser en parler. Et étonnamment, la mort n'était pas venue. Alexiane avait gagné. Le Président Snow l'avait couronnée alors qu'elle rayonnait de beauté. Le garçon du Onze, lui, avait regardé cela sur l'écran de sa télé défraîchie de l'orphelinat. Il n'avait pas su quel comportement adopter – devait-il être heureux ? Il n'en avait pas ressenti pas l'envie. Son amie avait dû surmonter des épreuves trop affreuses.
C'est la même incertitude qui l'avait habité plus tôt dans la journée, quand Alexiane avait prononcé son discours sur l'estrade. Il n'avait pas su comment agir, ou quoi dire. Il avait baissé les yeux et attendu le moment de son départ.
Alexiane avait sans doute changé. Les Jeux avaient dû la bouleverser. Et Ezea ne savait pas comment se comporter. Une chose est sûre : il maudissait le Capitole pour avoir fait endurer ces horreurs à son amie. Un jour, il la vengerait. Mais pour l'instant, il se contentait d'attendre là, près du fleuve, à côté de Reed, sous le timide soleil d'un crépuscule de février. Il aurait voulu, tout de même, pouvoir reparler à Alexiane, au moins pour lui dire qu'elle lui avait manqué. Seulement, rien ne serait jamais plus comme avant, car elle avait survécu aux Hunger Games. Et le jeune homme n'avait pas oublié le baiser qu'ils avaient échangé l'été dernier, avant son départ pour le Capitole...

Spoiler:

Le district onze. Ma maison, mon foyer, l'endroit où je me sentais le plus en sécurité. Cet endroit chaleureux qui m'avait tant manqué. Cinq mois. Cinq mois étaient passés depuis la dernière fois où j'avais mis les pieds ici. Cela me semblait lointain, et mon retour m'apparaissait comme irréel. Retour. Oui, j'étais de retour. La gamine perdue et à moitié folle que tout le monde connaissait était de retour chez elle. Avec du sang sur les mains et l'esprit profondément tourmenté. Qu'importe. Mes démons me rattraperaient un jour ou l'autre, mais pour l'instant, je voulais juste sentir le vent sur mon visage, l'odeur des céréales s'infiltrer dans mes narines et découvrir à nouveau les regards de ceux que j'aime. Mon retour m'avait paru impossible. Le Capitole ne semblait pas décidé à me laisser quitter ma suite d'hôtel luxueuse. La majorité des gagnants issus d'un district pauvre ne cherche pas à rentrer chez eux, mais à profiter du mode de vie offert par notre capitale. Je n'avais envie de tout cela. Je voulais rentrer. Me sentir en sécurité. Le Capitole représentait bien trop de mauvais souvenirs. L'entraînement qui m'avait épuisée, et les Jeux éprouvants qui avaient suivi et dont j'étais ressortie en vie, contre toute attente. Une gamine du onze ne gagne jamais. C'est bien trop rare. Surtout pas face à vingt-neuf concurrents, dont la majorité sont assoiffés de sang. J'avais quitté le district défaitiste, sachant pertinemment que je n'avais aucune chance. Et puis, les jours étaient passés, j'étais toujours en vie malgré ma santé défaillante, jusqu'à ce fameux dernier meurtre commis, qui annonçait mon retour parmi les miens. J'étais en vie. Et j'aurai préféré mourir.

Dès mon transfert du Capitole pour le onze, mes pensées étaient à nouveau occupées par les Jeux. Je vivais désormais avec le souvenir de ces derniers, et je savais que cela durerait de longues années. Je devais faire de la place pour cet état d’esprit perturbé, ses souvenirs qui provoquaient des crises d’angoisses, des hallucinations et des excès de colère. Je ne serais plus jamais la même. Cette idée me rendait malade. Mais qu’importe, je rentrais chez moi. Ils ne pourraient pas me juger. Et ils ne pourront pas me détester. J’ai emporté gloire et nourriture au district onze. Ce serait malvenu. Pourtant, je savais que ma présence n’allait pas être la bienvenue par tout le monde. Les attitudes allaient changés en ma présence. Mais je m’en fichais. J’étais plus préoccupé par Avery. Il occupait l’autre partie de mes pensées. Ma seule famille. Non, en réalité, non, j’avais découvert un cousin. Hulk Kerbinghton, un ancien gagnant des Jeux. Je ne le considérais pas de ma famille. Nous étions radicalement opposés. Et apprendre que mes parents m’avaient cachés cette partie de leur vie m’agaçait. Hulk représentait tout ce que je détestais. Vaniteux, fier, hypocrite. Je le haïssais, mais je m’y accrochais malgré moi. Il représentait ma dernière chance d’avoir une famille. Durant le voyage, j’avais décidé de ne pas en parler à Avery. Ses goûts rebelles s’affirmaient de plus en plus, et je ne voulais pas déclencher en lui une colère aussi intense que celle que j’avais traversée en apprenant la vérité. Instinct de protection, certainement.

