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◮ il y a 21 ans.
Avery me tournait le dos. Sa fine carrure de gamin était reflétée par une ombre éléphantesque sur le mur de briques, furtivement éclairé par les douces flammes qui émanaient de la cheminée. Je le fixais avec intention. Ce gosse m’avait toujours surpris. Alors que tous les enfants de son âge dormaient à cette heure tardive et sombre, lui s’occupait à veiller à ce que le feu ne meurt pas afin que sa petite sœur ne soit pas frigorifiée. J’étais vraisemblablement de mon rejeton, de mon Avery à moi. Aussi fou que cela puisse paraître, mon fils s’était découvert être mon portrait craché ; aussi bien sur le plan physique que moral. Nous nous ressemblions réellement et rare étaient les pères qui partageaient une aussi tendre complicité avec leurs fils que moi. Nos avis se concordaient malgré son jeune âge, discuter ne nous était pas nécessaire ; un simple regard était suffisant pour échanger un avis, un conseil, ou quelque chose de similaire.

J’avais tout perdu en l’espace de quelques semaines mais mes deux derniers enfants restaient la raison pour laquelle je me devais d’effectuer un combat perpétuel contre le destin. Je fis claquer mes coudes sur le bois moisi de la table disposée dans la cuisine, toute aussi miteuse. Je nichai alors mon visage dans mes deux mains, quittant des yeux mon fils. La force. Il me fallait plus de force pour survivre, pour faire survivre mes enfants, mon foyer. Ma première fille venait de périr dans ces satanés jeux de la faim. Oh que je détestais le capitole. Il avait tué ma fille, ma petite Elizabeth. Elle me manquait tant. Si j’avais la certitude que la vie après la mort existait réellement, je n’hésiterais pas à commettre l’irréparable en endormant à jamais mes enfants et moi-même à l’aide d’un poison, crée à partir de plantes venimeuses. Je voulais et devais la retrouver, mais je savais très bien que ce rêve était totalement et irrévocablement une utopie. Je ne pus m’empêcher d’outrager le capitole.

Avery se retourna alors, alarmé par ses médisances austères. D’un visage inexpressif, d’un regard impassible et d’un mouvement de lèvre flegmatique, il vint me dévisager longuement, comme il avait l’impétueuse habitude de le faire. Ce mioche était si énigmatique. Il s’approcha d’une démarche lourde et s’écrasa sur la chaise en face de moi. Nos regards se percutèrent une énième fois. Je compris alors qu’il souffrait, lui aussi, mais qu’il fallait être fort et brave pour veiller sur Alexiane. Ma main serra la sienne, faiblement, chétivement, comme pour lui assurer que j’allais faire de mon mieux, comme à chaque fois.

Cela faisait plus d’un mois qu’Elizabeth avait inopportunément quitté la surface de la terre. Elle avait le sourire de sa mère, et tout comme elle, elle aimait chanter et rire malgré la vulnérabilité qui l’habitait. Jeune et téméraire, elle était follement et épurement tombée amoureuse d’un ancien gagnant des Hunger Games ; lui avait eu la chance de s’en être sorti, vaillant, brave mais sensible comme je l’étais ; et elle avait décidé de quitter notre district pour rejoindre celui de son amant et vivre une vie plus luxueuse, moins affectée par le destin. Et ce fut quelques semaines avant de fêter son dix-neuvième anniversaire qu’elle fut tirée au sort pour se livrer à ce putain de jeu barbare et cruel. Je ne pouvais voir la réalité, je ne pouvais accepter son décès. Non, pas ma fille, pas ma belle Elizabeth.

