naya siska ducani-hayne

❝ I'LL CUT YOUR LITTLE HEART OUT 'CAUSE YOU MADE ME CRY ❞

about games and relative.

➺ POUR QUI/QUOI POURRAIS-TU MOURIR ?

Siska possède une vision globale de la situation actuelle de Panem. Si son travail consiste à s'attacher aux détails, elle considère pourtant chaque individu comme un simple pion sur le grand échiquier de l'Histoire. Chaque mort n'est qu'un dommage collatéral, la sienne y compris, si elle sert la rébellion et la mise en place d'un ordre plus juste. Elle met ainsi très peu de valeur dans sa vie dans le contexte actuel : tout ce qui s'étend sous ses yeux gris n'est que misère, injustice, douleur, haine, manipulation... Son existence entière est un mensonge. Pour autant, elle n'est pas suicidaire et tient à la vie. Malgré elle, elle garde cet espoir qu'un jour, à la fin, elle pourra peut-être apercevoir le bonheur - le sien ou celui d'autrui, des générations futures. Elle serait donc prête à sacrifier sa vie sans sourciller s'il s'avérait que cela était nécéssaire, mais elle considère pour l'instant être bien plus utile vivante.

➺ QUEL(S) PETIT(S) PLUS T'AIDE(NT) DANS LA VIE (OU LES JEUX) ?

Dans la position de Siska, son atout principal est sa capacité à mentir comme personne. Comme une seconde nature, une peau qui lui colle parfois malgré elle, elle ment mieux qu'elle respire, mieux qu'elle n'avale sa salive, mieux qu'elle ne dort. Elle ment en dormant, en pleurant, en souriant, en s'habillant le matin. Tout en elle est faux, au point qu'elle ne sache plus vraiment qui elle est, au point de ne plus savoir que son but : la rébellion. Son visage d'ange, son apparence de femme de bonne condition, bien élevée, ainsi que sa discrétion sont ses outils dans ce jeu morbide. Cependant, si elle avait été tirée au sort pour les Jeux durant son adolescence, elle serait probablement morte parmi les premiers. Elle n'aurait pas supporté de devoir tuer quiconque ni de voir des enfants s'entre-tuer dans la peur.

➺ APPRÉCIES-TU LE VISIONNAGE DES JEUX ?

Chaque année, la télé est allumée en permanence lors des Jeux de la Faim dans la maison où vit Siska. Celle de ses parents, comme celle des Ducani-Hayne. Elle n'en manque presque aucune image, le sourire aux lèvres, étouffant un petit rire quand un être faible se fait tuer par un Carrière, commentant des jours durant les tenues des Tributs sur leurs chars, choisissant son petit préféré, pariant parfois. Grande fan des Jeux, c'est ce que vous dirait tous ceux qui la connaissent. Chacun de ces sourires lui arrache une larme le soir venu, l'esthétique des costumes de la Parade s'efface quand elle voit les corps s'effondrer dans le sang, la peur qui crispe les visages de ces innocents. Pire encore : la joie de ses supposés amis lorsqu'ils regardent le massacre télévisé. Un jeu, voila ce que c'est pour eux. Un acte barbare, voila ce qu'elle y voit.

QUE PENSES-TU DE LA REVOLTE ET DES REBELLES ? CROIS-TU A LEUR EXISTENCE ?

Siska a voué son existence à la révolte. Son rôle est de transmettre un maximum d'informations aux rebelles. Au départ, elle le faisait via ses parents, faisant mine de s'intéresser à leur travail, allant parfois jusqu'à fouiller leurs affaires s'il n'y avait aucun risque. Désormais, elle est la secrétaire d'un haut-placé dans l'administration du Deux. De ce fait elle a accès à des informations sur la formation et les techniques des Pacificateurs, à certains messages provenant directement du Capitole, aux mouvements des corps guerriers du gouvernement. Autrement dit, si elle a d'abord eut du mal à y croire, Siska sait qu'ils existent et embrasse leur cause corps et âme.

➺ AS-TU PRIS PART AUX DERNIERS EVENEMENTS, QUE CE SOIT POUR OU CONTRE LE CAPITOLE ?