Le traditionnel discours était la première chose à faire dès mon arrivée. Avant de retrouver mes proches, de me poser dans ma nouvelle maison. Je devais à nouveau supporter l’épreuve du discours, que j’avais pourtant détesté dans les autres districts. À l’instant où j’avais prononcé mes dernières paroles, je m’étais retirée accompagnée des Pacificateurs qui me servaient de garde du corps. Eux aussi étaient partis d’ailleurs, me laissant à nouveau seul. Etant donné l’heure, Avery devait travailler. Je le retrouverais plus tard. Je ne voulais pas rester seule. Je ne le devais pas. Il y avait bien une autre personne que je souhaitais voir … mais la gêne prendrait place entre nous et ce n’était pas ce que je souhaitais. Je voulais donc trouver un endroit apprécié, dans lequel je pourrais possiblement me retrouver en compagnie de quelques personnes. Malgré tout, je n’avais pas d’idée. Pourtant, mes pieds se dirigèrent naturellement en direction du fleuve. Peut-être y avait-il des promeneurs qui je pourrais détailler, occupant ainsi mes pensées à autre chose durant quelques heures.

Cependant, c’était désert. Personne aux alentours. Si ce n’est une silhouette que je ne connaissais que très bien et … ce qui semblait être un animal de compagnie. J’hésitais. Ma conscience me disait de fuir, tandis que mes pieds avancèrent en direction de la personne qui me faisait dos. « Ezea ? » Il ne faisait aucun doute que c’était lui. Ses cheveux blonds, cette silhouette musclée. Je m’approchais jusqu’à me retrouver à quelques mètres de lui, gardant malgré moi une distance entre nous. J’ignorais quel comportement adopter face à lui. Premièrement, je ne savais pas quel avait été sa réaction face aux Jeux et à ma … transformation en bête inhumaine. Et … je repensais au baiser que nous avions échangé quelques mois plus tôt, avant mon départ. J’ignorais également sa réaction. J’étais troublée. Car pour la première fois, je ne voyais pas Ezea comme un simple bon copain.

Spoiler:

tomorrow will be kinder

Ezea aurait peut-être dû aller parler à Alexiane. La féliciter, la serrer dans ses bras. Lui dire qu'il était fier d'elle, et qu'elle ait respecté sa promesse de gagner. Mais il ne l'avait pas fait. Il avait eu trop peur de remarquer les changements qui s'étaient opérés en elle, trop peur que les sentiments qu'elle lui portait autrefois se soient effacés. Il n'avait pas voulu cela. Il ne le voulait pas. Il aurait préféré qu'elle ne participât jamais aux Hunger Games, même si cela lui apportait au final une richesse éternelle. Il aurait voulu que tout reste comme avant, quand ils étaient tous deux de pauvres habitants du district 11 voués à la misère et à une amitié fidèle. Quand, dans leur malheur, ils s'aimaient et s'en contrefichaient du reste. Maintenant, tout les opposerait. Alexiane serait perpétuellement entourée d'une troupe de conseillers du Capitole responsables de son image et de ses apparitions publiques, tandis que lui, le pauvre travailleur du Onze, se contenteraient de récolter des fruits dans les plantations en pensant à elle. Alexiane était devenue importante. Tous les habitants de Panem connaissaient son nom et son visage.
Lui, Ezea, était resté le même. Il n'avait pas évolué cependant que sa meilleure amie grandissait dans l'arène. Il aurait voulu lui confier ses peurs, son malêtre... Mais il ne faisait rien. Car il ne savait pas comment appréhender ses réactions. C'est comme s'il avait peur de ne plus la reconnaître, qu'elle ne soit plus la même. Pourtant, c'était bien le visage de sa meilleure amie qu'il avait aperçu tout à l'heure, sur l'estrade de la grand-place. Ce visage qu'il avait admiré depuis qu'il était enfant, ces yeux qu'il avait vu un jour se remplir de larmes, ces lèvres qu'il avait regardé sourire plus d'une fois... Ces lèvres que les siennes avaient embrassées. Comme un gage de confiance. Comme une promesse contre les Hunger Games. A ce souvenir, Ezea se sentait presque gêné. Après qu'ils aient échangé ce furtif baiser, en juillet dernier, ils n'avaient pu se parler. S'expliquer. Non, car les pacificateurs avaient obligé Ezea à sortir de l'hôtel de Justice, et il était resté pantois le reste de la journée. Il aurait pourtant voulu parler à Alexiane, la rassurer, l'embrasser encore... A vrai dire, il s'était aperçu qu'il avait longtemps attendu ce baiser sans réellement s'en rendre compte. Et cela avait provoqué en lui un sentiment de manque intense, comme celui qu'il ressentait actuellement. Pourquoi avait-il attendu si longtemps pour agir ? C'était idiot. Il était un idiot.