◮ il y a 18 ans.
J’étais admiratif envers mon fils, si admiratif que je m’adressais à lui tel que je m’adressais à un adulte. Il avait une aisance inouïe à assimiler des compétences, à comprendre les choses et à les appliquer. Il n’avait que huit ans et d’une force herculéenne, munis d’une pelle, il déterrait des tas et des tas de terres pour nos plantations de tomates. Les récoltes étaient certes faibles, rares étaient les marchands, mais ça nous permettait tout de même de prolonger nos vies et de ne pas mourir, bouffé par la famine. Sa frimousse et son air inébranlable me fit doucement rire du nez, recouvert de terre, il ressemblait plus à un bohémien qu’au p’tit agriculteur qu’il était. Alexiane était assise sur un tronc d’arbre cisaillé. Elle s’amusait à faire balancer ses fines jambes crayeuses tout en chantonnant un air que lui chantait mon épouse quand elle était encore vivante, enfin à vrai dire, personne ne savait réellement si leur mère était décédée ou pas. Elle s’était éclipsée, tel un rayon de soleil, dans les bois sombres et effroyables pour ne jamais y ressortir. Certains clamaient qu’elle s’était faire dévorer par les loups, Avery lui, préférait penser qu’elle les avait abandonnés, qu’elle avait opté de quitter ce putain de monde qui nous était imposé. À vrai dire, j’avais finis par le croire. Il était si persuasif et, je préférais m’éloigner de l’idée qu’elle est périe. Elle nous avait quittées une année avant Elizabeth. Autant dire qu’elle me manque tout autant, et que Avery en souffrait bien qu’il tut sa souffrance comme nous le faisions tous, nous membres de la famille Hawthorne.

Je souris alors, amusé, par le jeu que s’étaient lancés mes deux derniers enfants qui se chamaillaient en se jetant des poignées de terres. Je jetai alors ma pioche sur le côté avant de soulever et de serrer ma petite Alex contre moi pendant qu’Avery la chatouillait. Malgré les malheurs de la vie, on restait soudés. Nos rires se perdirent dans le vent, comme nos âmes le faisaient au fil du temps.

◮ il y a 15 ans.
Avery était plus valeureux que jamais. Il rentrait tard le soir, puisqu’il consacrait son temps à m’aider à maintenir nos plantations. On bossait dur, mais on tenait bon. Avery restait quelqu’un de silencieux, qui ne pouvait qualifier par des paroles ses pensées ou ses envies. Il était discret et réfléchi, tout comme moi. Il supposait longuement à chacun des actes qu’il commettait hormis lorsqu’il s’agissait de protéger sa sœur qu’il chérissait tant et de moi-même. Il n’avait pas beaucoup d’amis, voire pas du tout. Seul le maintien de sa famille comptait. Je n’avais jamais été aussi fière de quelqu’un. Il était mon fils, Avery Hawthorne, et c’était un fabuleux garçon.

Cependant, l’hiver était rude. Les légumes qu’on faisait pousser gelaient pour la plupart et le peu de réserves qu’il restait ne se vendaient pas. Les pacificateurs veillaient formellement à ce que chaque agriculteur veille bien à ne pas se servir dans leurs propres parties de terres. En effet, le potager était réservé pour le Capitole mais aussi pour les plus riches qui pouvaient se permettre de nous acheter des légumes. En cette période, les revenus étaient vraisemblablement faibles. Je ne rapportais que des misères à la maison et une simple miche de pain rassie faisait notre repas pour trois jours d’affilés. Alexiane maigrissait au fil des jours, son fin visage criait à la famine. Avery et moi redoublions d’effort, tentons de doubler nos heures de travails et le nombre de plantations. Mon fils se permettait même de sécher ses cours d’école pour travailler au champ et je ne pouvais le réprimander, il ne chercher qu’à m’aider et à nourrir sa sœur.

Les jours passaient. Nous n’avions que de l’eau pour survivre à cet hiver. Les nombreuses intempéries avaient engendré l’apparition de cavités dans les murs de la maison, ou du moins la cabane. Alexiane se serrait à moi, frigorifiée, affamée tandis qu’Avery n’était pas rentré cette nuit-là. Ma pauvre enfant était recouverte de plusieurs de mes vêtements mais rien ne lui servait à lutter contre cet hiver des plus hargneux.