Malgré son âme révolutionnaire, Siska n'est pas un soldat. Elle a été élevée dans une famille aisée, et n'a jamais connu que cela. Elle ne sait rien de l'éprouvant travail physique du soldat. Ainsi, lors des révoltes qui ont soulevé les districts, elle n'a pas pris part aux combats, d'un côté comme de l'autre. Cependant, elle s'est débrouillé pour avertir les rebelles aussi vite qu'elle le pouvait des déplacements de son mari dont elle avait connaissance, et leur fournir autant de provisions qu'ils en avaient besoin.

➺ COMMENT QUALIFIERAIS-TU TA VIE DANS TON DISTRICT ? EN ES-TU SATISFAIT ?

Riche. Siska a honte de tout l'argent qu'elle possède, de l'opulence qui caractérise son logis, de la qualité et de l'abondance des mets qui couvrent sa table à chaque repas, de la douceur des draps, du contact du satin contre sa peau. Pourtant, elle se laisse aller à la coquetterie, collectionnant les chaussures et les boucles d'oreilles, portant attention à son apparence presqu'autant qu'une capitolienne le ferait. Son idéologie profonde se révolte face à l'injustive du monde, mais elle a malgré elle été élevée dans une famille aisée et en a pris les habitudes. Elle ne saurait pas vivre dans les souterrains du Treize. Elle apprécie malgré elle son confort, ses plaisirs futiles, sa tranquillité.

➺ CROIS-TU AU BONHEUR ?

A celui des autres, oui. Siska se bat pour cela. Au sien, non. Elle a honte d'elle-même, se dégoute. Elle croit fermement que le jour où son rêve idéologique se réalisera, elle ne pourra pas s'adapter aux nouvelles conditions de vie. Elle est trop habituée à son confort, à ses richesses, à son logis luxueux. D'ailleurs, les récents événements l'ont prouvé selon elle : en effet, au summum de la révolte, elle a été incapable de risquer sa couverture pour rejoindre les combats. Ce qui lui permet d'être encore là à l'heure qu'il est, cachée.

JE VIENS D'UN MILIEU favorisé, AINSI, POUR MOI, LA NOURRITURE est abondante. DU COUP, MON NOM A peu de CHANCES/RISQUES D'ÊTRE TIRE AU SORT. J'EXERCE LE MÉTIER DE secrétaire dans la haute administration ET POUR TOUT VOUS DIRE, J'aime ça. JE SUIS DANS LE 2ÈME DISTRICT. AYANT 27 ans JE ne peux plus PARTICIPER AUX HUNGER GAMES ET j'en suis soulagée. ENFIN, J'ATTESTE QU'EN CRÉANT CE PERSONNAGE, J'ACCEPTE DE LE LIVRER À LA BARBARIE DES JEUX S'IL EST TIRÉ AU SORT.

tell us your story.

Madame Emilia Severine Boldstone accouche seule de son troisième enfant, accompagnée seulement du personnel médical le plus qualifié du District Deux, dans une chambre carrée et uniformément blanche. Le seul ornement, au mur, est un écran de télévision plat, d'une diagonale de deux mètres cinquante. Les Jeux de la Faim, quarante-neuvième édition, y sont projetés, et les yeux de chaque individu dans la pièce ne cessent d'y revenir, même ceux de la mère. Il s'agit de sa troisième grossesse et elle n'a jamais eu de problème à mettre au monde ses bambins, aussi pousse-t-elle sous les conseils de la sage-femme sans réellement y réfléchir. Elle sent le petit être venir à la vie et les Jeux quittent son esprit un moment. Une toute petite fille aux grands yeux bleus océans, au crane rose duveteux, à la voix suraiguë, au sourire naturel. La mère répond à ce signe de joie du bébé et le prend dans ses bras. « Bienvenue à Panem, Naya Siska Boldstone. » Un large sourire étire les lèvres de l'équipe médicale tandis qu'Emilia observe avec émerveillement cet enfant. A chaque fois, la même surprise, le même étonnement. Chacun avait une personnalité propre, forte, dès la naissance, et leur mère fait leur connaissance la première. Un privilège. Naya émet encore un petit cri, quelques larmes dégoulinent sur ses joues, les médecins se précipitent pour l'emmener au bain. « Il faut vous reposer, Madame. On vous la rapporte dès qu'elle est toute belle, ce qui ne devrait pas prendre plus de vingt minutes » expxlique une infirmière en consultant l'horloge. Reconnaissante, la femme lui sourit, hoche la tête, et laisse son corps s'enfoncer dans le matelas blanc. Machinalement, sa tête pivote jusqu'au mur de la télé, et elle voit une enfant de treize ans, provenant d'un district lointain, se faire trancher la tête sauvagement par le Carrière du Deux. Un sourire tordu étire ses lèvres. Elle a parié sur lui.