Ezea attrapa un caillou et le jeta rageusement dans le fleuve. La petite pierre fendit les flots dans un « plop » sonore qui sembla réveiller Reed. Ce dernier émit une nouvelle plainte, qu'Ezea calma en caressant l'animal sur le sommet du crâne. Le chien, apaisé, se coucha dans l'herbe en fixant le jeune homme assis à ses côtés. Ezea sourit et se détourna pour observer le coucher de soleil qui baignait le fleuve d'un nimbe rougeâtre. Tout était calme.
Il songea à rentrer. Oui, mais pour aller où ? L'orphelinat ne lui semblait pas être une bonne solution. Il n'en avait pas envie. Là-bas, tout le monde l'exaspérait. Il aurait peut-être dû prendre son courage à deux mains et partir à la rencontre d'Alexiane, mais il ne savait même pas où elle se trouvait. Peut-être au village des vainqueurs ? Ah oui, car désormais, elle allait habiter là-bas, dans une de ces grandes maisons en périphérie de la ville. Mais Ezea n'allait pas s'y rendre si on ne l'invitait pas. Tout le luxe qui s'y trouvait le déstabilisait. Alors, comme il ne savait pas où aller, il allait peut-être passer la nuit ici, au bord du fleuve, avec Reed. A vrai dire, le froid ne lui faisait pas franchement peur. Et puis s'il mourrait ici, qui allait s'en soucier ?
Mais soudain, le cours de ses pensées se brisa. « Ezea ? » Cette voix. Claire et mélodieuse. Elle ne pouvait appartenir qu'à une personne. Il guida son regard jusqu'à la jeune fille qui venait de l'interpeler, et mit quelques secondes à réaliser que c'était bien Alexiane qui, à quelques mètres de lui, le fixait d'un air troublé. Elle était aussi chimérique que lorsqu'elle avait prononcé son discours le matin-même. Sauf que cette fois-ci, elle ne s'adressait pas aux caméras ; mais bien à lui, Ezea. C'était la meilleure amie qui s'était approchée. Pas la gagnante des Hunger Games.

Il devait réagir. Se contenter de la dévisager, comme ça, sans piper mot, le faisait passer pour un benêt. Mais il ne savait pas quoi faire ou quoi dire. Alors, il se perdit de nouveau dans la contemplation du fleuve. Lui aussi était un peu perdu. « Oh, Alexiane. Je ne pensais pas qu'ils te laisseraient seule aussi vite. » Elle saurait évidemment de qui il parlait. Il figea à nouveau ses prunelles azur dans celles de sa meilleure amie. « Tu viens t'asseoir ? »

Spoiler:

