Jaqen D. Callaghan ∞ P. Aileen Lionheart

L’acte d’amour le plus parfait est le sacrifice, cacher ses sentiments pour pouvoir être bon ami. Je t’aime et je crois que je t’aime depuis que nos regards se sont croisés mais si ce que tu veux c’est que je te laisse tomber alors je vais le faire. ✗

« Au temple, il y a un poème intitulé « la perte », gravé dans la pierre. Il tient en trois mots que le poète a rayé. On ne peut pas dire la perte, on ne peut que la ressentir » Je ne sais pas depuis combien de temps je suis assise ici, dans le reste de verdure que la neige n'a pas encore emporté, à regarder les sépultures de mon frère et de ma mère. Je me souviens du visage de Deklan pendant qu'il agonisait dans son sang, de la peur dans ses yeux, des larmes perlant sur ses joues.. De son dernier souffle durant lequel il a prononcé mon nom et de la rage que j'ai ressenti en voyant cet horrible spectacle qui sert soit disant de distraction. Je me souviens aussi, des mains de ma mère agrippant mon maillot pendant que je me blottissais contre elle, de son souffle qui devenait de moins en moins audible, du bruit de sa main se posant sur le vieux parquet de la maison, de la pâleur et de la froideur de sa peau quand mes lèvres se posèrent contre son front. Je me souviens de chaque détail, de chaque sentiment, de chaque bruit. Je me souviens de tout comme-ci c'était hier, alors que plusieurs années me séparent de ces horribles scènes.

Je lève les yeux au ciel. Celui-ci s'assombrit de plus en plus ; le dégradé de tons orangés et rosés laisse place à un voile bleu marine peaufiné d'étoiles. Je pose mes mains sur les tombes de mes proches disparus avant de me lever pour rejoindre ma maison. Les pacificateurs n'aiment pas que quelqu'un soit dehors durant la nuit alors je m'évite des problèmes en respectant les règles. Règles qui me répugnent à chaque crépuscule, que ce soit quand je me couche ou quand je me lève. Mes journées se répètent presque, je me sens prisonnière d'un cercle vicieux.
La maison est silencieuse, sombre et vide. Plus d'éclats de rire, de joie, d'étreintes quand je passe la porte. C'est un supplice de rester ici mais je préfère encore vivre avec des souvenirs qui me détruisent à petit feu plutôt que de me retrouver dehors en plein Hiver et mourir pendant mon sommeil. J'attrape quelques provisions ; du pain sec et quelques fruits écrasés. Je n'ai pas eu le temps de chasser un animal et mon estomac se contentera de ça, comme il en a l'habitude depuis mon enfance. Alors que je m'apprête à détruire mes dents en mangeant un pain semblable à du béton, j'entends quelqu'un frapper rapidement à ma porte. Je me lève et me hâte vers celle-ci avant de l'ouvrir tout en étant sur mes gardes au cas où ce serait un pacificateur. « Salut Aileen. » Je l'attrape en vitesse et l'attire chez moi avant de regarder dehors pour m'assurer que personne ne soit derrière elle ; rôder dans les ruelles la nuit est synonyme de problèmes, les pacificateurs deviennent bien plus cruels qu'avant. « Doucement ! T'en fait pas je me suis fait discrète... » « June, mais t'es cinglée de te pointer ici à une heure pareille, tu sais ce que tu risque à ramener ton cul ici ?! » « Hey, si j'avais pas un truc important à te dire je serais pas venue, ok ? » Je la vois ouvrir une poche de son manteau et sortir un petit bout de papier. Je fronce les sourcils tout en me demandant ce qu'il y a d'écrit dessus. Elle me le tends, un grand sourire aux lèvres. Je m'attends à ce que ce ne soit qu'une broutille, un mot écrit par un habitant pour me remonter le moral la veille de l’anniversaire de la mort de ma mère. Mais en découvrant le vrai contenu de ce papier, je m'assoie et pose ma main contre mon front ; je dois me rendre au district 13 pour recevoir un important message. Et je dois m'y rendre demain, avant que le soleil ne se lève sur Panem pour que personne ne me repère. « Je t'ai cherchée partout aujourd'hui pour te le dire mais je ne t'ai pas trouvé. T'étais où ? » « J'étais.. Quelque part. Rentre chez toi, avant que ces chiens ne passent dans les ruelles. » Elle me regarde, désolée en comprenant pourquoi je refuse de lui dire où j'ai passé ma journée et se dépêche de sortir. Je ferme la porte et colle mon dos contre elle. Cela fait plusieurs mois que je ne suis pas retournée au 13, que je n'ai pas vu Noa, Lily et d'autres de mes amis partis se réfugier secrètement dans les sous-sols d'un District parti en fumé par ordre du Capitol. La route qui relie le douze et le treize est calme et inoccupée par les Pacificateurs qui ignorent l'existence de la renaissance de ce district. Mais même si je ne devrais avoir aucun problème à y parvenir, j'ai tout de même la crainte de faillir à ma mission.
Je scrute le morceau de pain que j'ai abandonné sur la table et grimace. Je n'ai plus d'appétit, juste envie de m'imaginer où je vais passer et comment, quelles affaires je vais prendre pour ce voyage et surtout, si je vais être seule ou avec un autre rebelle prévenu tardivement lui aussi. Tant de questions qui me parcourent l'esprit et qui me font partir m'allonger dans le lit sans manger, juste pour réfléchir dans le noir complet. Demain, la journée sera longue.