Tic. L'aiguille des minutes a avancé. Siska porte à sa bouche la cuillerée de potage. Les saveurs explosent sous son palais. Une note d'acidité là où elle aime. Le goût métallique de la cuiller d'argent lui arrache une grimace. Son père raconte elle-ne-sait-quoi à propos du Président Snow. Sa mère boit ses paroles avec un sourire niais. Son grand frère observe avec respect son père. Il veut devenir comme lui, plus tard : avoir un poste élevé dans l'administration du Deux, et connaître des détails de la vie au Capitol, les derniers ragots sur le Président... Sa grande sœur n'écoute que d'une oreille, comme elle. Elle joue avec sa fourchette, la plante et la replante sans cesse dans son morceau de viande. Les deux sœurs mangent peu depuis leur enfance. Tac. Cela ne les rend pas semblables pour autant. Elles sont symétriquement opposées à vrai dire, ne s'entendent pas ensemble, ne se parlent que quand il le faut vraiment. Leurs regards se croisent, Siska reprend une cuiller de soupe. Elle cligne des yeux. Ceux de sa sœur sont repartis, ils vagabondent dans son imagination fertile. Les cuillers raclent les bols, on ne laisse pas une goutte de l'excellent potage, recette du Capitole, les ingrédients les plus chers que l'on trouve dans le district ont servi à cette réalisation. Siska regarde sa mère, son père, son frère, ses pupilles s'attardent sur sa sœur, un morceau de pain atterit dans sa poche. Tic. Une goutte rouge s'échappe des lèvres de Monsieur Boldstone alors qu'il rit aux éclats. Anecdote humoristique sur la tournée du Vainqueur qui a eut lieu il y a quelques semaines. Madame Boldstone rit avec lui, comme elle peut : elle n'a pas compris. Elle se lève, trébuche. Tac. Débarasse. Tic. « Maman, je peux sortir ? » « Pour aller où, ma chérie ? » « Dehors, jouer avec les autres enfants de l'école. » « Mais c'est samedi ? » « Jouer avec eux, c'est mes copains ! » « Ne rentre pas trop tard, mon poussin. » Sourire absent, regard flou.

Rires. Des petites filles sont assises en cercle à même le sol. Devant elles, un enlacement incompréhensible de brindilles. Leurs petits yeux sont très sérieux, concentrés sur les motifs que forment les bouts de bois. Les garçons sont à quelques mètres, ils font la course, se moquent les uns des autres, chuchotent en montrant les fillettes du doigt. Siska approche sur la pointe des pieds. Un sourire étire peu à peu ses lèvres roses quand elle aperçoit le cercle. Silencieusement, elle s'assied par terre, maculant immédiatement sa robe blanche en dentelle. Elle se fera probablement gronder si sa maman voit cela, mais jusqu'à maintenant, elle a réglé le problème en lavant elle-même ses vêtements à la main avant que ses géniteurs ne s'en aperçoivent. De toute façon, rien de tout cela ne lui traverse l'esprit à l'instant présent. Elle tourne la tête vers les garçons, leur sourit. Elle sait bien que certains ont encore du mal à l'accepter. Avant, c'était plus simple, elle était une enfant comme les autres. Mais ils ont tous entre six et neuf ans désormais, et ils prennent conscience des différences entre elle et eux. Sa jolie robe, sa peau douce, ses mains lisses, ses excellentes notes à l'école, ses parents lors des événements du Deux... Tout cela la trahit. Elle est différente, autre. Mais elle regagne jour après jour leur confiance. Ils ont toujours joué ensemble, et pour elle, il est hors de question que cela change à cause des grands. Elle déteste les adultes, avec leurs règles, leurs limites, leurs interdits. Elle fait signe à un petit brun qui vient ramasser la petite sacoche qu'elle a apporté. Il contient tout ce qu'elle a pu chiper au repas de midi. Les yeux gris du garçon s'illuminent. Siska se focalise sur le jeu. Bientôt, ce sera à elle de tenter de déméler le schéma aléatoire et complexe des brindilles. Elle ne comprend pas l'intérêt que peuvent avoir les jeux en provenance du Capitole quand on a ça à portée de main. Elle est plutôt mauvaise à ce jeu mais il fait partie de ses favoris. Il est si simple, et pourtant... Quand elles y jouent, toutes les filles du districts sont ensemble, elles communient. Concentrées sur un seul et même objectif, déméler les brindilles, elles oublient que Siska s'appellent Boldstone, qu'elle porte une robe en dentelle, n'a jamais faim, et n'aura probablement jamais à travailler dans les usines de maçonnerie comme la plupart ici.