J'adorais le fleuve. Auparavant j'y passais le plus clair de mon temps libre. Avery m'avait appris à nager ici-même, car les eaux n'étaient pas très profondes. C'était un endroit apaisant, agréable et on y rencontrait des visages familiers. C'était tout ce dont j'avais besoin. Me retrouver en compagnie de personnes qui ne m'étaient pas inconnus. Ainsi, je pouvais tenter de reprendre le cours de ma vie. De toute manière, c'était le seul plan prévu. Si je n'étais pas restée au Capitole, ce n'était pas pour vivre isolée dans ma formidable nouvelle maison. Nouveau logement que je trouvais charmant, mais dont je n'allais pas m'habituer si facilement. Si grand, si luxueux, si ... différent de ce que je connaissais. Comment allais-je occuper mes journées ? Je me voyais bien passer mon temps à me rendre au fleuve, à croise des visages familiers, et à y faire un trait sur les Jeux. Il était évident que je n'irais pas travailler dans les vergers. En réalité, cela ne m'aurait pas déplu, mais mon nouveau statut me l'interdisait. Le fleuve m'avait paru être le lien idéal pour me remettre les idées en place. Et, à ma grande surprise, l'endroit était ... désert. Cela m'étonnait, étant donné la popularité de l'endroit. Enfin. Désert, c'était vite dit. Je reconnus immédiatement Ezea. J'aurai pu le reconnaître entre mille. Je fus surprise en découvrant le chien à ses côtés. Depuis quand avait-il un animal de compagnie ? Quoi qu'il en soit, je restais figée durant plusieurs minutes dans son dos.

J'avais hésité à l'aborder. J'étais affreusement gênée. Quelle vision avait-il de moi désormais ? Celle d'une meurtrière ou celle d'une amie ? Probablement un mélange des deux. J'avais conscience que notre relation n'allait plus être la même. Que ce soit à cause des Jeux ou du baiser que nous avions échangé. Nos rapports allaient changer et je n'étais pas sûre de le supporter, ni de le vouloir. En réalité, je craignais que son regard sur moi change. Je suis stupide. Bien-sûr qu'il allait changer. Ma conscience me disait de fuir. Et même si c'était un signe de lâcheté, j'étais tentée de remettre cette rencontre à plus tard. Quand je me serais ... réadaptée. Malheureusement, comme bien trop souvent, je ne maitrisais pas tout à fait mes gestes ni mes paroles, et c'est ainsi que je me retrouvais à l'appeler par son prénom. Et bien, pour la fuite, on repassera. « Oh, Alexiane. Je ne pensais pas qu'ils te laisseraient seule aussi vite. » J'acquiesçai avec un léger sourire. « Moi non plus. » répondis-je simplement. J'avais tant été surveillée durant ces longs mois que j'en avais presque oublié la sensation de solitude. J'avais constamment quelqu'un près de moi, et cela était étouffant. Malgré tout, être libre de mes mouvements me rendaient presque folle. J'avais toujours eu besoin de repères dans la vie. Dès que je perdais ces derniers, je me sentais égarée. Auparavant, mes journées se ressemblaient toutes. Je me levais, j'échangeais quelques mots avec Avery, je partais aux vergers y travailler toute la journée et je rentrais épuisée. Et le lendemain, la routine reprenait. Mais depuis ma victoire, c'était différent. Je n'avais aucun repère, tout changeait bien trop rapidement. « Tu viens t'asseoir ? » Je reportais mon attention sur mon ami. Je me perdais souvent dans mes pensées, et j'en oubliais les autres. Je lui adressai un sourire avant de venir m'asseoir à ses côtés. « Qu'est-ce que j'ai manqué ? » demandai-je soudainement. La vie au district onze était loin d'être palpitante, mais j'étais curieuse de découvrir ce qui avait bien pu se passer durant mon absence. Peut-être que j'avais manqué un événement important ? Je soupirais, face à la débilité de ma question. Mais je ne savais réellement pas comment me comporter. Plus rien ne serait comme avant, je devais m'y faire. « Tu ... tu as regardé les Jeux ? » La question était sortie brutalement d'entre mes lèvres. De toute manière, je savais bien qu'un jour ou l'autre, j'allais poser une telle question. Il était évident qu'il avait visionné les Jeux. Comme s'il avait eu le choix ! En réalité, j'avais besoin de savoir, savoir ce qu'il avait pensé de moi. Je n'avais pas été la même dans les Jeux. J'avais été ... horrible. Inhumaine. Monstrueuse. Je me recroquevillais sur moi-même face à la stupidité de ma question, avant de poser ma tête sur mes genoux, fuyant le regard d'Ezea.