La porte du hall d’entrée s'ouvrit brusquement pour laisser entrevoir la silhouette déjà musclée de Avery. Il était tard, trop tard pour qu’un enfant de son âge puisse sortir. Cependant, je ne lui dis rien, à quoi engueuler ce gosse ? Il avait le droit à sa liberté. Je ne lui posais pas la question qui me turlupinait. Qui pouvait-il aller voir à cette heure-ci ? Où ? Pourquoi ?
Il s’avança de nous deux et caressa le visage de sa sœur de ses longs doigts fins et maladifs. Il déposa un long et tendre baiser sur son front avant de sortir de son long manteau noir des tomates, rondes et d’un rouge flamboyant. Je le regardai abasourdi et il planta bestialement son regard dans le miens. Il m’en voulait, je l’avais compris. Il m’en voulait car je n’étais pas à la hauteur de ses espérances, je n’étais pas en capacité de nourrir ma famille et il avait opté de le faire ; en volant. Oui, au fil de jours, les bourgeois du district onze se plaignaient de la disparition de certains aliments, aliment qu’on retrouvait secrètement dans nos casseroles quelques fois. Avery volait pour la survie de sa sœur, et moi, je restais passif. Inapte à répondre à ce geste brave et fourbe malgré tout.

Ces regards me hantaient. Ils signifiaient que j’étais faible, qu’il me haïssait et qu’il n’acceptait pas le fait que ce soit à lui de prendre la place de l’homme de la famille alors que j’étais encore là. Je ne pouvais continuer comme ceci, je devais moi aussi trouver une solution pour résoudre ce souci de famine qui hantait mon foyer.

Ce fut lors d’une nuit sombre et obscure que je m’éclipsai, tel une ombre furtive, pour rejoindre les champs agricoles des paysans de notre district. Munit d’un sac en toile rouillée par la poussière, je réussis à me servir de quelques légumes lorsqu’il me surprit, lui, cette homme, ce psychopathe, ce pacificateur.

Mon cadavre fut retrouvé le lendemain sur un sentier dans la forêt mystérieuse, tel l’était ma mort. Les gardiens de la paix déclarèrent que j’avais été tabassé, massacré et non pas par un animal féroce mais bien par un humain, naturellement, personne ne découvrit l’identité de mon assassin et le fait de savoir que mes deux enfants étaient dans la capacité de le croiser sans se soucier qu’il m’avait retiré la vie me bouffait littéralement de l’intérieur.
J’en attendais énormément de la part d’Avery. Il devait s’occuper de sa petite sœur, elle n’avait plus que lui. Il devait la nourrir, travailler aux champs, maintenir la réserve et persévérer ; encore et encore.

◮ il y a 10 ans.
Avery abandonna sèchement l’école. Il ne voyait plus d’intérêt à apprendre l’histoire et l’historique de ce putain de Capitole qui avait retiré la vie à sa mère, sa sœur et moi-même. À vrai dire, le peu de personnes qui avait connaissance de l’existence de mon fils doutait du chagrin du garçon. En réalité, l’accablement et la peine l’avait côtoyaient tout au long de sa vie, aussi uniforme qu’elle était.

La tâche qui lui était imposé, la lourde tâche de s’occuper d’une enfant, de la nourrir, de rendre son avenir certain, était vraisemblablement plus difficile que ce qu’il pensait. Il s’enquiquinait à être hyper-protecteur envers sa petite sœur. Un prof qui oser la réprimander ? Il n’hésitait pas à aller le voir à son tour et le menacer de toutes les façons possibles et imaginables.

Mon fils était un type bien qui n’hésitait simplement pas à enfreindre les lois. Et pour preuve, il n’avait plus cessé son activité de voleur. Il en vivait quelques fois. Des plaintes se multipliaient dans le village, les riches du district onze se faisaient cambrioler à tout moment de la journée. Personne ne savait qu’en réalité cet escroc était Avery et personne ne le soupçonnait.

Casper, tous appelèrent ce mystérieux cambrioleur Casper. Une véritable chasse à l’homme s’offrait chez les pacificateurs pour coffrer ce fourbe voleur.

Ce dernier n’hésitait pas à distribuer le superflu de nourriture qu’il avait dérobé aux plus démunis, un vrai robin des bois des temps modernes. Mon fils à moi était un véritable héros et bon sang, oui, j'en étais fière.

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◮ il y a un an.

◮ de nos jours.