« Tourne, encore un peu ! … Non, non franchement, je préfère l'autre, remet l'autre mon poussin. Allez, un peu d'entrain voyons ! » Siska retourne dans la cabine sans enthousiasme, enlève la robe en la froissant, et enfile de nouveau l'autre. De toute façon, elles sont toutes ridicules. Dedans, elle a l'impression d'être une tarte human size, avec le lot de crème chantilly et de vaporeuses décorations en sucre glace. Qu'est-ce que cela change qu'elle soit bleu ciel ou vert océan ? S'observant dans la glace avant de sortir s'exposer aux yeux critiques de sa mère, la jeune fille s'efforce d'afficher un sourire convainquant. Pense aux fraises qu'il y aura pour l'occasion. Elle expire bruyamment et ressort de la cabine. « Voila un magnifique sourire ! Oui, définitivement, celle-là est mieux. Viens ma chérie, on va vérifier s'ils peuvent nous faire quelques retouches pour que tu sois parfaite ce soir. » Intérieurement, Siska lève les yeux au ciel. Tout cela est inutile. Ce soir, les regards seront braqués sur le Vainqueur des Jeux précédents, un pauvre gosse qui a du tuer vingt-trois enfants pour rester en vie. Le pire, c'est qu'il semble y avoir pris plaisir. Un Carrière du Un, voilà qui réjouit toutes les familles riches de Panem, le Capitole comme les Boldstone. Le molosse a mis une bonne raclée aux imprudents, rapellant douloureusement aux familles que les Districts sont soumis à Snow, et que rien ne risque de changer cela. Siska se souvient des larmes de joie de sa mère quand il a roué de coups de poings la fille du Quatre. Elle avait appelé ses amies et leur avait rit au nez. Elle savait bien que ce serait lui, le Vainqueur, elle l'avait deviné dès l'arrivée des Tributs sur l'arène. Elle était très douée pour parier sur les Jeux. Et ce soir, Siska allait devoir, aux côtés de cette mère insensible et d'un père encore plus cruel, sourire à ce grand garçon, prétendre être heureuse de rencontrer un meurtrier. Elle s'assierait à la table, probablement à quelques places seulement du gagnant – son père se serait arrangé pour cela. Elle devrait lui sourire, vanter ses mérites, rire aux blagues douteuses de l'assistance. Le tout avec un grand sourire sincère, une joie véritable. Sans se troubler à la pensée des autres enfants morts dans l'arène. Un frisson lui parcourut l'échine tandis que sa mère l'entrainait vers les couturiers. Elle aurait aimé leur cracher à la figure, à tous, et retourner jouer avec ses amis. Ne plus penser au massacre auquel elle et tous les habitants du District avaient été obligés d'assister sur leurs écrans géants. Vivre une vie de paix, comme elle n'en connaitrait jamais.