Spoiler:

tomorrow will be kinder

L'eau s'écoulait inlassablement dans le lit du fleuve, à quelques centimètres à peine du jeune homme. Il n'existait qu'un cours d'eau de cette ampleur dans le district Onze, qui irriguait cependant toutes les terres de ses nombreux affluents intrépides. Le fleuve était souvent investi par les enfants, mais aussi par les jeunes couples et les âmes en mal de solitude. Il est vrai que ses eaux calmes et envoûtantes pouvaient être une source d'apaisement, voire d'émerveillement. Ezea, lui, se rendait régulièrement ici. Sans raison précise. Et beaucoup plus fréquemment depuis qu'Alexiane était partie pour les Hunger Games. A cet instant précis, cependant, ce n'était plus pareil. Ladite Alexiane était revenue vivante, et aussi étonnant que cela pût paraître, le jeune homme n'en était pas plus tranquille. Il avait peur qu'elle eût changé, qu'elle le repoussât... Il avait peur de ne plus la reconnaître. Et pourtant, alors qu'il lui jetait un regard interrogateur, le sourire qu'elle lui adressa était le même qu'auparavant. Ses souvenirs ne lui mentaient pas. Il aurait reconnu la manière dont se mouvait la commissure de ses lèvres entre mille. Il voulut sourire à son tour, lui adresser un message de bienvenue... Mais rien ne vint. Il se sentait vide.
Heureusement, elle semblait plus prompte à engager la conversation puisqu'elle vint s'asseoir au côté du garçon. Il la regarda faire sans piper mot, éprouvant un émerveillement gêné assez bizarre. « Qu'est-ce que j'ai manqué ? » fit-elle, simplement. Il prit une grande inspiration en regardant une nuée de moineaux s'échapper d'un cèdre, là-bas, au loin. Ce qu'elle avait manqué. Il ne voulait pas lui répondre du tac-au-tac. Il espérait peser le sens de ses mots, les choisir avec dextérité... Mais pourtant, ce n'est pas comme ça qu'il réagissait auparavant. Alexiane ne l'avait jamais jugé ! Pourquoi devrait-il craindre ou espérer quelque chose d'elle ? C'était idiot. Il décida de lui répondre en mettant ses pensées de côté. « Bof. Quelques flagellations publiques, une petite dizaine de morts... La routine, quoi. » Il esquissa un léger sourire en la regardant de coin. Il ne lui avait pas parlé de tous ces rebelles qui avaient été fusillés, ou du district Treize qui n'était pas qu'une légende urbaine. Ça, il pouvait l'assurer. Trop de personnes lui avaient assuré l'existence de cet endroit et sa volonté de faire tomber le Capitole. Pourquoi ne racontait-il pas tout cela à Alexiane, sa tendre et chère amie ? Après tout, il ne lui avait jamais rien caché... Et puis, une conclusion s'incrusta soudain dans son esprit : il ne savait pas quel comportement la jeune fille adopterait face à cette guerre qui se profilait. Il se maudit presque aussitôt de penser cela. Après tout, Alexiane avait toujours abhorré le Capitole... Et même si elle était sous la surveillance de ces personnes méprisables, elle ne devait sans doute pas adhérer à leur politique...

Alexiane reprit providentiellement la parole, coupant court aux réflexions muettes du jeune homme. « Tu ... tu as regardé les Jeux ? » Il se concentra de nouveau sur son amie. Il devait lui paraître bien peu communicatif, à elle qui l'avait connu dans des moments de bonheur intense... Il fallait qu'il réapprenne à lui faire confiance. Elle n'avait pas tant changé. Il pouvait le voir dans ses prunelles ; c'était son amie. Certes meurtrie par les épreuves, mais toujours la même... « Ce n'est pas comme si on nous laissait le choix... » Le sourire qu'il arborait s'élargit cependant qu'il regardait à nouveau Alexiane. Une autre chose n'avait pas changé : elle était toujours aussi jolie. Il regarda ses pieds en poursuivant, un peu maladroit. « Alors ouais, je t'ai vue. D'ailleurs, tu t'es bien battue, je suis fier de toi... » Sa voix se brisa un instant alors qu'il relevait les yeux. Il n'aurait pas dû lui dire ça de cette manière... C'est comme s'il imposait de la distance entre eux, et ce n'est pas ce qu'il désirait. « ...Excuse-moi. Je suis débile. Désolé. Je devrais te consoler, ou je sais pas, mais.. Non, je reste planté là. » Il soupira longuement en caressant distraitement le poil court de Reed*, réflexe visant à la détente. Il devait paraître bien idiot, tout de même.