***

« Le voyage s'allonge et par moment il semble qu'il ne prendra fin qu'avec la vie ; on se sent une chose passive emportée sans pouvoir... » 4h00 du matin. Je ne reconnais plus la fille que je vois dans le miroir. Ses yeux sont froids, ses lèvres sont fixes, sa peau est pâle, son visage est fermé. La fillette qui passait son temps à s'amuser s'est transformée en une statue de pierre. Elle ne ressens plus rien à part de la haine, de la rancune, de la tristesse. J'aurais aimé que tout se passe différemment et que cette fille dans le miroir ce ne soit pas moi.
Je détourne le regard et attrape le sac posé contre le mur pour le mettre dans mon dos. Il contient quelques provisions au cas où mon ventre me ferait regretter le manque de nourriture hier soir et également quelques babioles qui pourraient peut-être être utiles. Je m'assure d'être assez bien équipée pour lutter contre le froid et contre les heures de marche qui m'attendent.  Je me contrains à voyager seule puisque personne ne m'a signalé qu'il voyagerait à mes côtés par le biais d'un message ou d'une visite quelque peu.. Matinale. Mais parfois, comme le dit si bien le dicton ; Mieux vaut être seul que mal accompagné. Je camoufle mon visage à l'aide d'une écharpe et d'une capuche pour que mon taux de discrétion atteigne un seuil presque maximal. J'ouvre délicatement la porte et la referme de la même façon en regardant autour de moi. A cette heure-ci les pacificateurs dorment encore à point fermés alors qu'ils devraient s'assurer que personne ne s'échappe, comme moi. Je longe les murs, passe dans les coins les moins éclairés par l'astre lunaire. Mon cœur s'emballe et je respire silencieusement ; tant que je ne serais pas rentrée chez moi avec ce message, la peur prendra possession de mon corps. Mais je n'ai pas le droit de reculer, je me suis engagée chez les Rebelles, en sachant que parfois ma vie serait mise en danger pour eux et je n'ai pas le droit d'avoir peur... Jamais.
Je passe en dessous du modique grillage qui nous sépare d'une certaine liberté et pars le plus rapidement et discrètement possible loin de celui-ci. Je porte mes mains vers mes lèvres et souffle doucement pour les réchauffer ; je n'ai pas pris de gants, après tout si je dois manier une arme pour me défendre mieux vaut ne pas en porter. J'essaye de me repérer dans cette immense forêt mais le faire durant la nuit n'est pas chose aisée. Partir la journée aurait été plus judicieux pour mon sens de l'orientation mais bien moins pour ma sécurité. Les minutes passent et mes yeux scrutent le moindre détail de la forêt. Ma main est sagement posé contre ma cuisse, où repose sagement un couteau prêt à sortir de sa cachette à tout moment.
Je me rapproche de plus en plus du district 13; une odeur désagréable émane encore de celui-ci, témoin de la violence de sa destruction. Je m'inquiète presque de ne pas encore avoir croisé la route d'un autre Rebelle en charge de défendre les alentours du district et ma démarche se fait alors de plus en plus lente. Alors que je jette un rapide coup d’œil en direction du ciel pour me repérer sur l'heure, j'entends un craquement de branche juste derrière moi. Ce bruit me glace le sang, m'immobilise presque et je prends lentement mon couteau pour pouvoir m'en servir. Je regarde autour de moi à la recherche de chaque mouvement et alors que mon regard s'arrête sur des traces de pas, je sens une pression autour de mon cou. Elle se fait de plus en plus intense et je peine à respirer correctement. J'attrape mon couteau et le plante dans la jambe de mon agresseur avant de tomber à terre et de me mettre à tousser. J'essaye de retrouver une respiration quasi-normale et je lève les yeux pour découvrir le visage de l'homme qui visiblement n'est pas prêt à me laisser la vie sauve. Je le vois se ruer vers moi, les mains tâchées par son sang et je tente de me lever en vain avant qu'il ne m'atteigne... Il m'attrape et me crache en plein visage en m'avouant la haine qu'il porte aux rebelles. J'essaye de lui planter une deuxième fois mon couteau dans le torse cette fois-ci mais je sens sa main qui me tord le poignet et je ne peut m'empêcher d'hurler à cause de la douleur que son geste me procure. Je suis seule, face à un géant et je sens déjà l'odeur de ma défaite et de ma mort. Mes pieds quittent peu à peu le sol ; il me soulève et m'envoi dans l'arbre qui se trouvait juste derrière moi. Ma tête heurte violemment le tronc et je sens une intense douleur me parvenir au crâne. Je touche l'endroit de l'impact, avant de découvrir que du sang me glisse entre les doigts. J'essaye de me calmer mais je ne peut m'empêcher de paniquer. Je sens mon heure qui arrive à grands pas et je n'ai plus la force de me défendre. J'ai seulement envie de rester appuyée contre cet arbre, en pensant à ma famille. En me disant que bientôt je serais parmi eux... Bientôt..