Elle avait quinze ans depuis trois semaines à peine quand elle les rencontra pour la première fois.
Avec ses amis, ils venaient souvent jouer près des limites barbelées du District : les parents étaient loin, les yeux et les oreilles aussi. Siska prenaient de plus en plus de précautions pour les rejoindre. Ses parents lui laissaient une grande liberté quant à ses fréquentations. Elle était discrète et sage, ne posait aucun problème. Ils préféraient concentrer leur attention sur son grand frère à la carrière prometteuse, et sur sa grande sœur, bagarreuse, hargneuse, qui avait besoin d'être encadrée, recadrée plutôt. Mais mieux valait pour tout le monde qu'ils ne se fassent pas remarquer. Les familles de ses amis voyaient souvent d'un mauvais œil la famille Boldstone, trop riche, trop opulente. Et le couple Boldstone lui-même appréciait peu que leurs amis fassent des remarques sur les fréquentations de l'un de leurs enfants.
Cette fois-là pourtant, elle décida d'y aller seule. Personne ne l'y attendait, tous ses amis étaient chez eux, avec leurs parents, autour d'une table peu garnie. Elle avait besoin de prendre l'air, s'éloigner de la folie furieuse de ses parents. Ils s'engueulaient pour des futilités et continuaient de faire comme si de rien n'était devant les gens, même leurs propres enfants. Siska les avait entendu. Ils racontaient des choses sans intérêt pour elle – l'éducation de sa sœur, les problèmes de formation des Pacificateurs, les problèmes d'argent parce que Madame était trop dépensière... Elle voulait juste s'éloigner un moment, penser à autre chose.
Les yeux dans le vague, elle longeait les clotures de barbelés qui limitaient le Deux. Le seul bruit qui troublait le silence était celui des feuilles des arbres qui frémissaient sous l'assaut du vent. Sous ses pieds chaussés d'élégantes sandales tressées rouge et brun, les brindilles craquaient. Ce son ponctuait sa marche, mesurait son errance. Pour une fois, elle ne pensait à rien. Elle regardait juste les couleurs sombres du soir s'entremêler devant elle : le feuillage vert, le ciel gris-bleu, les lumières en provenance du Village des Vainqueurs, les sillons bruns de feuilles mortes virevoltant... Un bruit sourd se fit entendre de l'autre côté des barbelés, comme une chute lourde, mais la jolie blonde était perdue dans ses pensées. Plus précisément, elle ne souhaitait pas en sortir. Ce vide l'apaisait, elle se représentait juste de belles images, un bouquet de fleurs, une jolie robe, le sourire d'enfants nombreux, sans y poser les réalités du monde. Ce qui la fit réagir, furent des chuchotements. Apparement, la personne qui était tombée n'était pas seule, et se faisait réprimander. « Tu vas nous faire repérer espèce de naze ! » Malgré elle, Siska esquissa un sourire. Ironie, quand tu nous tiens... C'était lui, en l'occurence, qui « les » avait fait repérer. Elle stoppa sa marche et sentit que les deux corps s'étaient immobilisés à leur tour. Elle fit quelques pas incertains vers la limite du District Deux. La franchir lui semblait inconcevable. Elle l'avait souvent désiré, passer de l'autre côté, être libérée des règles absurdes de Panem, de la surveillance des adultes, marcher seule parmi les arbres, en terrain inconnu. Elle tendit la main vers les fils métalliques et la retira prestement avant même de les avoir touché. Elle savait ce qui serait arrivé. Elle fouilla l'obscurité du regard, cherchant à déterminer où se trouvaient les deux silhouettes, et à qui elles appartenaient. Finalement, elle crut avoir repéré la brillance d'un œil. Sans savoir pourquoi, elle n'éleva pas la voix, chuchotant comme ils l'avaient fait. « Je sais pas qui vous êtes mais vous avez pas de raison d'avoir peur. C'est plutôt moi qui devrait avoir peur. » Elle réfléchit à ce qu'elle venait de dire. Pourquoi n'avait-elle effectivement pas peur ? Deux ombres se tenaient non loin d'elle, peut-être armées, peut-être fugitifs, peut-être assassins. « Qui êtes-vous ? Comment se fait-il que vous soyez de l'autre côté des barbelés ? Vous n'êtes dans aucun district ! » Les mots coulaient sur sa langue, elle ne pouvait plus les retenir. Elle aurait voulu les supplier de lui expliquer, de la prendre avec eux. Après quelques minutes d'un échange des plus étranges, entre silences, questions sans réponses, réponses sans questions, les deux garçons – ils ne devaient pas avoir vingt ans – s'approchèrent de la frontière, non sans crainte.
Ainsi, Naya Siska Boldstone, fille de bonne famille, fervente admiratrice du Capitole, fit son entrée dans la rebellion. Au départ, ils ne lui faisaient pas confiance. Pendant un petit mois, ils envoyaient régulièrement les deux garçons qui prenaient la défence de la jeune fille à leurs supérieurs et qui vantaient les mérites de leur mouvement à l'enfant aux cheveux d'or. Elle n'était pas dure à convaincre mais demeurait incrédule. Le Treize, la rebéllion... Tout cela relevait pour elle du mythe, du fantasme à la limite. Découvrir soudainement que les cauchemards de tous les pro-Capitol de Panem étaient réalité lui donnait des frissons. Elle avait l'impression de redécouvrir le monde sous un autre angle.
Finalement, Siska intégra la rebéllion en tant qu'informatrice, poste qu'elle n'a pas quitté depuis ses quinze ans.