Spoiler:

Un fossé s'était creusé entre nous. Cela me tuait de l'admettre, mais je devais ouvrir les yeux. C'était ainsi, désormais. Je n'étais plus cette fille qu'ils avaient tous connus, cette gamine aux idées folles et un sourire constant. J'étais devenue cette meurtrière, façonnée à l'image du Capitole et utilisée comme une marionnette bien docile. Je m'étais bercée d'illusions. J'avais imaginé que le retour se passerait bien. Qu'on me pardonnerait mes erreurs. Des erreurs. Comme si tuer des gamins étaient considérés comme une simple erreur. J'imaginais que tout redeviendrait comme avant, que je resterais cette gamine des vergers dans l'esprit des gens, et qu'ils ne se laisseraient pas influencés par le visionnage des Jeux. J'avais tort. Mais cela me rassurait. Cela me rassurait de constater que je pouvais être naïve et croire en la bonté de l'homme après les événements vécus dans l'arène. Un fossé s'était creusé entre moi et la plupart du district onze. Avery, Kamaria, Amanda et ... Ezea. Et c'était probablement le pire. Je n'arrivais pas à me confier à mon frère, ni à Kamaria et Amanda qui étaient trop jeunes. Ezea représentait ma dernière chance de m'apaiser.

C'était difficile de faire comme si rien n'avait changé. J'essayais de m'en convaincre, mais cela ne marchait pas. Dès qu'un silence se faisait pesant, je paniquais. Alors j'essayais d'entamer la conversation. Ma question était stupide. Comme si j'avais pu manquer des événements importants au sein du district onze. Comme si nous étions habitués à célébrer plus de mariages et de naissances que de décès et de coups de fouets. « Bof. Quelques flagellations publiques, une petite dizaine de morts... La routine, quoi. » Rien de surprenant, en somme. La routine. C'est presque drôle, dit ainsi. Ma routine des dernières semaines avaient consistées à choisir parmi de magnifiques tissus, à diner avec les plus importants citoyens du Capitole, et de profiter de ma nouvelle richesse. Dur retour à la réalité. « Les Pacificateurs sont de plus en plus charmants. » J'étais bien contente de ne jamais être tombée sur l'un d'entre eux jusqu'à ce jour.

Deuxième question stupide, à croire que je désirais qu'il s'éloigne de moi plus qu'il ne le faisait déjà. « Ce n'est pas comme si on nous laissait le choix... » C'était vrai. Je l'avais presque oublié, tant au Capitole c'était un plaisir et non une obligation. En temps normal, le visionnage des Jeux ne m'avait jamais dérangé jeune. Je trouvais cela inhumain, mais je ne connaissais pas forcément les tributs qui y étaient envoyés. Jusqu'à ce qu'Elizabeth soit tirée au sort. « Alors ouais, je t'ai vue. D'ailleurs, tu t'es bien battue, je suis fier de toi... » J'esquissai un sourire. J'avais été effrayée à l'idée que son opinion sur moi change suite aux Jeux, mais à vrai dire, ses paroles avaient un effet réconfortant. Il avait été fier de moi. Et pas fier parce que j'avais tué une demi-douzaine d'adolescents. Mais bel et bien parce que je m'étais battue pour ma survie. Et que c'était bien ce que la majorité des gens ne parvenaient pas à comprendre. « ...Excuse-moi. Je suis débile. Désolé. Je devrais te consoler, ou je sais pas, mais.. Non, je reste planté là. » C'était encore un signe que quelque chose avait changé entre nous. Et je n'étais pas persuadée que cela était uniquement la faute des Jeux. Non, il y avait autre chose. Et je savais quoi. Malgré tout, je n'osais pas en parler. Peut-être parce que ce baiser m'avait perturbée ? Que je préférais ignorer ce moment qui pourrait briser notre amitié ? À vrai dire, elle commençait déjà à tomber en ruine. « C'est pas grave. Je ne compte pas me suicider, alors ça devrait aller. » déclarai-je avec un léger sourire. Un silence s'installait à nouveau, me rendant mal-à-l'aise. Il fallait crever l'abcès, une fois pour toute. Malheureusement, je n'étais pas spécialement douée pour commencer les conversations délicates. « Ezea ... Cette distance ... » Je respirais un grand coup et baissait la tête, fuyant son regard. C'était lâche, j'en avais conscience, mais j'étais lâche à ce moment-là. « Est-elle due aux Jeux ou à ce qu'il s'est passé lors des adieux ? »

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