La musique résonnait. Emplissait la salle et son cerveau. La rumeur des voix s'était tue. Lentement, Siska réalisa qu'il était l'heure pour elle d'avancer. Vers son mari. Vers son destin. Elle regarda ses pieds, les distinguant à peine sous les froufrous de la robe. Elle se força à en mettre un devant l'autre. Elle sentait ses jambes trembler, son souffle s'accélérer, et elle se concentrait sur une action si simple : marcher. Aux yeux de l'assemblée – du moins c'est ce que tout le monde lui dit après coup – elle marchait avec la lenteur de la dignité. Pour elle, chaque seconde durait une éternité, en même temps que le trajet semblait être passé à la vitesse de la lumière. Elle n'avait pas compris comment elle s'était retrouvée devant Envy, au milieu de la petite scène, exposée aux regards inquisiteurs de deux des plus grandes et riches familles du District Deux. Tout le monde était réuni : les Boldstone occupait moins d'une dizaine de sièges, cercle élargi pourtant, tandis que les Ducani-Hayne emplissaient la salle de leurs cheveux blonds, de leurs yeux perçants. Il y avait aussi quelques amis des deux futurs. L'hôtel de ville grouillait de vie pour l'union de ces deux jeunes adultes qu'étaient Siska et Envy. Ils se connaissaient pourtant si peu...
En levant les yeux sur le visage absent de son futur époux, Siska repensa à sa demande. Il l'avait surprise, elle n'avait d'abord pas su quoi répondre, comment réagir. Puis elle avait réfléchi. Ils se connaissaient vaguement et elle sentait qu'il ne lui avait pas demandé par amour. Il était une couverture parfaite. Un moment, elle avait même songé à mettre les choses au clair entre eux, lui faire comprendre qu'elle non plus elle n'en avait rien à faire, et qu'ils pouvaient tous les deux vivre leur vie de leur côté sans embêter l'autre. Elle découvrirait bientôt qu'elle n'avait pas besoin de le préciser pour que ce soit le cas. Cependant, elle avait surtout renoncé à cette idée en songeant que cela lui donnerait une raison de douter d'elle. Lui pouvait peut-être se permettre d'afficher une indifférence totale pour sa femme. Elle ne pouvait pas être suspecte, pas même aux yeux d'un seul homme. Sans compter qu'il s'agissait d'un Pacificateur. Elle se condamnait par la simple phrase habituelle « Oui, je le veux » à une vie de mensonges. Mais n'était-ce pas déjà le cas, de toute façon ? Envy était un très bon parti, et sa place de Pacificateur ambitieux pourrait peut-être lui permettre de glaner des informations supplémentaires. Oui, elle le voulait.

Ce matin-là, Siska avait mis quinze minutes à choisir entre la robe bleue et la robe violette. L'une bouffait légèrement tandis que l'autre était plus droite qu'une règle. Finalement, elle avait opté pour la seconde, en regardant le ciel. Il était bleu et ensoleillé. Elle ne pouvait pas décemment porter cette robe lorsqu'il faisait moche, la couleur apparaissait triste, grisâtre. Aujourd'hui, au contraire, le violet serait réhaussé par les rayons lumineux de l'astre doré. Elle avait ensuite rapidement enfilé des collants chair et ses escarpins les plus sobres, noirs. Veste et sac sur l'épaule, elle avait salué son mari d'une bise sur la joue – rituel qu'il détestait mais qu'elle continuait à maintenir. Pour se venger. Pour s'amuser. Pour l'énerver. Pour lui montrer sans qu'il comprenne, qu'elle n'en avait rien à faire, et qu'il en faudrait beaucoup plus pour la décourager.
Leur jolie maison n'était pas très éloignée de l'Hôtel de Ville où elle travaillait, aussi y fut-elle rendue en quelques minutes de marche énergique, ponctuées par les salutations des gens qu'elle croisait, plus ou moins ostensibles. Elle échangeait des signes discrets avec la population pauvre, qui constituait la plupart de ses réels amis, et parmi lesquels certains, rares, savaient qui elle était réellement. Au contraire, lorsqu'elle croisait quelqu'un de « sa » classe sociale, la jolie blonde souriait de toutes ses dents, faisait un signe de la main, parfois allait jusqu'à s'arrêter et échanger quelques mots inutiles avec ces gens pour la grande majorité inintéressants. A son entrée dans les bureaux, tous ses collègues la saluait d'un respectueux « Bonjour, Madame Ducani-Hayne ». Son nom de jeune fille inspirait le respect. Son nom de mariée inspirait deux fois plus de respect, et un peu de crainte. Surtout quand on savait avec quel spécimen exactement de la famille elle s'était engagée.
Assise à son bureau, la jolie blonde notait toutes les informations qu'on lui donnait, les transmettaient en temps et en heure à qui il fallait, photocopiait, triait, signait ou faisait signer, relisait, préparait, corrigeait, expliquait, répondait, questionnait pour le compte d'un autre... Tout le monde lui faisait confiance car son professionalisme était sans égal. Si, au début, elle avait eut du mal, elle avait rapidement trouvé une solution pour gérer. Désormais, elle était l'une des femmes les mieux organisée du District. Il le fallait pour continuer tranquillement à aider les rebelles sans être suspectée par quiconque. On ne l'accusait jamais d'aucune fuite. Pourtant, elle était à l'origine de la plupart. Une photocopie supplémentaire par-ci, un post-it par-là, une discussion autour d'un café... Rien ne lui échappait. Il faut dire que, sous ses apparences de jeune femme candide, sous sa blondeur dont elle jouait, elle savait digérer les informations très vite. Mais personne ne devait le savoir.

« Ils prévoient d'attaquer demain dès l'aube. Faites attention, il me semble qu'ils ont fait venir des effectifs supplémentaires de quelques Districts plus calmes, mais je serais incapable de vous dire combien. Non, je n'ai pas réussi à subtiliser d'armes. Les informations, oui, mais les armes, où voulez-vous que j'en trouve ? Personne ne m'en donnerait sans en informer tout le monde. Je ne suis qu'une poupée en sucre pour eux. Combien êtes-vous ? Je vais essayer de vous apporter de quoi vous substanter, histoire que vous ne manquiez de rien. Bien. Il me semble qu'on a deux ou trois caves à votre disposition. Pas chez moi, sauf si vous avez très envie de vous faire attraper par Envy Ducani-Hayne. » A ce nom, elle en vit certains qui frissonait derrière le chef à qui elle s'adressait. Elle n'avait jamais posé de questions sur ce sujet et ne voulait pas le savoir. Si elle devait jouer à la femme aimante avec son mari, autant qu'elle en sache le moins possible sur ce dont il était capable. Tout ce qu'elle savait, c'est que son nom leur faisait peur. Elle se gardait donc de le mentionner lorsqu'elle se présentait elle-même.
Ils étaient en période de guerre. Le Treize avait lancé des attaques surprises qui avaient fonctionnées. Le Capitol ne s'y attendait pas le moins du monde, et quelques Districts étaient désormais aux mains de Coin. Siska ne savait à peu près rien de cette femme, sinon qu'elle était la Présidente de la Rebéllion. Elle ne savait pas si elle l'appréciait ou si elle la mettait sur le même pied que Snow. Tout ce qu'elle voulait, c'était que les choses bougent. On verrait après si on la laissait faire les choses comme elle l'entendait. Elle n'était jamais parvenu à se projeter dans le futur. Comment vivrait-elle, si le Capitol tombait ? Pourrait-elle s'adapter au système pour lequel elle s'était toujours battu ? Elle n'en avait pas la moindre idée. En tout cas, elle ne pouvait pas vivre dans l'actuel, et pourtant, elle le faisait jour après jour.
Ils étaient en période de guerre. Siska refusait de s'engager dans les combats, de risquer sa couverture. Pourquoi ? Alors que tout semblait gagné ? Les rencontres secrètes, les mensonges constants, elle ne connaissait plus que cela. Rien n'était sur, pour elle. Les deux côtés montraient autant d'assurance, ce qui n'était pas pour la rassurer. Elle resterait cachée tant que rien n'était sur. Sur à cent-vingt pourcents au moins. Elle ne pouvait pas tout risquer sans garantie. Elle n'aimait pas Envy, mais voulait un enfant de lui. Elle n'aimait pas son travail, mais n'aurait pour rien au monde voulu le perdre. Elle n'aimait pas ses amies, mais ne pouvaient se résoudre à les abandonner. Perdue, dans une position intermédiaire qui lui convenait parfaitement. Elle s'était creusé un nid de mensongses, d'habitudes et de faux sourires. Elle ne savait si elle serait un jour capable d'en sortir, par quelque voie que ce soit.